Pourquoi Lille doit grossir

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LILLE 17.04.2016 La Madeleine, Lille, Hauts-de-France, France. Andia ELB00042DF8. © Grahn.

Trop petite pour être capitale, trop petite pour rayonner, Lille est un nain politique et économique ! » Ce constat sans appel, c’est celui de l’association Axe Culture et de son président, Thomas Werquin. Engagé dans un combat pour « la réduction du nombre de communes en France et sur la métropole lilloise en particulier », le think tank nordiste (re)lance un vieux et grand débat. Son objectif ? La création d’une grande ville de Lille. Concrètement, Axe Culture propose de fusionner, ou au moins d’associer – en les transformant en arrondissements comme à Paris ou à Lyon – les 15 communes de la première couronne lilloise. 

 

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Pourquoi un tel redécoupage – « charcutage » diront certains ? D’abord pour offrir à Lille cette fameuse « masse critique » qui lui permettrait de peser politiquement et financièrement au sein de la métropole, mais aussi aux niveaux régional et national. La commune nouvelle ainsi constituée pèserait alors un peu plus de 530 000 habitants (contre 230 000 actuellement), soit un peu moins que Marseille (864 000), mais plus que Lyon (509 000) ou Toulouse (466 000). Ensuite pour la rendre visible sur la carte du monde en regroupant ses principaux atouts économiques, culturels ou sportifs sous une dénomination commune. « A l’étranger, personne ne sait placer sur une carte le grand stade de Villeneuve‑d’Ascq, alors que si on dit qu’il est à Lille… » assure Thomas Werquin. Enfin, pour rationaliser un peu le puzzle territorial local, son urbanisme et ses politiques publiques.

 

« vers un big bang territorial »

 

Il faut bien le reconnaître, l’idée n’est pas franchement nouvelle. Elle est même sacrément rebattue. Longtemps, Pierre Mauroy a rêvé de construire une capitale régionale puissante en agglomérant certaines voisines à sa « petite » capitale. Au milieu des années 1970, reprenant un projet de son prédécesseur, Augustin Laurent, il propose à cinq communes (dont la toute jeune Villeneuve‑d’Ascq) de s’associer à Lille. Seul Hellemmes acceptera. Rebelote en 1998. Dans un ouvrage (La Métropole rassemblée), l’ancien Premier ministre évoque la fusion des 87 communes de la Communauté urbaine, future MEL. Un an plus tard, seule Lomme, répondra à l’appel. Mais Pierre Mauroy n’est pourtant pas le seul à avoir caressé ce doux rêve. L’entrepreneur Bruno Bonduelle, ancien président de la CCI et « parrain » des patrons du Nord, lui aussi, a longtemps fait du sujet son cheval de bataille, plaidant pour un véritable « big bang territorial ». Plus récemment, en 2014, Jean‐René Lecerf (divers‐droite) à son tour avait fait de la question l’un des thèmes de sa campagne municipale. Sans succès, lui non plus.

Alors pourquoi s’y intéresser ? Parce que l’une des vocations de Mediacités est justement de se pencher sur ces sujets de fond, aussi éloignés soient‐ils de l’actualité immédiate. Parce qu’il est porté par une association, l’un de ces groupes de citoyens qui, bénévolement souvent, se réunissent et s’attaquent à des dossiers obscurs mais importants pour la vie de la cité, sans toujours avoir droit au chapitre. Et parce qu’aussi ardue, touffue et – certains le penseront – éloignée des préoccupations immédiates des citoyens qu’elle puisse paraître, la question recèle de véritables enjeux.

Quelques exemples :

  • Trouver une locomotive à la MEL

Oui, par rapport à ses homologues françaises, et plus encore européennes, Lille et ses 238 000 habitants font figure de lilliputiens. Un handicap que compense, mais en partie, seulement la MEL (1,1 million d’habitants). Mais à cause des équilibres politiques complexes qui la gouvernent, de la culture du consensus qui y règne et de sa structure technocratique – « une maison d’ingénieurs, pas de visionnaires », selon un ancien haut fonctionnaire de la ville – Lille a du mal à jouer le rôle de locomotive au sein de la Métropole, à la différence de ce qu’il se passe à Lyon, par exemple. 

 

La France championne européenne… du nombre de communes

 

 

  • Savoir profiter du contexte 

Contrairement à ses voisins, la France n’est jamais parvenue à faire sensiblement baisser le nombre de ses communes. Résultat, on y recense 40% de toutes celles de l’Union Européenne. L’Allemagne, par exemple, en compte à peine plus de 12 000 (contre environ 30 000 au début des années 70), soit environ trois fois moins que nous (voir carte ci‐dessus). Sans pousser jusqu’à cet extrême, l’idée de rationaliser le découpage hexagonal mérite d’être étudiée. D’autant plus que depuis 2015, une loi incite –financièrement pour l’essentiel – les communes à se regrouper. Elles sont plus d’un millier à avoir sauté le pas. Principalement en zone rurale, il est vrai, mais pas uniquement. Selon Vincent Aubelle, professeur associé au département génie urbain de l’université Paris‐Est Marne la Vallé, la question des communes nouvelles se pose maintenant au niveau urbain. En Normandie, Cherbourg a ainsi fusionné avec cinq de ses voisines. En Haute‐Savoie, Annecy fait de même pour passer de 54 000 à 120 000 âmes. En banlieue parisienne, Boulogne‐Billancourt et Issy‐les‐Moulineaux, préparent aussi la naissance d’un mastodonte de près de 190 000 habitants. Et dans le Nord ? On se pose aussi la question, comme en témoigne le regroupement envisagé entre Lannoy et Lys‐lez‐Lannoy ou les spéculations sur celui de Roubaix et Tourcoing. Après tout, cela avait plutôt bien fonctionné pour Annapes, Ascq et Flers, quand elles donnèrent naissance à Villeneuve‑d’Ascq, en 1969.

  • Démêler un peu le chignon lillois

Habiter dans une commune, travailler dans une autre, accompagner l’aîné au collège d’une troisième, faire garder la petite dernière dans une quatrième puis faire du sport dans une dernière… Voilà le quotidien dont s’accommodent nombre d’habitants du cœur de la métropole. Et pour cause : dans l’une des agglomérations les plus denses de France, aux frontières communales si transparentes, on acquiert facilement le sentiment de vivre dans une seule et même grande ville. Sauf que ce n’est pas le cas. D’un trottoir à l’autre, certaines « détails », des plus anodins aux plus importants, peuvent changer : la couleur des lampadaires ou les horaires d’ouverture des parcs et jardins mais aussi le montant des impôts ou le prix de la cantine… Un manque de cohérence qui renforce souvent les inégalités territoriales et débouche parfois sur d’énormes absurdités. Dernier exemple en date ? Le nouveau plan de circulation lillois, entré en vigueur à la fin du mois d’août. Parce qu’il ne concerne que la ville de Lille et que ses voisines n’ont pas été associées à son élaboration, il donne lieu aujourd’hui à des situations ubuesques : embouteillages monstres, allongement des temps de parcours, etc.

  • Dégager des ressources financières 

Enfin, et surtout, la réflexion s’impose face aux enjeux financiers. Malgré des impôts locaux relativement élevés, la ville de Lille n’est que moyennement riche. Ses budgets d’investissement comme de fonctionnement restent inférieurs à ceux de Lyon ou Marseille, mais aussi de Nantes, Bordeaux ou Strasbourg, toutes plus peuplées. La taille permet ainsi d’assumer plus aisément les fameuses « charges de centralité ». En clair, ces grands équipements comme les médiathèques que les villes centre financent seules alors qu’en profitent l’ensemble des habitants de leur agglomération. Y compris, dans le cas de Lille, ceux des banlieues dorées aux taux d’imposition bien moins élevés. « C’est un déséquilibre auquel font face toutes les grandes villes de France, note la géographe Béatrice Giblin. Mais il est vrai qu’à cause de sa petite taille, Lille est particulièrement frappée, ce qui peut l’entraver dans son développement  ». Comme l’observe un ancien haut fonctionnaire municipal, « nous n’avons déjà plus les moyens d’entretenir certains de nos équipements comme le musée d’histoire naturelle ou celui des Beaux‐Arts. Alors en construire d’autres… »

Ce constat posé, les interrogations soulevées par Axe Culture prennent tout leur sens. Quant au projet de fusion que porte l’association, il reste évidemment à discuter. Est‐il possible d’absorber ainsi une quinzaine de communes alors que ni leurs élus, ni leurs habitants, n’y semblent favorables ? Est‐ce même la bonne solution ? Plutôt que d’espérer un improbable big bang communal ne vaudrait‐il pas mieux plaider pour une évolution pas après pas ? Réfléchir à une redéfinition ou un élargissement des compétences de la MEL ? Militer pour qu’enfin ceux qui la pilotent soient directement choisis par les citoyens qu’ils gouvernent ? Les pistes sont ouvertes et le débat lancé.

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Par Benjamin Peyrel