Gérard Lopez et Manchester City : un fonds secret pour contourner les règles

Deux sociétés luxembourgeoises de Gérard Lopez ont agi sous le contrôle de Manchester City pour permettre au club anglais d'investir secrètement sur des joueurs sudaméricains en contournant les règles, selon un plan proposé par Marc Ingla et ses associés de Mangrove Capital Partners.

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Illustration : Jean Paul Van der Elst.

Le 20 décembre dernier, Marc Ingla, directeur général du Losc, était officiellement radié du conseil de gérance d’une société luxembourgeoise baptisée MPI II Sarl. Une filiale de Mangrove Founders, dont Gérard Lopez, le président du Losc, est co‐actionnaire principal à hauteur de 37,5%. Il y a deux ans, Mediacités, Mediapart et France 3 Hauts‐de‐France avaient révélé qu’il s’agissait d’une des deux sociétés via lesquelles l’homme d’affaires hispano‐luxembourgeois faisait l’acquisition de droits économiques de joueurs de football, afin d’empocher un juteux pourcentage sur leur futur transfert. C’est ce qu’on appelait la tierce propriété, la fameuse TPO (third party ownership), interdite depuis le 1er mai 2015 par les règlements de la FIFA car considérée par les instances du foot comme de « l’esclavage moderne ».

Grâce à de nouveaux documents inédits issus des Football Leaks – ces millions de données confidentielles recueillies par le magazine allemand Der Spiegel  – nous avons découvert que MPI II avait été en fait spécifiquement créée à l’automne 2013 pour gérer un fonds de tierce‐propriété piloté secrètement par Manchester City et financé depuis l’émirat d’Abou Dhabi, via une société offshore des Îles Caïmans.

Avant de prendre le contrôle du Losc en janvier 2017, Gérard Lopez et Marc Ingla n’ont donc pas hésité à servir de prête‐noms à Manchester City. Le club anglais et ses filiales du City Football Group ont pu ainsi contourner les règlements et préempter plusieurs jeunes joueurs en dessous des radars. Les magouilles de Manchester City pourraient lui coûter très cher, puisqu’en novembre dernier, Mediapart révélait aussi, grâce aux documents Football Leaks, que le club anglais avait massivement fraudé les règles du fair play financier en encaissant 2,7 milliard d’euros de subventions déguisées de son richissime propriétaire, le cheikh Mansour d’Abou Dhabi.


 

Fonds « X »

L’histoire débute à la fin de l’été 2012 lorsque Ferran Soriano, ancien vice‐président du FC Barcelone, est nommé directeur exécutif de Manchester City, l’un des « nouveaux riches »  du football anglais. Racheté quatre ans plus tôt par le cheikh Mansour bin Zayed al Nahyan, demi‐frère du souverain d’Abou Dhabi, le club vient de fêter son premier sacre en Angleterre après 44 ans de disette. Mais le regard du nouveau directeur exécutif espagnol scrute bien au‐delà du Royaume.

Le 25 octobre 2012, dans une note qu’il transmet à son président, Khaldoon al‐Mubarak, et à deux conseillers, les très influents Simon Pearce et Martin Edelman, Ferran Soriano expose ses ambitions pour les cinq années à venir avec la création du City Football Group (CFG). « C’est un document de travail que nous pourrons mettre à jour en progressant », indique‐t‐il à ses interlocuteurs. Appelé à devenir une véritable multinationale du ballon rond, le City Football Group doit regrouper à terme Manchester City et ses futurs clubs‐filiales implantés dans le monde (Etats‐Unis, Chine, Australie…) ainsi que différentes entités transversales, en charge de la formation, du marketing ou des médias…

La note de Soriano évoque aussi le Fonds « X ». « Un fonds d’investissement qui achèterait, vendrait ou prêterait des joueurs à des clubs CITY et à d’autres clubs dans le but de pouvoir effectuer des investissements stratégiques ou tactiques dans des joueurs et des ventes de joueurs sans affecter le compte de résultat individuel du club », est‐il écrit.

Et le document de préciser que « le fonds serait géré de manière indépendante mais recevrait les instructions du groupe de football CITY ». Il « n’aurait aucun lien de marque avec CITY et aurait comme objectif principal d’être au moins neutre sur le plan des coûts ».

A l’époque, il existe déjà des fonds de tierce‐propriété de joueurs, liés à des clubs de football, comme le Benfica Stars Fund géré par Espírito Santo Financial Group. Mais le Portugal est alors bien plus tolérant en matière de tierce propriété des joueurs de football que ne l’est l’Angleterre où cette pratique est interdite depuis 2008. La FIFA réfléchit elle aussi, à ce moment‐là, à une interdiction.

Mais peu importe. « Même s’il y une incertitude juridique sur la tierce propriété (TPO) et le risque potentiel qu’elle soit bannie par la FIFA et l’UEFA (…), les clubs et les fonds sont déjà en train de regarder et d’essayer des schémas alternatifs pour contourner cette interdiction potentielle », peut‐on lire en introduction d’un autre document interne (« CFG Players Investment Fund ») que Ferran Soriano partage avec Khaldoon al‐Mubarak le 7 mars 2013.

L’objectif est alors d’investir 30 millions d’euros sur environ 70 joueurs pendant 10 ans, avec un taux de rentabilité interne de 30%. La cible : « les meilleurs jeunes joueurs d’Amérique du Sud identifiés par le réseau de recrutement » de Manchester City, dont 40% de mineurs. Le futur fonds pourrait aussi devenir propriétaire d’un club en Amérique du Sud, qui « servira seulement de plateforme pour enregistrer les joueurs ». L’Uruguay – où « une équipe‐coquille peut enregistrer jusqu’à 40 joueurs »- est la piste privilégiée.

Ne reste plus, selon ce document, qu’à trouver un « partenaire de confiance » pour monter ce fonds.

Connexion catalane

Le 9 mars 2013, Ferran Soriano reçoit le feu vert de sa hiérarchie. « Le fonds d’investissement joueurs a été approuvé par le board », annonce‐t‐il à quelques uns de ses collaborateurs, tous passés comme lui par le FC Barcelone : le directeur technique Txiki Begiristain, le directeur financier Jorge Chumillas, le chef recruteur en Amérique Latine Joan Patsy et le conseiller principal Francisco Lopez (qui n’a aucun lien de parenté avec Gerard Lopez).

Une autre connaissance catalane vient aussi donner un coup de main pour ce projet : un certain Marc Ingla. Lui et Soriano se connaissent très bien. Ils ont créé et dirigé ensemble, dans les années 1990, une société de conseil spécialisée dans les télécommunications. Ils sont ensuite entrés tous les deux à la direction du FC Barcelone après l’élection de Joan Laporta à la présidence du club en 2003. Ferran Soriano était le vice‐président en charge des finances. Marc Ingla celui qui s’occupait du marketing. Puis en 2010, Soriano a soutenu la candidature d’Ingla à la présidence des Blaugranas. Mais sans succès…

Depuis, Marc Ingla a rejoint une société d’investissement luxembourgeoise, Mangrove Capital Partners, créée et détenue par Gerard Lopez, l’Américain Mark Tluszcz et l’Allemand Hans‐Jürgen Schmitz. Un trio en quête de bonnes affaires, qui a investi avec succès, dans les années 2000, dans des start‐ups comme Skype. Le 13 avril 2013, Ingla transmet à Soriano des documents, élaborés par Mangrove et leurs conseillers, pour mettre en place le fonds d’investissement souhaité par son ancien collègue du Barça.

L’un de ces documents, intitulé « MPI II, acquisition de droits économiques de joueurs de football par l’intermédiaire d’une plateforme d’investissement au Luxembourg », rappelle que « les actionnaires du MCFC (Manchester City Football Club, NDLR) et ses principaux dirigeants veulent construire une plateforme d’investissement sur les joueurs (ou « Player Fund ») avec pour objectif principal d’acquérir à bas prix des droits économiques sur les meilleurs talents du football latino‐américain et avec pour objectif ultime de fournir des joueurs mûrs et talentueux pour l’équipe première de City ou de l’un des clubs contrôlés par le City Group. »

Mais il souligne aussi que Manchester City « veut apparaître comme une entité totalement indépendante et une partie non liée au Player Fund ». Pourtant, il est bien écrit aussi, dans le même document, que « MCFC prendra toutes décisions sportives et d’investissement (au début et quand transferts vers un club City) », notamment à travers son département sportif et ses réseaux de scouting (détection de joueurs).

Alors quelle est l’astuce ? Et bien Mangrove propose de créer elle‐même ce fonds, estimant que son absence de lien juridique avec Manchester City, fera de la société luxembourgeoise « un facilitateur clé pour éviter les règles » du Fair Play Financier. Les règlements européens de l’UEFA imposent en effet aux clubs – dans le cadre de leur octroi de licence et de l’examen de leurs finances – d’indiquer tout contrat ou relation avec une « partie liée », par exemple une société contrôlée par le club lui‐même ou par son propriétaire. 

Document de Mangrove Capital Partners, où la société se propose comme facilitateur pour éviter le FPF (EIC).Pour autant être indépendant juridiquement ne suffit pas aux yeux de l’UEFA qui définit « le contrôle d’une entité » comme « le pouvoir de diriger les politiques financières et opérationnelles (…) afin d’obtenir des avantages de ses activités ». Mangrove propose donc un schéma plus sophistiqué.

Le futur fonds s’appellera MPI II. MPI pour Mangrove Player Investment et II, parce que Mangrove a déjà lancé, en 2012, un premier fonds MPI spécialisé dans l’achat de droits économiques de joueurs. Après sa création, MPI II signera un accord de coopération avec le club partenaire (Manchester City) et une deuxième société luxembourgeoise (MP II & Partners) qui sera chargée d’acheter les droits économiques des joueurs.

Cette seconde entité sera la propriété d’une fondation néerlandaise (Stichting MPI II) et sera financée par un emprunt obligataire. Sur le papier, ce sera donc très compliqué d’établir un lien entre MPI II et le riche club du nord de l’Angleterre.

Honoraires à 1,25%

La proposition de Marc Ingla et de Mangrove séduit les dirigeants de Manchester City, notamment Francisco Lopez, conseiller du club qui va prendre le dossier en main. Le contact est maintenu entre les deux Espagnols mais aussi avec un autre dirigeant de Mangrove, Hans‐Jürgen Schmitz, qu’Ingla présente comme « le cerveau derrière la structuration ».

Le 17 juin 2013, Joan Patsy, le chef recruteur de Manchester City en Amérique Latine, s’impatiente déjà. « J’aimerais savoir si on peut attaquer certains investissements sur des jeunes joueurs qui pourraient se présenter dans les semaines qui viennent », demande‐t‐il à Ferran Soriano et Txiki Begiristain. Mais en coulisses, le club et Mangrove en sont encore à peaufiner le schéma de leur future collaboration. « On a spécifié de façon plus détaillée qui fait quoi et comment la marque MC (Manchester City, NDLR) sera « dissimulée »», écrit Marc Ingla à Francisco Lopez le 27 juin. « D’une manière générale, nous pensons que tous les deals avec les clubs vendeurs doivent être faits par l’agent du joueur et un représentant de Mangrove, tandis que les opérations initiales avec le joueur et son agent doivent être faites par les recruteurs de MC ou une autre personne représentant MC. La majorité des coûts des transactions est assumée par le fonds, ce qui rendra encore plus clair le fait que l’investisseur est MPI II (Mangrove)». 

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La structure du fonds exposée dans une présentation interne de Manchester City en date de juillet 2013. / © EIC

« Les investisseurs du véhicule doivent être indépendants du club de football partenaire pour ne pas être une partie liée et ainsi contourner les règles du FPF (fair play financier, NDLR) », rappelle‐t‐il à son interlocuteur le 23 juillet. « La structure entière gravite autour de cette idée ».

Le 7 août, Ferran Soriano a trouvé un accord avec Mark Tluszcz, le directeur exécutif de Mangrove, sur le montant des honoraires que percevra la société luxembourgeoise pour gérer le fonds : 375 000 euros par an soit 1,25% de l’investissement prévu à terme (30 millions d’euros). « Ai parlé de tout ça avec KAM (Khaldoon Al‐Mubarak, NDLR) à Hong‐Kong, il est OK pour avancer », annonce Soriano à ses collaborateurs.

Le 30 août, le projet est définitivement présenté lors d’une réunion de l’Abu Dhabi United Group (ADUG), la holding du cheikh Mansour qui détient Manchester City. « La recommandation est d’établir le fonds en dehors des structures CFG / ADUG (…) pour épargner au CFG (City Football Group, NDLR) tout problème réglementaire. Mangrove Capital Partners a été identifié comme le partenaire le plus adéquat pour nous aider à mettre en place le fonds d’investissement joueurs », peut‐on lire dans le document Powerpoint préparé pour l’occasion.

Iles Caïmans

Les différents pions de la structure juridique sont mis en place à l’automne 2013 : MPI II Sarl est enregistrée le 7 octobre 2013 au Luxembourg. Elle a notamment comme gérants Marc Ingla et Hans‐Jürgen Schmitz. Puis c’est au tour de la fondation néerlandaise Stichting MPI II d’être immatriculée le 9 octobre à Amsterdam, aux Pays‐Bas. C’est elle qui possédera sur le papier 100% de MPI II & Partners – le fonds à proprement parler – créé le 18 octobre.

Mais une question majeure n’a pas été tranchée : quelle entité apportera le financement ? Au sein du board de Manchester City, on s’interroge encore. Le 14 octobre 2013, un expert renommé en droit du sport est discrètement consulté par des relais du club sur l’architecture du projet et les risques encourus. Son avis, négatif, tombe cinq jours plus tard : « la façon la plus respectueuse de procéder serait d’éviter l’implication dans un programme d’investissement, ou, tout du moins, de l’éviter avant d’avoir obtenu une approbation, même informelle » des autorités du football.

Cela ne refroidit pas pour autant les dirigeants de Manchester City. Mais ils vont faire en sorte de brouiller un maximum les pistes entre le club et le fonds créé par Mangrove. Le 4 novembre 2013, Martin Edelman, conseiller du board, adresse un message à Ali Alfrayhat, conseiller juridique en chef de l’Executive Affairs Authority (EAA), une agence gouvernementale d’Abou Dhabi, présidée par Khaldoon al‐Mubarak, le patron de Manchester City. Simon Pearce, autre conseiller du board, et Ferran Soriano font également partie des destinataires. « Nous sommes prêts pour financer « quelques » euros dans le fonds d’investissement joueurs géré par Mangrove », écrit Edelman. « Je crois qu’on s’est tous mis d’accord pour que tu crées une nouvelle compagnie détenue par ADUG ou par quiconque sera choisi par toi et Khaldoon pour en être le propriétaire ».

Mais les choses traînent en longueur. Le 21 janvier 2014, Ferran Soriano relance Alfrayhat par courriel (Pearce, Edelman et al‐Mubarak sont en copie). « Il y a une acquisition de joueur sur laquelle on travaille depuis des mois et qui est suspendue à la signature finale. Pour être capable de devancer nos concurrents, nous avons besoin que le fonds d’investissement joueurs soit en place. Je crois que les documents concernant le fonds sont avec toi et qu’ils n’attendent plus que leur exécution ».

Ali Alfrayhat lui répond le jour‐même : « A la suite de ma rencontre avec Francisco (Lopez, le conseiller principal, désormais promu directeur commercial de City Football Services NDLR) et les clarifications fournies, nous avons établi une structure d’entreprise et exécuté les documents. Roscalitar Limited, Iles Caïmans. (…) Je t’enverrai une copie scannée des documents qui m’ont été envoyés par courrier ».

L’investissement sera donc porté par une coquille offshore, domiciliée dans un paradis fiscal opaque, où le nom des bénéficiaires des sociétés ne figure dans aucun registre public. Mais grâce aux Football Leaks, nous connaissons l’adresse commerciale de Roscalitar : PO Box 44442, Mamoura A Building, Muroor Road, à Abou Dhabi. Les mêmes bâtiments que l’ExecutiveAffairs Authority…

Le 10 avril 2014, un billet à ordre (« Asset Linked Promissory Note ») est signé entre Roscalitar et MPI II & Partners, le fonds luxembourgeois créé par Mangrove. 10 millions d’euros d’obligations sont ainsi émises et souscrites pour financer les acquisitions de droits économiques des joueurs. La première tranche d’un financement qui pourra aller jusqu’à 30 millions.

Bruno Zuculini

Après des mois de gestation, le fonds d’investissement mis en place par Mangrove et City peut enfin passer à l’action. Le 12 février, MPI II a formalisé un accord de coopération avec City Football Services, la filiale du City Football Group qui chapeaute notamment les activités de scouting. Faute de financement, le nouveau fonds a laissé filer quelques opportunités fin 2013, comme le jeune défenseur latéral gauche brésilien Abner, qui rejoindra le Real Madrid l’été suivant.

La cible prioritaire désormais est le milieu de terrain argentin Bruno Zuculini, 21 ans, qui évolue au Racing Club de Avellaneda. MPI II & Partners n’a pas pu acquérir de droits économiques auprès du club argentin. Du coup, un curieux accord va être mis en place avec Pub Soccer BV, une société néerlandaise contrôlée par l’agent du joueur, Norberto Dario Decoud.

En échange de 1,9 million de dollars payés par MPI II & Partners, Pub Soccer s’engage à « inciter le joueur à conclure un accord avec le club de football désigné » par le fonds. Le contrat est signé le 10 avril 2014 et, bien entendu, le club désigné par MPI II est Manchester City.

Grâce à ce deal, négocié plusieurs mois en amont avec le joueur et son agent, le club anglais a pu « sécuriser » la signature de Zuculini et empêcher des clubs rivaux de le recruter. En échange, City doit payer à MPI II & Partners une commission de 2,5 millions de dollars (2 millions d’euros à l’époque) lors de la signature officielle du joueur à l’été 2014. Une somme identique à l’indemnité de transfert qui sera aussi versée au Racing Club en Argentine.

Au siège de Manchester City, il règne une certaine confusion autour de cette commission en faveur de MPI II & Partners. « Est‐ce en addition de l’indemnité de transfert qu’on paye vraisemblablement au Racing ? interroge ainsi en interne Simon Cliff, le directeur juridique. Quelles sont les conditions du paiement de 2,5M$ ?» C’est pourtant lui qui va devoir justifier ce paiement auprès des autorités de la Premier League et de la FA, la fédération anglaise.

Quand Gérard Lopez sert d’alibi

Outre‐Manche effectivement, la fédération sert de chambre de compensation sur les transferts internationaux. Elle centralise ainsi tous les paiements des clubs et verse elle‐même les commissions à leurs bénéficiaires. A condition bien entendu qu’elle les valide.

Le 13 juin 2014, Simon Cliff joue la transparence et transmet à la Premier League et la FA plusieurs documents relatifs aux droits économiques de Bruno Zuculini, notamment le contrat signé entre Pub Soccer et MPI II & Partners.

Mais visiblement ça coince. Les instances s’interrogent. « Qui est le propriétaire bénéficiaire ultime de MPI ? », demande un responsable de la Premier League à Simon Cliff, le 4 juillet. « MPI est un fonds dont le propriétaire ultime est une société de capital‐risque qui s’appelle Mangrove Capital Partners », lui répond le directeur juridique de City. Mais ça ne suffit pas…

« Qui est le bénéficiaire effectif de Mangrove Capital Partners ? » insiste, le 17 juillet, le même responsable de la Premier League, qui semble flairer un truc louche. « Nous nous réservons le droit d’exiger du club un engagement formel auprès de la Premier League et de la FA (…) indiquant que les enquêtes appropriées ont bien été menées », prévient‐il.

« Mangrove est une société de capital‐risque, propriété de ses associés », lui répond Simon Cliff, qui alerte sa hiérarchie le 22 juillet. « Ils ne semblent pas comprendre l’implication du fonds Mangrove et le paiement qu’on doit leur faire » , écrit‐il au directeur exécutif Ferran Soriano et d’autres cadres du club. « La FA n’homologuera pas le joueur tant qu’ils n’auront pas satisfaction, ce qui impliquera probablement que le joueur, MCFC et l’agent donnent des promesses écrites à la FA ».

Le 29 juillet, la FA et la Premier League demandent d”« avoir la confirmation de la source des fonds utilisés par MPI pour payer Pub Soccer ». Simon Cliff leur envoie alors plusieurs documents juridiques (statuts, certificats d’immitraculation) concernant MPI II & Partners etStichting MPI II, la fondation néerlandaise qui, sur le papier, détient le fonds.

L’astuce pensée par Marc Ingla et Mangrove se révèle payante. « Il n’y a légalement aucun propriétaire bénéficiaire ultime pour cette entité selon la loi néerlandaise mais (…) elle a été établie par Mangrove », explique Simon Cliff sur la base de la documentation qu’on lui a transmise. Mais ça ne suffit toujours pas…

Le 31 juillet 2014, le directeur juridique de Manchester City est finalement contraint d’adresser une lettre officielle, au nom du club, adressée au board de The Football Association Premier League Limited. Le club y garantit que « MPI est un fonds d’investissement contrôlé de façon ultime par Mangrove Capital Partners, un fonds de capital‐risque. » Et que ses trois actionnaires – dont « Gerardo Lopez » – « sont la source des fonds de MPI avec lesquels elle paye ses obligations en vertu de l’accord avec Pub Soccer ». Ce qui est bien entendu faux, nous l’avons vu précédemment. Mais Simon Cliff est‐il lui‐même au courant, à ce moment‐là, de la véritable origine du financement de MPI II & Partners ? Rien dans les documents Football Leaks que nous avons pu consulter ne permet de l’affirmer.

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La lettre de Manchester City présentant Gerard Lopez parmi les sources des fonds qui ont permis d’acheter les droits de Zuculini. / © EIC

En revanche, les patrons de Manchester City, Khaldoon al‐Mubarak et Ferran Soriano, savent, eux, que le fonds luxembourgeois est financé par Roscalitar, société offshore des Iles Caïmans, dont le nom ne sera pas transmis dans ce courrier. Gerard Lopez et les actionnaires de Mangrove servent donc ici d’alibis. L’homme d’affaires hispano‐luxembourgeois, qui n’apparaît jamais dans les échanges que nous avons pu consulter entre Mangrove et Manchester City, avait‐il connaissance de tout ? Il n’a pas souhaité répondre à nos questions, « la grande majorité des éléments demandés constituant des informations contractuelles et confidentielles qui n’ont pas vocation à être rendues publiques ni par moi ni par les autres parties ».

L’objectif, en tout cas, est atteint. A la suite du courrier de Manchester City, la FA et la Premier League valident le transfert de Bruno Zuculini à Manchester City, ainsi que la commission de 2,5 millions de dollars versée au fonds MPI II & Partners. Curieusement, l’Argentin ne fera pas de vieux os dans le nord de l’Angleterre. Zuculini ne disputera qu’un seul match officiel avec Manchester City : le 10 août 2014, contre Arsenal. 30 petites minutes, en seconde période. Le milieu de terrain sera ensuite prêté dans six clubs différents en trois saisons (Valence, Cordoba, Middlesbrough, AEK Athènes, Rayo Vallecano, Hellas Verona)…

Le 11 juillet 2017, Bruno Zuculini sera définitivement transféré au Hellas Verona pour la modique somme de… 1000 euros et un gros pourcentage sur sa revente pour Manchester City. Quand le club italien le revendra six mois plus tard à River Plate en Argentine, pour un montant annoncé à 3,25 millions d’euros, le club anglais prendra 50% de la transaction. Soit un peu plus de 1,6 million, selon nos calculs.

Deportivo Maldonado

Pour leurs prochains investissements, MPI II & Partners et Manchester City vont adopter une autre stratégie en s’associant… à un modeste club de deuxième division uruguayenne, le Deportivo Maldonado. Depuis 2009, il est contrôlé par un homme d’affaires britannique du nom de Malcolm Caine, connu dans le milieu des courses hippiques.

Le Deportivo Maldonado, lui, est connu pour une autre pratique, dans le collimateur de la FIFA : les « bridge transfers ». La petite formation uruguayenne signe régulièrement des joueurs sudaméricains pour les prêter ensuite à d’autres clubs plus huppés où ils pourront s’illustrer et prendre de la valeur. Lorsque les joueurs sont transférés, souvent sans jamais avoir porté son maillot, Maldonado et ses investisseurs empochent le gros lot.

Cette astuce a visiblement séduit les dirigeants de Manchester City. Le 4 mai 2014, Francisco Lopez, directeur commercial de City Football Services, indique ainsi à Ferran Soriano qu’il a « l’option de rencontrer le propriétaire et les avocats de Maldonado samedi prochain à Londres pour finaliser l’accord sur les opérations pour le Fonds ».

Un rendez‐vous visiblement fructueux. Le 18 juin, alors qu’il est en discussion avec un club équatorien au sujet d’un défenseur du nom d’Andres Mendoza Uza, Joan Patsy, chef recruteur de City en Amérique Latine, écrit à Francisco Lopez : « Demain, on devra répondre si on continue à préparer le contrat d’achat mais ce transfert, dans tous les cas, ne sera pas fait avant le 1er juillet quand la fenêtre des transferts ouvre en Uruguay puisque l’opération sera faite avec le club de Maldonado. (…) Quand penses‐tu qu’on aura Maldonado signé et opérationnel ? » 

Le 16 juillet 2014, un contrat est signé entre MPI II / MPI II & Partners et Umare SA, la holding du Deportivo Maldonado domicilié au Panama. Cette société est alors représentée par deux personnes : le sulfureux agent argentin Gustavo Arribas et l’avocat britannique Graham Shear. Pour l’anecdote, Arribas, proche de l’actuel président argentin Mauricio Macri, deviendra en 2016 le chef des… services secrets de son pays.

L’accord de 69 pages fixe les termes d’une coopération pour acquérir des droits économiques de joueurs. MPI II & Partners s’engage à payer à Umare des honoraires annuels de 300 000$ par an, tant que Maldonado évoluera en 2e division uruguayenne. Si le club est promu dans l’élite, ces honoraires passeront à 600 000$ par an.

Officiellement, Maldonado restera propriétaire des droits fédératifs et économiques des joueurs. Mais MPI II & Partners se verra accorder « un intérêt de propriété réfléchie » sur ces droits qui lui vaudront une part de la vente des joueurs transférés. Cette part est fixée à 50% sauf dans le cas où Umare ne participerait pas au salaire du joueur et ne serait pas intéressé par le produit de sa vente. Le fonds luxembourgeois prendrait alors 100%.

CONTRAT UMARE
Extraits du contrat entre MPI II & Partners et Umare. / © EIC

Lorsque MPI II & Partners détient 50% sur un joueur de Maldonado, le fonds doit contribuer à hauteur de 50% du salaire et du coût du joueur. Quand il détient 100%, il supporte 100% de la rémunération. Un deal pas vraiment compatible avec l’article 18bis du règlement FIFA du Statut et des Transferts des joueurs. Celui‐ci stipule en effet qu”« aucun club ne peut signer de contrat permettant au(x) club(s) adverse(s) (…) ou à des tiers d’acquérir dans le cadre de travail ou de transferts la capacité d’influer sur l’indépendance ou la politique du club ou encore sur les performances de ses équipes ».

L’accord donne un statut particulier aux clubs du City Football Group (Manchester City, New City FC aux USA, Yokohama Marinos au Japon, Melbourne FC Heart en Australie et toute nouvelle entité du groupe), désignés comme « Premier Club » dans le contrat. Si un joueur, recruté en accord avec MPI II & Partners, est transféré dans l’un de ces clubs, le Deportivo Maldonado ne prendra aucune part de la plus‐value réalisée.

Dans les autres cas, lorsqu’il s’agit de joueurs détenus à 50% par MPI II & Partners, Umare, sa maison‐mère aura droit à un « paiement fixe » et des « paiements premium ». En contrepartie, la société luxembourgeoise devra verser à Maldonado ou Umare une indemnité couvrant tous les coûts engendrés par le joueur pendant la durée de son contrat.

Rulli, Mendoza, Calle

Si on se fie aux documents internes de Manchester City que nous avons pu consulter, au moins trois joueurs seront recrutés dans le cadre de cet accord entre MPI II & Partners et Umare : le plus connu d’entre eux est Geronimo Rulli. Alors âgé de 22 ans, le gardien argentin, en provenance d’Estudiantes, signe un contrat de cinq saisons en faveur du Deportivo Maldonado le 17 juillet 2014, au lendemain de l’accord entre le club uruguayen et le fonds luxembourgeois. MPI II & Partners acquiert 50% de ses droits économiques pour 1,9 million d’euros, d’après un document de travail que s’échangeront Francisco Lopez et Ferran Soriano en novembre 2014.

Rulli ne jouera bien entendu jamais en deuxième division uruguayenne. A peine une semaine après la signature de son contrat avec Maldonado, il est prêté à la Real Sociedad en Espagne, où il restera deux saisons. Le 15 juin 2015, alors que l’Argentin fait l’objet d’une offre de Valence, Brian Marwood, l’un des cadres de la direction sportive de City, s’en félicite auprès de Joan Patsy, le chef recruteur en Amérique Latine : « On a fait un très bon choix sur le joueur. On a choisi la bonne trajectoire pour son développement ».

Manchester City l’achète à l’été 2016 au Deportivo Maldonado pour 5,87 millions de dollars, mais Rulli ne jouera pas pour le club anglais. Il est immédiatement reprêté à la Real Sociedad avec une obligation d’achat qui sera activée dès que le gardien disputera un seul match avec le club basque, même amical, entre le 1er juillet et le 31 décembre 2016 et qu’il participera aux entraînements sur cette même période.

Lorsque le prêt de Rulli à la Real Sociedad sera converti en transfert définitif le 16 janvier 2017, Manchester City empochera un peu plus de 7 millions d’euros. Le club anglais dispose encore aujourd’hui d’un pourcentage à la revente sur un futur transfert du gardien argentin et même d’une option de rachat jusqu’à l’été prochain. C’est l’un des rares investissements réussis avec le fonds MPI II & Partners.

Deux autres joueurs ont été acquis en 2014–2015 en association avec le Deportivo Maldonado : le défenseur équatorien Andres Mendoza Uza et le milieu colombien Javier Calle. MPI II & Partners achètera respectivement 100% et 80% de leurs droits économiques pour un total de 1,2 millions d’euros, selon des documents internes de City. Ils seront tous les deux prêtés au club américain de New York City FC, filiale du City Football Group, au début de l’année 2015, mais n’y resteront que quelques mois, avant de repartir en prêt ailleurs.

MPI II & Partners et Manchester City n’auront pas le temps d’investir davantage. Le 22 décembre 2014, une circulaire de la FIFA annonce la fin de la tierce propriété le 1er mai 2015. Les accords passés avant cette date pourront certes être exécutés jusqu’aux dates contractuellement prévues, mais pas ceux passés entre le 1er janvier et le 30 avril 2015, qui devront être exécutés dans un délai maximum d’un an.

Liquidation

Le 1er décembre 2014, Ferran Soriano, le directeur exécutif du City Football Group, espérait pourtant obtenir une deuxième tranche de financement de 10 millions d’euros pour poursuivre les activités du fonds. « On a obtenu l’autorisation du board pour retirer l’argent, mais on doit être très précis sur ce dont on a besoin et quand », assurait‐il ainsi à Francisco Lopez.

De nombreux échanges et documents internes montrent que des nouveaux joueurs étaient ciblés, parmi lesquels l’attaquant argentin Joaquin Correa (à l’époque à Estudiantes) et un « portfolio » de sept jeunes Brésiliens du club Fluminense, parmi lesquels les milieux de terrain Gerson Santos et Kenedy, ou encore Gabriel Jesus (Palmeiras) que Manchester City finira par acheter plus tard.

Début mars 2015, Ferran Soriano n’a pas encore totalement enterré le « PIF » (Player Investment Fund). « Je vais devoir présenter quelque chose à Khaldoon (al‐Mubarak) et Marty Edelman le 14 à New York. Il faudrait qu’on ait un rapport standard pour le PIF qu’on mettrait à jour chaque mois, même s’il n’y a pas de changement », écrit‐il au directeur financier Jorge Chumillas. « Il devrait y avoir : les résultats historiques, les joueurs que nous avons (où sont‐ils, que font‐ils…), les joueurs en négociations, les demandes pour approbation s’il y en a, le cash. Comme pour tout rapport de capital‐risque… peux‐tu tenter d’écrire le premier en date de février 2015 ? »

PIF REPORT
Rapport interne du City Football Group faisant le point sur les activités de MPI II & Partners en novembre 2014. / © EIC

Les comptes annuels de MPI II & Partners montrent qu’il n’obtiendra de nouveau financement. En interne, le fonds devient un sujet tabou. En mai 2015, quand l’UEFA demande à City Football Services de transmettre des informations sur ses activités, Jorge Chumillas, le directeur financier, ordonne à Francisco : « Efface les références à MPI II ».

Après l’interdiction de la tierce propriété, la société luxembourgeoise se consacrera à d’autres des activités liées au City Football Group. Ses derniers comptes mentionnent ainsi un prêt d’environ 1,6 million d’euros accordé à « une entité d’investissement en Uruguay ». Il ne s’agit pas du Deportivo Maldonado mais d’une société baptisée Terenti qui prépare à ce moment‐là la reprise d’un autre club uruguayen, le Club Atlético Torque, qui intègrera le City Football Group en 2017.

MPI II & Partners sera placé en liquidation volontaire le 27 décembre 2017. Ses comptes montrent que le fonds a bien reversé, comme prévu, 375 000 euros d’honoraires par an – soit un total de 1,125 million entre 2014 et 2016 – à la société MPI II Sarl appartenant à Gerard Lopez et ses associés de Mangrove.

Aucun des protagonistes nommés dans cette enquête (les joueurs n’ont pas été sollicités) n’a souhaité répondre à nos questions. Manchester City nous a seulement transmis le communiqué suivant : « Nous ne ferons aucun commentaire sur des éléments hors contexte prétendument piratés ou volés au personnel du City Football Group, de Manchester City et aux personnes associées. La tentative de nuire à la réputation du club est organisée et claire ».

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© France 3 Hauts‐de‐France.

fl-logoAprès une première saison en 2016, quinze journaux européens regroupés au sein du réseau de médias European Investigative Collaborations (EIC), dont Mediapart en France, ont révélé en novembre 2018 la deuxième saison des Football Leaks, la plus grande fuite de l’histoire du journalisme. Plus de 70 millions de documents obtenus par Der Spiegel, soit 3,4 téraoctets de données, ont été analysés pendant huit mois par près de 80 journalistes, infographistes et informaticiens. Corruption, fraude, dopage, transferts, agents, évasion fiscale, exploitation des mineurs, achats de matchs, influence politique : les Football Leaks documentent de manière inédite la face noire du football.

Comme pour la première saison des Football Leaks, Mediapart et l’EIC ont choisi de partager les documents avec France 3 Hauts‐de‐France et Mediacités. Nous avons aussi recueilli des documents et des témoignages inédits qui ne figurent pas dans les Football Leaks.

Le lanceur d’alerte Rui Pinto, principale source des Football Leaks, a été arrêté mi‐janvier en Hongrie et se bat pour éviter une extradition vers le Portugal, son pays, qui le soupçonne de vol de données et de « tentative d’extorsion ».

Deux mois avant son arrestation, Rui Pinto avait commencé à collaborer avec le parquet national financier (PNF), à qui il a remis 12 millions de fichiers informatiques issus des Football Leaks.

Le PNF a lancé le 19 février une procédure de coopération judiciaire européenne pour partager ces documents, lors d’une réunion d’Eurojust qui a rassemblé neuf pays.

  • messieurs votre rôle c’est de faire le discrédit sur les responsables du foot un jour plus personne ne voudra investir est en France et nous regardrons le foot étranger.
    à moins que vous même y dépose votre argent .cela j “en doute.

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Par Yann Fossurier (France 3) et Sylvain Morvan (Mediacités)