Travaux du périph” de Nantes : un massacre écologique porte de Gesvres

4 hectares de forêt abattus, 220 espèces animales supprimées dont 19 protégées, l’artificialisation de 1200 mètres carrés de zones humides… L’aménagement de la porte de Gesvres par Vinci Autoroutes assène un profond coup de tronçonneuse aux promesses écologiques de Johanna Rolland et de sa majorité métropolitaine.

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Sur le chantier d'une portion du périphérique nantais, porte de Gesvres, des hectares de zones naturelles dévastés. / Photo : Antony Torzec

« C’est un trou de verdure où chante une rivière »… Ce lieu aurait pu inspirer Arthur Rimbaud. La vallée du Gesvres concentre à elle seule deux rivières, des zones humides et d’innombrables bosquets. Même défiguré par le périphérique nantais, ce paysage bucolique rassemblait une riche biodiversité. Rassemblait, car depuis plusieurs semaines cette vallée s’est métamorphosée. L’odeur de l’humus a laissé place à celle du gazole des engins de chantier, le son de la broyeuse a remplacé le chant des oiseaux. Sur 10 hectares, de la plus petite plante à l’arbre centenaire, toute la végétation a été supprimée. En lieu et place : un immense champ de terre et, tel un cimetière forestier, un amoncellement d’arbres coupés sur 50 mètres de long pour 4 de haut.

Rien d’illégal dans ce massacre écologique. Pas de surprise non plus. Ces travaux d’envergure concrétisent un projet prévu de longue date, dont la déclaration d’utilité publique a été validée par la préfecture et les collectivités locales, dont Nantes Métropole et le Département. Comme l’expliquait Mediacités dans une précédente enquête, cet aménagement routier doit transformer la seule portion à 1X1 voies du périphérique nantais en une 2X2 voies. Car, foi de Cofiroute, « la configuration actuelle de la porte de Gesvres ne permet pas de gérer, dans des conditions satisfaisantes de fonctionnement et de sécurité, les flux de périphérique Est/Nord ». Selon les projections de la filiale de Vinci, au minimum 115 000 véhicules pourront circuler chaque jour sur cette portion d’ici à 2044, contre 87 000 aujourd’hui.           

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Sur le chantier de la porte de Gesvres, à Nantes, plus de 4 hectares de forêt abattus. / Photo : Antony Torzec

L’option la plus désastreuse pour l’environnement

Variante C DEntre l’impact sur le trafic routier et celui sur le milieu naturel, Cofiroute a vite tranché, choisissant même l’option la plus désastreuse pour l’environnement. Plus surprenant, cela n’a pas empêché les élus de Nantes Métropole, comme les conseils municipaux de Nantes et de La‐Chapelle‐sur‐Erdre, de voter en faveur du projet, en octobre dernier. Malgré l’avis (consultatif) défavorable rendu par le Conseil national de protection de la nature (CNPN) le 17 février 2020. Quant à l’enquête publique, elle laisse un goût amer aux riverains. « L’enquête publique a été menée en plein été et sans réunion publique en raison des mesures sanitaires » se souvient Patrice Menuet, membre du collectif « citoyens écologistes et solidaires de Nantes Nord » « Nous avons bien écrit un avis mais nous ne pensions pas que les dégâts environnementaux auraient été si importants » soupire‐t‐il.

Les dégâts, ils sont bien visibles aujourd’hui en se baladant sur ces 10 hectares de vallée, balafrés par les travaux. L’aménagement de la porte de Gesvres, c’est la disparition de 1 200 mètres carrés de zones humides alimentées par le Gesvres (affluent de l’Erdre) et le Ménardais. Réservoirs de biodiversité, capteurs de carbone ou filtres naturels, ces espaces participent pourtant à la lutte contre le réchauffement climatique et permettent également une auto‐épuration des eaux, ce qui a d’ailleurs attiré l’attention de l’agence régionale de santé (ARS).                

Quatre hectares de forêt dévastés

Avant:apresMais l’eau n’est pas la seule victime de ces travaux. La DUP (déclaration d’utilité publique) nous apprend que sur les 10 hectares concernés, 4 hectares de boisement sont détruits. Les documents de l’enquête d’utilité publique évoquaient « une chênaie et des prairies mésophiles très banales ». Les fruits de l’abattage montrent un tout autre paysage : sur cette propriété de l’État, avec pour riverain la Chambre d’agriculture de Loire‐Atlantique, des centaines d’arbres ont été coupés. Dont certains plus que centenaires.

Les plus âgés, au diamètre supérieur au mètre, formaient d’ailleurs un splendide alignement. Un alignement… Comme à Vertou, en bord de Sèvre, où des chênes et des platanes ont aussi été abattus cet automne. A l’époque, les élus métropolitains EELV s’étaient fendus d’un communiqué. Ils rappelaient alors que ces alignements sont protégés par l’article 350–3 du Code de l’environnement stipulant que les allées d’arbres constituent un « (…) patrimoine culturel et une source d’aménités, en plus de leur rôle pour la préservation de la biodiversité et, à ce titre, font l’objet d’une protection spécifique (…) ».

« Face aux conséquences de l’aménagement de la porte de Gesvres, je ressens de la tristesse au regard de ce dégât irréversible, consent Delphine Bonamy, conseillère municipale et communautaire EELV, chargée de la nature en ville et des forêts urbaines. Notre groupe s’est opposé au projet. Force est de constater qu’il a été adopté de façon démocratique ». Dont acte, donc…

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Sur le chantier de la porte de Gesvres, à Nantes, plus de 4 hectares de forêt abattus. / Photo : Antony Torzec

Tant pis pour 19 espèces animales protégées

Enfin, le chantier de la porte de Gesvres donne lieu à une autre disparition : celle de 220 espèces animales dont « l’intérêt faunistique est relativement important par rapport à la diversité des habitats observés », souligne l’Autorité Environnementale. Pour transformer cet espace naturel en routes, l’État a ainsi accepté de délivrer des dérogations pour détruire les individus, l’habitat et les sites de reproduction de 19 espèces animales protégées, dont la salamandre tachetée, le lézard à deux raies ou encore la pipistrelle commune, une espèce de chauve‐souris. 

Bien sûr, comme le prévoit la loi, Cofiroute s’est engagé à compenser ces atteintes aux espaces naturels. Mais les détails manquent terriblement. Si la DUP évoque bien « la replantation de 4,7 ha de massifs arborés et haies bocagères, 10 ha de zones engazonnées et de prairies et 1 ha de densification de franges de boisement ou talus végétal », aucune localisation précise n’est indiquée. Et qui procèdera au contrôle ? « Le raisonnement du dossier n’est pas conduit de façon suffisamment rigoureuse pour qu’il soit possible de mettre en rapport les surfaces affectées avec des mesures de compensation correspondant aux habitats et fonctionnalités perdues », peut‐on lire dans l’avis de l’Autorité Environnementale. « Pas conduit de façon suffisamment rigoureuse » ? On ne peut être plus clair…

ANNEXE 1
Extrait du rapport de l’Autorité environnementale sur le projet de la porte de Gesvres à Nantes

Moins de voitures donc… moins de nature

Enfin, après la faune et la flore, les riverains feront aussi les frais de cet aménagement. Les documents de la DUP sont formels : des dépassements des seuils réglementaires acoustiques seront observés pour une vingtaine d’habitations et la qualité de l’air devrait se dégrader autour de cet échangeur. Reste désormais une question : comment Nantes Métropole, Capitale verte européenne 2013, a‑t‐elle pu cautionner ce carnage écologique ? Tout simplement en évitant soigneusement de mettre sur la table le sujet de la disparition des espaces végétales et animales. Et en plaçant l’enjeu du projet sur le plan des mobilités. Il est incontestable que cette porte de Gesvres constitue un point noir pour les automobilistes. Mais quelle priorité doit guider l’action de Nantes Métropole ?

Le ton de la réponse à cette question est donné lors du vote de la délibération en conseil métropolitain, en octobre dernier. Prenant la parole, le maire (PS) de Saint‐Herblain et vice‐président de la métropole chargé des mobilités, Bertrand Affilé, lance l’argument imparable. « Cet aménagement est un dossier majeur pour notre agglomération. Pourquoi ? (…) J’ai cru comprendre dans les interventions des uns et des autres que l’objectif, c’était de partager, en zone urbaine, l’espace public de façon plus équitable entre la voiture et les modes actifs, la marche à pied, les déplacements à vélo. Donc, ça veut dire que si on veut y arriver, il faut faire en sorte qu’il y ait moins de voitures qui circulent dans nos quartiers. Et pour y arriver, il faut donc optimiser l’usage du périphérique. » CQFD. La démonstration est censée être faite : plus de voitures sur le périph’, c’est moins de véhicules dans les quartiers…

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Alignement d’arbres abattus sur le chantier de la porte de Gesvres, à Nantes. / Photo : Antony Torzec

Quid des promesses de Johanna Rolland ?

Si, lors du conseil, le groupe EELV s’opposera bien à ce raisonnement, c’est en restant sur les enjeux de mobilité. Un seul élu s’étonnera que la question environnementale passe ainsi à la trappe : le maire (LR) de Vertou, Rodolphe Amaillant, trop content de remarquer « qu’aucune bien‐pensance idéologique n’ait encore abordé cette question des arbres supprimés sur ce projet ». Une pierre envoyée dans le jardin du groupe EELV qui, au même moment, ne manquait pas de reprocher au maire de Vertou l’abattage de 16 arbres dans le cadre du projet d’aménagement “Demain la Sèvre”.

« Croyez bien que je suis en vigilance permanente sur les projets d’aménagement pour protéger au maximum les arbres. Nous devons sanctuariser des espaces naturels, répond Delphine Bonamy à Mediacités. Mais sur ce projet de la porte de Gesvres, le dossier était ficelé depuis bien longtemps. En prenant en compte les enjeux actuels, il aurait dû être conduit différemment », regrette la conseillère municipale et communautaire EELV.

Cette délibération entérinant le dossier sera finalement adoptée par les socialistes, les élus divers‐gauche et une partie de la droite. Le groupe EELV et Erwan Bouvais (élu centre‐droit de La Chapelle‐sur‐Erdre) voteront contre. Six élus choisiront de s’abstenir sur les bancs de la droite.

En adoptant cet aménagement tel quel, la majorité métropolitaine contrarie les promesses électorales de 2020 qui s’articulaient autour de « la priorité donnée aux déplacements propres (marche, vélo, vus, tram, train) et « de la défense de la biodiversité sur l’ensemble du territoire ». Tout comme le Département va à l’encontre de son engagement de « zéro artificialisation des sols ». Quant à la promesse 17 du programme de Johanna Rolland, « Les arbres partout dans la ville », nul doute que les futures campagnes de plantation ne feront pas oublier le bruit des tronçonneuses autour de la porte de Gesvres.


Lire aussi :

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Cet article concerne les promesses : 
Voir toutes les promesses de vos élus

  • Excellent article, merci pour toutes ces précisions.
    On peut apprécier la pugnacité des élus EELV qui certes votent contre, mais s’expriment avec un fort relent de fatalisme : « Delphine Bonamy, conseillère municipale et communautaire EELV, chargée de la nature en ville et des forêts urbaines. Notre groupe s’est opposé au projet. Force est de constater qu’il a été adopté de façon démocratique. » De façon démocratique, vraiment ? Alors que les décisions prises sont contradictoires avec les promesses électorales et les engagements du département comme de la métropole, que les conditions de l’enquête publique vont à l’encontre de toute démocratie, que l’avis de l’Autorité environnementale passe à la trappe, que cette destruction est contradictoire avec les vrais enjeux qu’exprime chaque jour une frange de plus en plus importante de la population préoccupée par un avenir plus que préoccupant, etc. etc. Démocratique, vraiment, Madame la « conseillère municipale et communautaire EELV, chargée de la nature en ville et des forêts urbaines » ???

  • Le massacre de Gesvres, un hôpital amphibie qui supprime des lits, …
    Malheureusement, le deuxième stade n’a pu se faire.
    Mais ils auront d’autres idées !
    Tiens, au fait, les arches de l’impuissance, péages autoroutiers ps/ellv, dits « péages Ségolène » vont bientôt s’écrouler …

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Par Antony Torzec