Ubu à Mediapart

La tentative absurde de perquisition de la justice chez nos confrères de Mediapart signe l’inquiétante fragilité de notre démocratie.

Mediapart
Photo : creative commons.

« Bonjour, c’est pour la perquisition. » Imaginez la scène. Ce lundi 4 février vers 11 heures, deux procureurs du Parquet de Paris et trois policiers sonnent à la porte de la rédaction de Mediapart, dans le 12e arrondissement de Paris. La conférence de rédaction du journal d’investigation est sur le point de s’achever. Chez nos confrères, la surprise est totale. Les étonnants visiteurs sont accueillis par Fabrice Arfi et Michaël Hajdenberg, co‐responsables du pôle enquêtes de Mediapart. Ils expliquent benoîtement les raisons de leur venue. Ils veulent récupérer des données suite à l’ouverture d’une enquête préliminaire pour violation de la vie privée d’Alexandre Benalla et pour détention illicite d’appareils d’interception. Jeudi 31 janvier, nos confrères avaient publié des extraits de conversation privée entre l’ancien conseiller sécurité du président et son ami, le gendarme Vincent Crase…

La demande relèverait du Père Ubu, le personnage d’Alfred Jarry emblématique de l’absurdité du pouvoir, si la situation n’était pas grave. Qui a bien pu décider d’envoyer cinq fonctionnaires de la République toquer à la porte d’une rédaction connue pour son indépendance et la force de ses investigations sans imaginer qu’ils se feraient gentiment – mais fermement – éconduire ? On imagine l’échange. « Disposez‐vous d’un mandat du juge des libertés et de la détention ? demandent en substance nos confrères. Non ? Eh bien, nous nous opposons donc à la perquisition comme nous en avons le droit. Et quand bien même vous l’auriez, nous nous opposerions aussi au nom du sacro‐saint secret des sources sans lequel la presse n’est rien. »

Et voici nos cinq fonctionnaires (dont un commissaire divisionnaire de la brigade… criminelle, excusez du peu !) repartir bredouilles, sans doute légèrement gênés de leur inconséquence. De quoi s’agit-il ? Dans quel délire est‐on tombé ? En publiant les extraits de la conversation d’Alexandre Benalla et de Vincent Crase, qui s’est tenue le 26 juillet 2018 en pleine affaire, nos confrères ont mis au jour pas moins de trois infractions : la violation du contrôle judiciaire (les deux hommes avaient interdiction de se parler) ; leur implication dans un contrat passé avec un oligarque russe proche de la mafia de ce pays ; la volonté de détruire des preuves de ces liens. Et que fait notre justice ? Elle s’inquiète de la violation de la vie privée d’Alexandre Benalla. Mieux ! L’intéressé n’a même pas porté plainte. Le parquet a agi de son propre chef. Nous vivons donc vraiment au royaume d’Ubu !

Faut‐il le dire et le répéter ? Le respect des sources est la condition sine qua non d’une presse libre. Faut‐il qu’elle soit à ce point malade pour qu’un responsable (qui ?) décide de dépêcher cette triste clique dans l’une des rédactions qui honore le mieux la liberté d’informer dans notre pays ? Cette pitoyable initiative résonne amèrement à l’heure du vote de la loi « anti‐casseurs » qui porte un nouveau coup de boutoir à nos libertés publiques.

A sa mesure, Mediacités entend contribuer à une démocratie vivante en jouant son rôle ‑et uniquement son rôle – de contre‐pouvoir dans les métropoles de France. Notre rédaction apporte son plus vif soutien à nos confrères de Mediapart. Elle défendra toujours et encore ce qui constitue le droit fondamental d’une grande démocratie : le droit d’informer en toute liberté, au service de l’intérêt général.

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Par Jacques Trentesaux, directeur de la publication de Mediacités