L’incroyable fiasco du métro

Les usagers de la ligne 1 du métro automatique de Lille, compressés comme des sardines aux heures de pointe, ne sont pas près de voir leur situation s'améliorer. Révélations sur l'énorme ratage du projet de doublement des rames.

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Bouche de métro à Lille / Andia.fr

Lorsqu’il fut inauguré en 1983, le VAL était le plus beau métro au monde. Aujourd’hui, on a le métro des pannes, des retards, de l’obsolescence… et, en plus, il est impossible de le rénover. » Le jugement de ce fin connaisseur du métro automatique lillois peut sembler sévère. Il résume pourtant bien l’incroyable fiasco que connaît cet équipement. On l’avait annoncé haut et fort : la ligne 1 devait bénéficier d’une cure de jouvence avant la tenue de l’Euro 2016 de football, en juin 2016, afin d’éviter la « thrombose ». Sur le papier, tout était simple car les constructeurs – fait rarissime – avaient anticipé dès l’origine la saturation du trafic et bâti des quais deux fois plus longs que les rames. Il suffisait donc de s’équiper en rames de 52 mètres, dites « boa » en raison de leur ressemblance avec un long serpent, et le tour était joué. Et puis patatras ! Rien ne s’est passé comme prévu. Pis ! Personne ne se risque désormais à un pronostic sur une date de mise en service. En coulisses, se joue un incroyable bras de fer que Mediacités vous révèle.

Tout commence en mai 2012. Cette année là, contre toutes attentes, la Métropole européenne de Lille (MEL) choisit Alstom et le groupement Egis Rail – Systra pour la modernisation de la ligne 1. L’enveloppe de ce chantier géant s’élève à 660 millions d’euros, dont 266,9 millions pour les seules nouvelles rames. La surprise est d’autant plus grande que l’offre du concurrent Siemens est de 11 millions d’euros moins chère et que la multinationale allemande maîtrise parfaitement la technologie depuis qu’elle a « avalé » Matra, le constructeur du VAL. Le ton enfle, les recours juridiques pleuvent. Mais rien n’y change. Dépité, Siemens France finit par rapatrier ses équipes de Ronchin vers Toulouse où se concentre désormais toute son activité métro automatique. Dommage pour les dizaines d’emplois de cadres perdus au passage par la métropole de Lille…

Alstom, le champion français souvent considéré comme l’enfant gâté des collectivités, a été choisi pour son « faible coût de fonctionnement sur le long terme » et pour un « système de pilotage automatique offrant une grande souplesse d’exploitation. » Cocasse quand on sait que c’est exactement là où le bât blesse aujourd’hui ! C’est à l’usine de Petite‐Forêt, près de Valenciennes, que les 27 rames doivent être construites. A ce jour, seules quatre l’ont été. Mais aucune n’a été réceptionnée en raison de défaillances sur les systèmes de guidage automatique fabriqués, eux, à Saint‐Ouen, en région parisienne. Le blocage intervient au plus mauvais moment. Car le plan de charge de l’usine nordiste est au plus bas, au point que des mesures de chômage partiel ont été prises. Alstom a‑t‐il surestimé ses capacités ? Tout le laisse croire.

Lorsqu’il arrive aux commandes de la MEL, en mars 2014, le président Damien Castelain hérite de la « patate chaude ». Et quand il constate qu’Alstom ne lui donne aucune précision sur un nouveau calendrier prévisionnel, il finit par voire rouge. En cas de retard, rappelle‐t‐il, le contrat prévoit le versement d’une pénalité maximale de 53,4 millions d’euros ! La colère de Damien Castelain est d’autant plus grande que Transpole, l’exploitant du réseau, lui réclame 11 millions d’euros d’indemnités pour compenser le manque de recettes d’exploitation liées… à la non‐livraison des rames « boa ».  Ainsi, le total des voyages effectués sur l’ensemble du réseau Transpole culmine à 175 millions de voyages alors que les projections tablaient sur 230 millions dès 2017.

« Quelques têtes, et non des moindres, tombent à quelques mois d’intervalle »

Entre les différents protagonistes, le ton monte. Chacun se renvoie la responsabilité des errements. A qui la faute ? Au seul constructeur Alstom ? A Egis Rail‐Systra, le maître d’œuvre censé assurer la bonne exécution de ce chantier très complexe qui réunit plus d’une centaine de sous‐traitants ? A l’exploitant du réseau, Transpole, qui assure l’assistance à la maîtrise d’ouvrage ? Ou à la MEL en tant que maître d’ouvrage ? Comme souvent en pareil cas, il est redoutable de faire la part des choses. Toujours est‐il que quelques têtes, et non des moindres, tombent à quelques mois d’intervalle. Fin 2015, Thierry du Crest quitte la MEL dont il était directeur général adjoint chargé des déplacements. En avril 2016, le directeur du projet chez Alstom, Patrice Attala, est affecté à d’autres missions. En juin, la MEL missionne le cabinet Light Consultants pour recruter un  directeur délégué aux transports… Mauvais signaux.

Damien Castelain finit par saisir le tribunal administratif de Lille pour qu’un expert judiciaire soit désigné afin de démêler les responsabilités. Sa requête est jugée favorable le 2 mai 2016. L’expertise devait durer six mois, jusqu’à début novembre. On attend toujours ses conclusions. Quant à l’expert, son identité reste inconnue, le tribunal estimant « prématurée la divulgation du nom sur ce dossier sensible ». Pour couronner le tout, ce bras de fer se déroule au moment où la MEL a engagé le processus de renouvellement de la concession de service public de son réseau de transport. Un marché gigantesque dont il a fallu extraire le dossier du doublement des rames de la ligne 1. Début octobre, le sauvetage rocambolesque de l’usine Belfort d’Alstom achève de complexifier la donne. Comment accuser Alstom Transport d’avoir failli à Lille au moment même où le gouvernement s’emploie par tous les moyens à sauver le constructeur au nom de la sauvegarde de l’industrie nationale ?

A Lille, le sac de nœud est tel que certaines voix s’élèvent pour « arrêter les dégâts » et réclamer l’annulation pure et simple du projet. Après tout, la hausse du trafic lié à l’Euro 2016 (+ 130 000 voyageurs) a été gérée sans difficulté. Et la saturation de la ligne 1, où défile une rame toutes les 66 secondes en heure de pointe – un délai incompressible -, ne concernent que quelques stations, dont au premier chef Lille‐Flandres. Est‐il bien raisonnable de débourser 660 millions d’euros pour une simple modernisation de ligne ? D’autres projets plus structurants – la création d’un tramway dans une zone mal desservie de Roubaix ou vers le Nord de la métropole – ne seraient‐ils pas préférables ?

Que faire ? Est‐il encore temps de tout annuler ? Pas évident dans la mesure où la MEL se trouve au milieu du gué. A la fin octobre 2016, 139,4 millions d’euros avaient déjà été déboursés. Annuler un tel contrat serait aussi s’exposer à des demandes d’indemnisations colossales de la part d’Alstom mais aussi à la perte des subventions versées par les autres collectivités (29 millions par l’État, 53,5 millions par la région et autant par le département). Lors des Assises de la mobilité, le 22 septembre dernier, le président Castelain a officialisé le lancement d’études pour la création d’un tramway entre Lille et l’aéroport de Lesquin. Un joli projet qu’il espère financer grâce aux économies de 140 millions d’euros attendues sur le nouveau contrat de concession. Mais qui peine à occulter l’imbroglio politique, technique et technocratique d’un métro devenu… cauchemardesque.

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