Périphérique nord de Lyon : une pertinence douteuse… sauf pour le gestionnaire privé

Anneau des sciences, péage de transit…Alors que les questions de mobilité vont rythmer les élections lyonnaises de 2020, Mediacités prend le périphérique nord. Gérée par le privé, l’infrastructure à péage héritée des années 1990 est de moins en moins en phase avec les enjeux à venir.

peripherique nord
Illustration Jean-Paul Van der Elst

C’est un petit morceau de voie rapide, emprunté quotidiennement par près de 50 000 véhicules. En 2018, plus de 18 millions de passages ont été enregistrés sur le Boulevard périphérique nord de Lyon (BPNL). Un trajet tout en tunnels et en viaducs, mieux connu des Lyonnais sous son ancien acronyme : TEO, pour Tronçon Est‐Ouest. Un prénom synonyme de gain de temps mais aussi de péage : 2,20 euros pour emprunter ses 6,5 kilomètres de la porte de la Pape, à Caluire, jusqu’à la porte de Vaise.

bidule lyon peripherique nord – Copie (3)Payer pour contourner. Un paradoxe alors qu’une partie des députés LREM du Rhône défendaient encore au mois de mai la création d’un péage de transit pour dissuader une partie du trafic de traverser la ville, étouffée par la pollution de l’air. Le dispositif figurait déjà parmi les contributions de la Métropole au projet de loi LOM, votées en mars 2018. L’amendement est finalement passé à la trappe au terme des arbitrages du gouvernement. Mais l’idée – comme les particules fines des moteurs‐ est restée dans l’air : la nécessité de réduire la place de la voiture en ville fait aujourd’hui presque consensus. C’était précisément l’un des objectifs du périphérique nord de Lyon, créé en 1997 pour désengorger les autres tunnels de l’agglomération. Pas franchement une réussite. Vingt ans plus tard, 43 000 véhicules empruntent chaque jour le tunnel de la Croix‐Rousse. 

« Les routes sur lesquelles on voudrait que ce transit cesse sont gratuites et courtes, alors que celles où l’on voudrait que les gens passent sont plus longues et payantes », résumait Yves Blein, député LREM de la 14e circonscription du Rhône, il y a quelques semaines. Pour autant, rares sont les élus à remettre en cause le modèle du périphérique nord. La pertinence de l’infrastructure est pourtant contestable, sur le plan économique comme sur celui de la mobilité.

500 000 euros de dividendes par an

Politiquement, la question des péages est sensible. Symbole local des « taxes » infligées aux automobilistes, le périphérique nord a ainsi fait l’objet de plusieurs opérations de « péages gratuits » en décembre dernier, au plus fort du mouvement des Gilets jaunes. La Métropole de Lyon, propriétaire de l’ouvrage, s’était alors empressée de dénoncer ces actions coup de poing, estimant à 100 000 euros les pertes financières occasionnées.

Pourtant, si le « périph’ » engendre une perte financière pour la collectivité, elle serait plutôt à chercher du côté de son modèle économique : un partenariat public‐privé avec la SANEF, poids lourd des concessions autoroutières en France, qui engrange depuis 2016 plus de 500 000 euros par an de dividendes reversés par sa filiale en charge de la gestion de l’ouvrage.

Mais rembobinons. Dès sa naissance en 1997, les premiers pas du Boulevard périphérique nord de Lyon sont mouvementés. Impopulaire, le péage fait face à un important mouvement de boycott pendant six mois, faisant chuter drastiquement le trafic espéré pour rentabiliser les travaux. En parallèle, le projet fait l’objet de plusieurs recours administratifs, portés notamment par l’élu écologiste Etienne Tête qui parvient à faire annuler le contrat de concession conclu entre le Grand Lyon et les entreprises Bouygues‐Dumez, les constructeurs de l’infrastructure, qui devaient l’exploiter au terme des travaux. Sur fond de scandale de corruption visant l’ex-maire de Lyon Michel Noir, Bouygues jette l’éponge. En 1999, la collectivité est contrainte de racheter la concession. La note est salée : plus de deux milliards de francs. 

Un contrat avec Sanef jusqu’en 2035

Une fois la concession du périphérique rachetée par le Grand Lyon, la collectivité en confie la gestion à des groupements sous la forme d’une régie intéressée. De 1999 à 2006, cette régie a été assurée par la SERL, société mixte d’aménagement du Grand Lyon avec la société autoroutière Area, filiale de APRR. Puis de 2006 à 2015, l’opérateur devient OpenLy, filiale du groupe Vinci. 

bidule lyon peripherique nord – CopieEn 2015, nouveau changement de gestionnaire. A la suite de la « loi Mont‐Blanc »,de gros travaux de sécurisation doivent être effectués sur les tunnels du périphérique, pour un coût estimé à plus de 130 millions d’euros. Pour s’épargner un investissement trop important, la collectivité décide alors de conclure un partenariat public‐privé (PPP) avec le groupement Leonord, qui rassemble trois entités : l’entreprise de travaux public Fayat, qui sera en charge des travaux de mise en sécurité, le groupe Sanef, spécialisé dans les concessions autoroutières, et un fonds d’investissement de la Banque Populaire – Caisse d’épargne pour la partie financière. 

Dans le détail, le Grand Lyon reste propriétaire de l’infrastructure. La société Leonord est chargée de mener à bien les travaux de mise au norme, financés pour plus de la moitié par la collectivité (70 millions d’euros). Le chantier dure deux ans, jusqu’à la livraison en 2018, occasionnant de nombreux jours de fermetures du périphérique. Mais le contrat ne s’arrête pas là. Il attribue aussi la gestion quotidienne (péage, maintenance…) de l’infrastructure au groupement d’entreprise, pour une durée de 20 ans. En pratique, la société Léonord sous‐traite cette partie du contrat à la Société d’exploitation du Boulevard périphérique nord de Lyon (SEBPNL), filiale à 100% de Sanef. Pour deux ans de travaux de sécurisation, voilà le périphérique aux mains du privé jusqu’au 1er janvier 2035.

« On a offert un beau gâteau au privé »

En apparence, la Métropole y trouve son compte. Elle évite d’abord d’alourdir sa trésorerie en diminuant l’investissement de départ. Ensuite, les recettes générées par le péage lui sont intégralement reversées par l’exploitant. La manne est importante : 37 millions d’euros en 2018. Mais en contrepartie, le Grand Lyon reverse une redevance annuelle à la société Leonord (14,3 millions en 2018). Par ailleurs, « le solde entre ces recettes et le coût global du contrat de partenariat doit permettre de couvrir les annuités de l’emprunt ayant permis le rachat de l’ouvrage en 1998 », précise une délibération. En clair : les recettes restantes servent à payer le rachat de la concession de Bouygues. Au final, le gain pour la Métropole se limite donc à finir de payer une infrastructure construite il y a vingt ans.

bidule lyon peripherique nord – Copie (4)Pour Sanef en revanche, l’opération est rentable, selon ses comptes étudiés par Mediacités. Après deux premières années de transition, sa filiale, la SEBPNL, a commencé dès 2016 à distribuer la quasi‐intégralité de ses bénéfices à sa maison‐mère : 570 194 euros en 2016, 530 941 euros en 2017. La société n’a pas encore publié ses comptes 2018, mais le rapport financier du groupe Sanef indique qu’elle a dégagé cette année‐là un bénéfice de 407 000 euros, qui devraient suivre le même chemin et atterrir dans les caisses du concessionnaire autoroutier, plutôt quand dans celles de la Métropole.

La situation est observée avec lassitude du côté de certains élus lyonnais. « Nous avons toujours été contre ce partenariat, indique Pierre Hémon, chef de file d’Europe Ecologie – Les Verts à la Métropole. On a offert un beau gâteau au privé, aujourd’hui on est prisonniers du modèle économique. Une rupture du contrat coûterait très cher, c’est la même chose avec le Rhônexpress », se désole‐t‐il. L’analyse est différente pour Christophe Geourjon, conseiller métropolitain UDI. « Les investissements sur le périphérique nord étaient nécessaires et un PPP est intéressant. Mais la question est d’abord celle des choix politiques, celle du financement ne doit pas être première ».

Car l’utilité même du périphérique Nord ne fait plus l’unanimité, comme un consultant en mobilité urbaine pour différentes collectivités locale, qui a souhaité rester anonyme. « Dans les années 1990, l’idée était d’encourager la mobilité routière, de permettre aux gens d’aller plus loin sans passer par le centre‐ville. De ce point de vue, le périphérique a été un succès », estime‐t‐il. Mais les objectifs ne sont plus les mêmes aujourd’hui. La nécessité de réduire la part de la voiture le rend moins pertinent ».

« Une erreur à ne plus refaire »

Pour le spécialiste, la création du périphérique nord relève aussi d’une certaine « naïveté » de la part des élus de l’époque. « La quantité de voiture dans le centre‐ville est complètement indépendante du nombre de véhicules qui empruntent le périphérique. En réalité les conducteurs s’étalent et ne prennent pas forcément l’alternative la plus rationnelle. Si demain on enlevait le périphérique nord, ça ne changerait pas grand‐chose pour le centre‐ville. Ce qui limite vraiment l’usage de la voiture, c’est la congestion et le manque de stationnement. », analyse‐t‐il. « On se retrouve un peu coincé. On ne peut pas dire aux utilisateurs qu’on va fermer le périphérique. La priorité serait surtout de ne pas refaire la même chose ».

bidule lyon peripherique nord – Copie (2)Un « plus jamais ça » qui fait écho au débat sur l’Anneau des sciences, le contournement ouest de Lyon, qui vise précisément à « boucler » le périphérique lyonnais, en prolongeant le périphérique nord pour rejoindre l’A6/A7. Serpent de mer de la politique lyonnaise, le projet a été relancé au début de l’année par le vote d’une enveloppe de 5,9 millions d’euros accordée par la Métropole pour des études et des sondages géologiques.

Initié et défendu bec et ongles par Gérard Collomb, l’Anneau des sciences – qui devrait lui aussi comporter un péage – est devenu un objet de clivage avec son rival David Kimelfeld. Ces derniers mois, le président de la Métropole a indiqué être toujours favorable au projet, mais « sous condition ». En pratique, le futur périphérique devra inclure des voies de bus et s’inscrire dans les objectifs environnementaux locaux, sans que rien ne soit vraiment acté pour le moment.

Les élus EELV y sont de leur côté farouchement opposés, rejoints la semaine dernière par le Parti Socialiste, pourtant membre de la majorité de David Kimelfeld au Grand Lyon. La droite reste plutôt favorable au projet, notamment Alexandre Vincendet, candidat déclaré pour prendre la tête de la Métropole en 2020. Après le succès des Marches pour le climat à l’automne et au printemps dernier et le gros scores d’EELV dans la Métropole aux européennes, le sujet promet déjà d’être l’un des thèmes majeurs de la campagne municipale et métropolitain en 2020. 

« Une grosse infrastructure, ça marque les esprits »

« Pour le périphérique nord comme pour l’Anneau des sciences, nous sommes prisonniers des choix du passé, regrette le député LREM Yves Blein. Les sujets sont abordés de manière isolée, en se basant sur des choix faits il y a dix ans. Alors que nous pourrions questionner le modèle et développer une vision plus globale ». De fait, plusieurs élus, comme Christophe Geourjon, souhaiteraient privilégier le projet de « RER à la lyonnaise », plutôt que d’investir dans un périphérique mal défini et risqué politiquement. 

bidule lyon peripherique nordDans ce contexte, le périphérique nord fait figure de contre‐exemple. « Je pense que plus personne n’a envie de refaire la même erreur », estime Fabien Bagnon, co‐président de l’association La Ville à vélo et co‐animateur de la Coordination climat Rhône. « La question n’est pas tellement celle du péage. Faire payer les usagers me semble normal, vu les problèmes engendrés par la voiture, et l’enlever ne changerait pas grand‐chose. Au nord ou à l’ouest, ces périphériques ne correspondent plus à l’intérêt général », martèle‐t‐il.

« Mais surtout, quand on parle de l’Anneau des sciences, du RER lyonnais, ou même de la ligne E du métro (lire notre article), on oublie que ces projets ne verront pas le jour avant 2030. Ils ne prennent pas en compte l’urgence de la situation », souligne Fabien Bagnon. « Alors qu’il est possible de mettre en place une multitude de petits dispositifs, des bus à haut niveau de service, avec un vrai programme global ». Mais le militant reste lucide. « Une grosse infrastructure, on l’attend longtemps mais elle marque les esprits, c’est plus facile à vendre. Alors que nos propositions sont moins spectaculaires. C’est plus compliqué pour convaincre ». Ces derniers mois, celui qui se définit comme « un lobbyiste de l’environnement » auprès des élus locaux a rencontré les principaux candidats aux prochaines municipales et métropolitaines, de David Kimelfeld à Etienne Blanc, en passant par Alexandre Vincendet et Nathalie Perrin Gilbert. Reste à savoir si les élus contourneront la question.

Nous avons sollicité dès le 23 mai Jean‐Luc Da Passano, vice‐président de la Métropole de Lyon chargé des Mobilités, des déplacements et des grandes infrastructures, via le service presse du Grand Lyon. Il n’avait pas donné suite à nos demandes d’interview au moment de la publication de notre enquête, malgré nos nombreuses relances. 

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Par Mathieu Périsse