TRIBUNE – Les occupations temporaires, une solution contre les bureaux vides

Et si tous les bureaux vides de Toulouse étaient réutilisés pour accueillir des SDF, des migrants, des associations ou même des entreprises en difficulté ? Cette idée de bon sens est très complexe à concrétiser. A moins de prévoir des occupations temporaires, explique l’architecte Jaufret Barrot.

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Copyright : Jaufret Barrot (Toulouse)

Près de 240 000 mètres carrés de surfaces de plancher de bureaux étaient inoccupés en 2017, rien que sur la métropole toulousaine. Un stock d’autant plus alarmant qu’il tend à croître et à vieillir : plus de 90% de ce patrimoine vacant est catégorisé comme ancien par les analystes – car construit il y a plus de cinq ans –, sans compter que certains de ces immeubles ne correspondent plus aux normes et tendances actuelles. A l’heure de multiples crises (sociale, environnementale, migratoire et du logement), comment pouvons‐nous délibérément laisser inutilisées autant de surfaces bâties ?

Pour inventer la ville de demain – plus écologique, plus économe et plus égalitaire –, les acteurs de la production urbaine devraient commencer par s’interroger sur les conséquences de la spéculation immobilière : les logiques des investisseurs et promoteurs immobiliers de plus en plus influents ne risquent‐elles pas de prendre le pas sur l’intérêt public ? Qui, aujourd’hui, est vraiment propriétaire de la ville ? De par l’importance sociale de cette problématique, les architectes ont un rôle à jouer pour révéler le potentiel qui sommeille dans nos villes et en imaginer les usages avec les citoyens. Alors que le prix du foncier atteint des sommets et que les terrains disponibles à la construction se font de plus en plus rares, n’existe-t-il pas des solutions alternatives pour traiter de manière pérenne et socialement utile ces milliers de mètres carrés vacants dans nos métropoles ?

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Face à la production soutenue d’immeubles neufs – en moyenne plus 100 000 mètres carrés de surfaces de plancher par an dans Toulouse et ses environs –, l’investissement nécessaire pour rendre à nouveau attractif ces bâtiments tertiaires délaissés du fait d’une trop grosse concurrence serait conséquent. En outre, les loyers escomptés après travaux ne permettraient pas toujours d’équilibrer ce type d’opérations sur Toulouse.
La reconversion de tous ces bâtiments en logements semble elle‐aussi illusoire, ne serait‐ce qu’en raison du coût de la démolition‐reconstruction. Dans ces deux hypothèses, rénovation à destination d’entreprises ou reconversion pour des individus, la localisation – et avec elle, le manque d’attractivité de zones tertiaires historiques ou le manque d’équipements publics et d’infrastructures de transports –, se révèle bien souvent problématique.

Le patrimoine neuf ne représente, lui, que 20 000 m2 du stock vacant. Mais, là aussi, il semble extrêmement difficile à mobiliser malgré le coût très important de l’inoccupation pour les propriétaires : frais de gardiennage, frais d’entretien des façades, des parties communes, des espaces verts, frais de gestion, taxe foncière, etc. La reconversion des tours Les Portes Sud de Bordelongue à Toulouse, un « produit » (tel est devenu l’immobilier tertiaire) n’ayant pas encore trouvé ses locataires, est impensable tant que son propriétaire n’a pas amorti le coût de sa construction. Par ailleurs, sa transformation en immeubles de logement dans un secteur soumis au Plan d’Exposition Bruit (PEB) n’est pas envisageable à moins de démolir autant de logements existants que de logements créés.

«Des freins financiers, techniques et politiques restent à lever »

En alternative à ces projets complexes de réhabilitation ou de reconversion définitive en logement, il est possible d’imaginer d’adapter ces bâtiments de manière transitoire, sur une période courte et pour un coût bien moindre. L’un des scénarios d’occupation éphémère étudié dans le cadre de mon projet de fin d’études, mené en 2016 avec Cinthia Carrasco, est l’installation de résidences temporaires dans ces immeubles vacants, sans versements de loyers mais avec une indemnisation des coûts réels (consommation en eau et électricité) afin de répondre à l’urgence de mise à l’abri des personnes n’ayant pas de logement. Notre objectif était de révéler le potentiel de ces bâtiments vacants en proposant différents usages possibles, comme celui de l’habitat éphémère ou de services pour redynamiser certains quartiers.

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Bien qu’attrayante sur le papier, de nombreux freins restent encore à lever pour concrétiser l’idée d’une telle occupation intercalaire. Pourquoi ? Tout d’abord parce que les propriétaires de ces immeubles anciens n’ont pas d’intérêt financier à soutenir ce type de projets d’intérêt général. Outre que le coût de la construction a, dans la plupart des cas, déjà été amorti, quelques baux commerciaux leur permettent en général de compenser au moins partiellement les coûts de la vacance. Ensuite, la logique de marché et la spéculation limitent les chances de mise en œuvre de ces solutions alternatives. Les foncières institutionnelles et autres gestionnaires d’actifs se cachant derrière ces opérations immobilières ont des engagements auprès de leurs actionnaires qui ne leur permettent pas de proposer ces bâtiments à d’autres usages que du bureau, afin d’éviter une dévaluation du bien immobilier. 

Copyright : Jaufret Barrot (Toulouse)

Si une occupation temporaire de ces surfaces privées vacantes pour de l’hébergement peut paraître pertinente et d’intérêt général, elle reste donc difficilement envisageable sans modifications légales et une plus grande implication des pouvoirs publics. La question de l’accueil de personnes précaires reste un sujet très clivant que le politique a parfois du mal à assumer. Si l’accueil d’activités, d’associations et de projet culturels pourraient être plus facilement mise en place dans le cadre d’occupations intercalaires, il n’en resterait pas moins compliqué.

Une fenêtre va néanmoins s’ouvrir au printemps. La politique du logement sera mise en débat avec l’examen, au printemps, du projet de loi ELAN. Ne serait‐il pas temps d’obliger les propriétaires fonciers à déclarer publiquement la part de leur patrimoine vacant, afin de rééquilibrer le rapport de forces et amener les fonds d’investissements à accepter des occupations d’intérêt général, temporaires ou définitives ? Le personnel politique national doit‐il inciter les élus métropolitains à augmenter la fiscalité foncière sur l’immobilier tertiaire, voire à créer une taxe sur les bureaux vides, pour contraindre les propriétaires à trouver des solutions pour leurs actifs inoccupés ? Autres idées qui pourraient être mises au débat : favoriser les reconversions de bureaux anciens en logements et rapprocher les normes de la construction neuve de bureaux et de logements pour faciliter les reconversions futures.

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Sans attendre ce débat national ni s’engager dans un rapport de force aujourd’hui déséquilibré au niveau local avec les acteurs privés de l’immobilier tertiaire, une autre solution existe d’ores et déjà pour mettre en œuvre un tel scénario d’hébergement d’urgence : mobiliser le patrimoine public dont l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs partenaires sont propriétaires. De manière pragmatique, il est important de mobiliser en priorité les bâtiments appropriés à du logement car l’adaptation de bureaux, surtout de manière transitoire, représente toujours un coût qu’il serait judicieux d’investir en priorité dans la réhabilitation de logements vacants. C’est d’autant plus faisable de la part de l’Etat ou de ses partenaires parapublics que la ville de Toulouse mobilise depuis plusieurs années déjà une partie de son patrimoine vacant (des logements) pour créer des places d’hébergements. Les bailleurs sociaux ont également des immeubles de logements partiellement vides sur des périodes pouvant durer plusieurs années (lors d’un projet de rénovation par exemple) qui sont, là aussi, plus facilement exploitables que le patrimoine immobilier tertiaire. Il faudrait cependant imaginer un dispositif pour généraliser et systématiser à l’échelle nationale cette pratique de bon sens.

Et si le rêve devenait réalité ? 

Diplômé d’une école d’ingénieurs en 2014 puis d’une école d’architecture en 2016, Jaufret Barrot s’est installé à son compte et travaille comme architecte et assistant en maîtrise d’ouvrage à Toulouse. Sans oublier ses rêves d’étudiant pour autant. En parallèle de ses activités professionnelles, il a développé « L’Agence Intercalaire », avec Antoine Chardonny et Thomas Couderette. Objectif : adapter des surfaces vacantes en habitat temporaire pour de l’hébergement d’urgence mais ausi des activités associatives, entrepreneuriales et sociales. Des repérages sont en cours avec plusieurs acteurs locaux dans l’idée d’expérimenter rapidement ces opérations d’occupations transitoires et les ouvrir autant que possible sur leurs quartiers.

  • Votre article relève d’une réflexion bien pensante, mais est en contradiction avec les 2 articles publiés par votre journal le 20 février. Dans ces articles vous faisiez état d’une étude sur l’inégalité environnementale dont soufrent les quartiers populaires. Cet articles s’appuyait sur l’ouvrage « inégalités environnementales coordonné par Catherine Larrère » et une étude de l’observatoire régional de santé, dans ces deux articles le quartier de Bordelongue est cité comme étant le quartier le plus pollué de Toulouse. Le constat était une augmentation de 15 à 30% de cas dasthme chez les enfants et des pathologies chroniques respiratoires et cardiovasculaires chez les adultes âgés de 65 ans et plus (pneumonies, infartus et AVC.… . Les bureaux dont parle cet articles sont situés à Bordelongue, est il raisonnable d’envisager de loger et d’exposer (même provisoirement) des sans abris à ces risques ? De plus s’il existe un problème de logement il faut le poser dans des quartiers socialement plus stables, ne rajoutons pas des problèmes dans un quartier déstabilisés par une forte densité de logements sociaux. La mixité ce n’est pas uniquement dans les études sociologiques qu’il faut la faire mais sur le terrain, et dans le cas présent cette initiative accroitrait la paupérisation du quartier.
    Le comité de quartier que je représente à déjà dénoncé ce projet comme une fausse bonne idée, et dans ce cadre se tiens à votre disposition pour prolonger le débat.
    Non à l’exclusion, oui au relogement, mais halte à la concentration des problèmes environnementaux et sociaux.
    Christian Gutierrez

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Par Jaufret Barrot