Grand stade : des perquisitions sur soupçon de corruption

Rebondissement dans le dossier grand stade. Jeudi 22 décembre, les domiciles d'anciens salariés d'Eiffage ainsi qu’une agence du groupe ont été perquisitionnés. La justice soupçonne certains des protagonistes du dossier d’avoir reçu des cadeaux de la part du géant du BTP.

Lille (59) : le Stade Pierre-Mauroy | Lille (59): the Stade Pierre-Mauroy [AT]
Nouveau rebondissement dans l'affaire de la construction du stade Pierre-Mauroy. (Andia)

Après la mise en examen de la Métropole Européenne de Lille (MEL) pour délit de favoritisme, fin novembre, l’enquête sur les conditions d’attribution de la construction du stade Pierre‐Mauroy de Villeneuve d’Ascq par la société Eiffage est en train de prendre une toute autre tournure. Courant 2015, le bureau de Damien Castelain à la MEL et le domicile d’Henri Ségard avaient été perquisitionnés. Jeudi 22 décembre, c’était au tour des domiciles de plusieurs autres protagonistes du dossier de recevoir de la visite. Alain Létard – ancien salarié du groupe Eiffage et mari de la sénatrice Valérie Létard, ex‐présidente de Valenciennes Métropole -, ainsi qu’un autre cadre ou ancien cadre de la société de BTP ont été perquisitionnés, à la demande du juge Gentil, en charge de l’affaire.

Le juge d’instruction lillois agit dans le cadre d’un réquisitoire supplétif, délivré récemment par le procureur de la République de Lille. Cet acte de procédure permet aux magistrats d’élargir leur enquête lorsqu’un fait nouveau apparaît… Selon toute vraisemblance, une marche a été franchie dans la gravité des faits reprochés à certains décideurs régionaux dans cette affaire du stade de plus en plus brûlante. Car selon les informations de Mediacités, le réquisitoire supplétif concernerait des faits de corruption et de trafic d’influence.

Une butte de terre qui tombe à pic

Selon des sources judiciaires, c’est l’édification d’une butte de terre anti‐bruit sur la commune de Péronne‐en‐Mélantois (en bordure de l’A23, près du marais de La Marque), à une quinzaine de kilomètres de Lille, qui est à l’origine de ce réquisitoire supplétif. Au printemps 2010, cette barrière phonique de 550 mètres de long et douze de haut a été érigée grâce à d’importantes quantités de terre extraites de la Borne de l’espoir, le site d’implantation du stade Pierre‐Mauroy, à Villeneuve d’Ascq. Or, le maire de Péronne‐en‐Mélantois n’est autre que Damien Castelain, président de la MEL depuis qu’il a succédé à Martine Aubry en avril 2014. Aux côtés d’Henri Ségard, il a surtout longtemps été l’un des plus farouches défenseurs du choix d’Eiffage, lors de l’attribution par Lille métropole communauté urbaine (l’ancêtre de la MEL) à la société de BTP de Vélizy‐Villacoublay, en 2008. Et c’est ce qui a visiblement interpellé le juge au cours de son enquête…

Castelain était le bras droit de Ségard

Pour mémoire, il n’y aurait peut‐être jamais eu d’affaire « grand stade » sans Henri Ségard. Durant dix‐sept ans, ce pharmacien a été le maire de Comines, une petite commune à la frontière franco‐belge. A la tête d’un groupe charnière dans la composition des majorités politiques à la Communauté urbaine de Lille (« Métropole passions communes » qui regroupait une quarantaine de maires divers droite), il bénéficiait jusqu’en 2011 d’un indéniable entregent politique. Le 1er février 2008, contre toute attente et au terme d’un lobbying forcené, il est ainsi parvenu à imposer à la communauté urbaine de Lille le choix du groupe de BTP Eiffage. Ce malgré un devis supérieur de 108 millions d’euros à l’offre de Bouygues, à laquelle Pierre Mauroy, alors patron de la communauté urbaine, avait pourtant apporté son soutien ! En moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, Henri Segard avait balayé plusieurs mois de travail d’une bonne dizaine de fonctionnaires territoriaux spécialisés et réécrit l’histoire… A l’époque, Damien Castelain n’était autre que son bras droit à la communauté urbaine.

Des billets d’avion pour le remercier

Dernièrement, les investigations du juge Gentil l’ont donc mené autour de cette fameuse butte en terre. Plusieurs auditions ont été effectuées par les enquêteurs de la brigade financière. Au cours de l’un de ces interrogatoires, David Roquet, ancien directeur de « Matériaux enrobés du Nord », une filiale d’Eiffage basée à Annay‐sous‐Lens dans le Pas‐de‐Calais – il a été licencié depuis – a mis en cause Jean‐Luc Vergin, son patron de l’époque. L’ancien directeur Nord d’Eiffage – lui aussi licencié depuis par le groupe de BTP – lui aurait alors demandé de procéder à l’achat de plusieurs billets d’avion pour la Hongrie, afin de permettre à Damien Castelain et à quelques‐uns de ses proches, parmi lesquels Henri Ségard, d’assister au Grand Prix de F1 de Hongrie, le 1e août 2010.

En 1997, une première butte de terre avait mis un temps fou à être érigée sur la commune de Péronne‐en‐Mélantois, faute de matériaux suffisants. Celle de 2010 n’aura finalement pris que quatre mois à voir le jour, une butte anti‐bruit bâtie à la vitesse du son en quelque sorte. Si on était terre‐à‐terre, on dirait même à la vitesse d’une Formule 1… En tout cas pour le moment, ce sont certains anciens dirigeants d’Eiffage qui doivent effectuer un arrêt au stand…

Contacté par Mediacités, Jean‐Luc Vergin n’a pas répondu à nos sollicitations

  • Bonjour,
    Je découvre votre site grâce à France Inter et je viens de lire votre article qui soulève un gros lièvre, mais on est un peu déçu des révélations de corruption : quelques billets d’avion et une butte en terre montée plus rapidement qu’une autre ?
    Peut‐être que la suite de l’enquête sur les « bénéfices » des corrompus sera plus intéressante ?
    A noter que la vérité sur les corrompus (des élus…) m’intéresse plus que les corrupteurs « professionnels » (mais pas pour dire : « les politiques, tous pourris » !!!).
    Longue vie à vous.

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Par Benoit Dequevauviller