Les grands projets urbains sont‐ils encore désirables dans les métropoles ?

De Nantes à Lyon, en passant par Lille, Toulouse ou Bordeaux, les grands projets, symboles de la quête d'attractivité des grandes villes, suscitent de moins en moins d'adhésion auprès des habitants. Analyse de Marine Luce, chercheuse à Sciences-Po Bordeaux

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Détail d'une maquette de l'arbre aux hérons, projet nantais créé par Pierre Oréfice et François Delarozière. / Image : traaf/Flickr, CC BY-NC-ND

Le 15 septembre dernier, Johanna Rolland la maire (PS) de Nantes annonçait l’arrêt du projet de l’arbre aux hérons dans le quartier du bas Chantenay à Nantes. Initié en 2017 au cœur de la carrière Misery au bord de la Loire, le projet, une structure de métal et de bois de plus de 30 mètres de haut, imaginée par les artistes Pierre Oréfice et François de la Rozière, devait venir compléter le bestiaire des machines de l’île de Nantes. Dès son annonce, le projet fut la cible de multiples oppositions.

[Note de le rédaction de Mediacités : cet article a été initialement publié le 15 décembre 2022 sur le site The Conversation sous licence Creative Commons]

Premiers mobilisés, les riverains privés d’accès à la carrière Misery, se sont organisés contre ce projet qui allait profondément transformer leur cadre de vie et la sociologie du quartier par un processus de gentrification, provoqué par la création d’une nouvelle centralité culturelle et touristique. Rejoints par les élus verts de la majorité municipale, et par des organisations et collectifs de luttes écologistes et sociales, ils ont dénoncé le coût financier et écologique de ce projet qu’ils qualifiaient « d’un autre temps ». 

La poussée de la “désobéissance civile” contre les “grands projets inutiles”

Les contestations des grands projets d’aménagement comme celui‐ci se multiplient dans les métropoles françaises. Celles‐ci s’opposent à des infrastructures commerciales comme le centre commercial Neyrpic et des projets de transports urbains tels que le Métrocable à Grenoble ou encore la construction du quartier économique et résidentiel Euratlantique à Bordeaux.

Cale Dubigeon – Grue Noire
La grue noire de la cale Dubigeon à Chantenay / Photo : Matthieu Le Crom

Ces contestations portent sur les projets qui relèvent d’agendas urbains tournés vers la croissance et la compétitivité économique visant à créer des conditions urbaines favorables à l’attractivité métropolitaine par le développement de politiques urbaines d’offre économique.

C’est le cas de l’arbre aux hérons qui s’inscrit dans la continuité du travail initié par Jean‐Marc Ayrault, ancien maire de Nantes, de revalorisation de l’imaginaire et du patrimoine local à des fins culturelles et touristiques. Celui‐ci est dénoncé par les habitants du collectif de la commune de Chantenay comme un projet de « touristification », un processus par lequel « le lieu touristique remplace les lieux ordinaires de la vie » et contribue par extension, à la gentrification du quartier et l’exclusion de ses habitants.

L’arbre aux hérons, point final à la mutation de Chantenay

Les effets de l’attractivité mis en cause par les opposants aux projets

Ailleurs aussi, l’attractivité pose question. À Bordeaux, les logements et les bureaux prévus dans l’opération d’aménagement Euratlantique afin de répondre à l’arrivée de nouveaux habitants et attirer de nouvelles entreprises, suscitent également des indignations. « A‑t‐on réellement besoin d’attirer de nouveaux arrivants ? », s’interroge un habitant dans une réunion de concertation en octobre 2020. À Grenoble, le projet de Métrocable est dénoncé comme un projet vitrine qui s’inscrit dans « une logique qui pousse à faire de Grenoble une ville « innovante » et « attractive » au détriment de solutions moins coûteuses et moins polluantes existantes sur le territoire.

Les opposants dénoncent ces projets comme résultant de la volonté politique de rendre le territoire plus attractif pour d’autres publics (les touristes, les investisseurs, les grandes entreprises, les « classes créatives »…) au détriment des besoins réels et immédiats des habitants sur leur territoire. Ceux‐ci soulèvent également la question de l’utilité de tels projets face à l’urgence climatique et sociale.

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Prototype d’une branche de l’Arbre aux hérons / Photo : Creative commons – Jean‐Pierre Dalbéra – Flickr – https://www.flickr.com/photos/dalbera/7724254868

Le coût écologique induit par « la bétonnisation » des sols, la destruction de terres maraichères et le manque d’espaces verts dans les projets d’aménagement sont également dénoncés. Les conséquences sur la qualité de vie des habitants (hausse démographique, nuisances, hausse des besoins et des prix des logements…), la densification des espaces urbains et les coûts financiers liés aux projets sont également mises en cause comme les conséquences d’une attractivité métropolitaine devenue indésirable.

« La course à l’attractivité entre métropoles est perverse »

Les coordinations comme modalité d’organisation

Si la critique des projets d’attractivité du territoire est présente, celle‐ci n’est pas portée unilatéralement par l’ensemble des organisations qui s’opposent aux projets. Certaines seront plus sensibles au cadre de vie, d’autres au coût ou encore à l’impact écologique. C’est pourquoi les opposants sont tentés de se rassembler dans des coordinations de collectifs, comme Action Neyrpic à Grenoble.

Le fonctionnement par coordination permet l’articulation de positionnements entre les organisations membres pour un objectif commun : l’arrêt du projet. Ces coordinations rassemblent alors des organisations qui doivent dépasser leurs divergences politiques au nom de leur opposition au projet. Ce fût le cas avec la coordination STOP transfert CHU à Nantes qui rassemblait des forces municipalistes de gauche, des associations écologistes, et des élus locaux de la droite et du centre.

L’existence de ces coordinations reste alors bien souvent conditionnée à l’arrêt ou au lancement du chantier du projet. En dépit de ces divergences, les coordinations créent des liens avec d’autres organisations en menant des actions collectives qui leur permettent de gagner en visibilité sur le territoire et d’obtenir du soutien matériel et organisationnel de la part d’autres collectifs et d’experts.

Futur CHU de Nantes : décryptage d’un projet pharaonique

Une évolution des modes d’action

Pour se faire entendre, les opposants vont jouer sur la coexistence de moyens d’action institutionnels et extra‐institutionnels. Les riverains, aidés d’associations spécialisées dans l’appui juridique des luttes écologistes, vont être mobilisés pour porter les recours contre les projets. En amont, les militants interpellent les élus et lancent des pétitions en ligne.

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Vue d’artiste des urgences du futur CHU de Nantes. / Image : ©Quick it for Art&Build-Pargade

Toutefois, animés par la nécessité de rassembler contre le projet, et de médiatiser la mobilisation, les militants opèrent une transformation de répertoires d’action qui s’apparente à ce que la politiste Eleonora Pasotti qualifie « d’outils expérimentaux » dans son ouvrage Resisting Urban Redevelopment. Il s’agit de formes d’actions collectives artistiques, voir festives qui renforcent le réseau d’opposants et qui s’émancipent des codes de protestation traditionnels tels que l’occupation ou la manifestation.

Ainsi, on voit apparaître dans les métropoles de plus en plus d’actions collectives festives qui cherchent à visibiliser et mettre en scène la mobilisation, à créer de nouvelles convergences avec des collectifs autour d’une action commune et à impliquer davantage de citoyens séduits par l’aspect artistique et convivial de l’action.

À Nantes, Johanna Rolland foudroie l’Arbre aux hérons

C’est le cas des « vélorutions », les manifestations à vélo, qui permettent d’allier convivialité, occupation de l’espace urbain et défense de l’usage du vélo contre un projet urbain. Les performances artistiques comme le « désenvoutement » de l’arbre aux hérons organisé par le collectif de Chantenay en mars 2022 permettent aux habitant·e·s de se réapproprier les espaces d’implantation des projets et d’interpeller médias et élus locaux.

Les opposants élargissent leur mobilisation par l’articulation de revendications plurielles contre les grands projets avec la contestation des effets de l’attractivité métropolitaine. Par le développement de coordination d’organisations et la mise en œuvre d’actions collectives originales, ces mouvements tendent à gagner en visibilité dans les métropoles.

Ce texte est une reprise d’un travail initialement paru sur le site The Conversation, média indépendant qui publie des articles d’universitaires et de chercheurs sur des sujets d’actualité. Sous licence Creative Commons, il est signé Marine Luce, doctorante en science politique au centre Émile Durkheim à Sciences Po Bordeaux. Hormis le chapô et les illustrations, nous le reproduisons in extenso.

 

  • En gros, tout le monde aime le changement sauf si ça le concerne et qu’il ne pense pas en profiter. Pas vraiment nouveau

    • Oui, les habitants pouvaient pleinement profiter de l’arbre aux hérons. Mais dans quelles conditions ?
      Outre , l’artificialisation des sols, la présence de touristes, avez‐vous vu la tête affreuse du héron métallique ?.….Un héron projeté à 45 m de haut en » vol  » En bord de Loire (Natura 2000) dans une carrière site remarquable du sillon de Bretagne.…
      Et dans quel but : attractivité pour faire du fric. Que ceux qui sont favorables à cet animal d’acier se proposent pour le mettre dans leur jardin mais pas devant la butte Sainte‐Anne, seul relief naturel encore décelable à Nantes. Et en plus devant des habitations.

  • Affirmer d’emblée que « les grands projets, symboles de la quête d’attractivité des grandes villes, suscitent de moins en moins d’adhésion auprès des habitants » est une généralisation abusive. Plus exactement, « les habitants » ne désigne pas une catégorie homogène. Les grands projets ont toujours suscité des oppositions de la part de ceux qui les subissent et une adhésion de la part de ceux qui en bénéficient. On manque ici d’éléments pour prouver qu’il y a « de moins en moins » d’adhésion ; on pourrait aussi envisager qu’il y ait de moins en moins de soumission ou de plus en plus d’irritabilité. A propos de l’Arbre aux Hérons à Nantes, cet article note qu’il est « dénoncé par les habitants du collectif de la commune de Chantenay », c’est‐à‐dire quelques centaines de personnes dans une métropole de 600.000 habitants (la « Commune de Chantenay » est une association de fait, pas une collectivité locale). Il est probable qu’il était soutenu simultanément par une partie des habitants du quartier, voire par la majorité des habitants de la métropole nantaise. Quant à la catégorie « grands projets urbains », c’est aussi une généralisation abusive. Toujours à propos de l’Arbre aux Hérons, le projet consistait à construire une structure nouvelle sur un terrain industriel délaissé, déjà propriété de la Ville : pas d’expropriations, pas de bétonnage de terres agricoles, très peu de nuisances visuelles ou sonores. Ce n’est pas à la structure elle‐même que s’en prenait la Commune de Chantenay mais à la stratégie qu’elle dénotait de la part de la municipalité (gentrification, touristification…). Le projet n’avait rien à voir avec la construction d’un nouveau quartier ou l’installation d’un moyen de transport. Juxtaposer des cas hétérogènes puis en tirer une conclusion générale paraît un peu léger.

  • Encore les écolo radicaux qui refusent tout même les économies ! Ils veulent toujours punir et retourner au 20eme siècle leurs positions sont tellement ringardes on croit voir revenir les ombres terribles de l’Aube marron . à bas les gens qui découvrent que le progrès est suranné quand il est porté par des incompetents

  • La lecture de cette phrase : « on voit apparaître dans les métropoles de plus en plus d’actions collectives festives qui cherchent à visibiliser et mettre en scène la mobilisation, à créer de nouvelles convergences avec des collectifs autour d’une action commune et à impliquer davantage de citoyens séduits par l’aspect artistique et convivial de l’action » ainsi que les actions citées laissent à penser que les opposants à ces projets ne veulent pas tant lutter contre la gentryfication que garder leurs privilèges d’habitants dans un quartier qu’ils ont eux‐mêmes, les premiers, largement participé à gentryfier. Il y a belle lurette d’ailleurs que les hauts de Chantenay sont devenus un des quartiers les plus en vue de Nantes. Ne constate‐t’on pas souvent ce phénomène de « pionniers » dans des quartiers populaires, qui ensuite luttent pour éviter que le phénomène ne devienne massif. Il y a une sorte d’entre soi qui se développe, on est fier d’habiter un quartier si « typique », « authentique » et on ne souhaite surtout pas que cela devienne accessible à tous.
    Après, quand on voit ce qui se passe de l’autre côté de la Loire, à Trentemoult qui en quelques décennies est passé de quartier ultra‐populaire à quartier hyper‐côté puis de quartier hyper‐côté à « Mont Saint‐Michel » sur Loire avec ses terrasses atroces, ses restaurants aussi chers que manquant d’originalité (les cartes du Poussin rouge et de la Guinguette sont devenues les mêmes listes de plats pseudo branchés que l’on voit partout. A l’exception peut‐être des anguilles de la Guinguette… tout n’est pet‐être pas perdu) pour accueillir des foules de promeneurs, les pionniers de Chantenay ont raison de se méfier.… Mais tout cela est bien hypocrite…

  • L’article de vraies belles questions sur la réparation de la croissance au sein des métropoles et entre les métropoles (Lille peine à réhabiliter ses friches, quand Nantes et Bordeaux subissent une trop forte pression foncière). Ceci étant dit, les propos ne sont pas étayés, ne narrent que les perceptions de quelques‐uns pour nous faire croire qu’il s’agit d’un sentiment général. C’est dommage d’être passé à côté d’un sujet aussi essentiel.

  • Adressez‐vous à la Ville de Nantes qui a « fait et fait encore » de la publicité pour attirer un maximum de nouveaux habitants. Ensuite la maire explique « il faut bien loger les gens ». Curieux.
    Comment faire ? Construire des tours ! Difficile à la butte Sainte‐Anne quartier classé comme quartier patrimonial dans le Plum.
    L’arbre aux hérons permet de casser cet effet patrimoine insultant pour vous face aux magnifiques champs de tours de l’île de Nantes au milieu de la Loire.

  • Le regain d’intérêt et d’implication dans les projets urbains est une bonne nouvelle, après des décennies où les seuls acteurs de la fabrique de la ville ont été institutionnels (État, collectivités locales) ou économiques (promoteurs immobiliers).
    Mais il est dommage de faire un article uniquement sur l’opposition aux projets urbains dans leur ensemble, sans évoquer jamais les personnes qui en bénéficient à la fin : celles qui vont emménager dans un logement neuf, celles qui attendaient depuis des années l’attribution d’un logement social, les commerces et les bureaux qui s’implantent, les habitants d’hier qui voient leur quartier et ses espaces publics rénovés, les porteurs de projet d’habitat participatif qui trouvent enfin un terrain…
    Tout n’est pas rose, bien sûr – les stratégies d’embourgeoisement et de promotion économique sont réelles – mais il y a aussi du positif à souligner dans la rénovation urbaine.

  • Comme cela a été dit dans les commentaires précédents, les luttes contre les « grands projets » sont très hétérogènes. Pêle‐mêle, on pourrait ajouter les grandes infrastructures de transport telles que les LGV, les autoroutes ou les aéroports, les centres commerciaux de périphérie, les bassines, les projets de renouvellement urbain (densification) ou d’extension urbaine, etc.

    Certaines luttes sont consensuelles comme YelloPark. Il faut dire aussi que la destruction d’un stade fonctionnel et adoré des Nantais, l’absence de concertation avec les riverains et les supporteurs du FCN, des formes urbaines hors‐sujet par rapport au quartier, le tout avec un montage financier opaque profitant à un homme relativement détesté, c’était autant d’ingrédients qui ne pouvaient que pousser à l’échec. Je crois que c’est un bon enseignement pour la municipalité.

    Mais pour d’autres projets, cette convergence des luttes est beaucoup moins évidente. Je pense notamment à Doulon‐Gohards. Certains retours d’habitants sur les futures formes urbaines et la concertation avec la métropole sont plutôt élogieux. Ce qui est totalement à contre‐courant du discours des opposants. S’opposer à la construction de logements dans une métropole qui en manque cruellement est d’ailleurs un point qui m’interroge. Est‐ce par simple réflexe d’entre‐soi comme dit dans les commentaires, en parlant de Chantenay ? Ou autrement dit, une sorte de réflexe bourgeois qui essaierait de se faire passer pour une lutte populaire ?

    Pour qu’une lutte fonctionne, il est primordial qu’elle rassemble le plus large panel de citoyens. C’était le cas de YelloPark. Mais pour le moment, je n’ai pas l’impression que ce soit le cas pour Chantenay ou Doulon‐Gohards. Je peux bien sûr me tromper. Je ne prétends pas que ces projets soient irréprochables. Les citoyens ont d’ailleurs un rôle à jouer pour garantir un projet socialement juste. Mais s’opposer frontalement par principe me paraît intenable pour les projets d’habitat.

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Par Marine Luce, doctorante en science politique à Sciences Po Bordeaux (The Conversation)