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««  »Ils interdisent la construction de maisons individuelles »

Caricatural

Le candidat communiste accuse Yannick Jadot et Jean‐Luc Mélenchon de s’être inspirés d’un scénario de l’association négaWatt sur la transition énergétique qui retirerait aux gens le droit de bâtir leur maison d’ici 2050. Cette présentation apparaît exagérée même si des changements dans nos modes d’habitation pourraient être imposés.

Résumé :

  • La construction de nouveaux logements individuels en France pourrait être divisée par 8 d’ici 2050 selon l’association négaWatts
  • Ce coup d’arrêt à la croissance du parc immobilier sera lié principalement au ralentissement démographique
  • La maison individuelle restera malgré tout le mode d’habitation majoritaire
  • Si aucun rapport ne préconise d’interdire la maison individuelle, des mesures contraignantes en matière de logement ne sont pas écartées

Le 15 février dernier sur France Inter, Fabien Roussel s’est attaché à se démarquer de ses principaux concurrents de gauche, Yannick Jadot et Jean‐Luc Mélenchon, en attaquant leur programme de transition énergétique. Le candidat communiste est un partisan convaincu du nucléaire alors que ses compétiteurs EELV et LFI prônent une sortie complète de l’atome à l’horizon 2050.

Fabien Roussel refuse d’envisager une telle option. Elle impliquerait, selon lui, de baisser drastiquement notre consommation d’énergie au prix de sacrifices trop importants pour nos modes de vie. Ce serait notamment le cas dans le domaine du logement. « Ils prévoient d’arrêter de construire des maisons individuelles d’ici 2050, a‑t‐il dénoncé. Aujourd’hui, c’est ça la sobriété énergétique ! »

Cette accusation est censée s’appuyer sur un scénario de l’association négaWatt qui constitue « la base » du programme de transition énergétique de Jean‐Luc Mélenchon. Il est aussi plébiscité par la porte‐parole de Yannick Jadot, Marine Tondelier, qui l’a qualifié d”« extrêmement intéressant ». NégaWatt est une association d’experts indépendants qui prône la sobriété et l’efficacité énergétique et propose un chemin pour atteindre les 100 % d’énergies renouvelables en 2050 tout en sortant du nucléaire.

« Il faut lire jusqu’au bout ce que dit ce scénario, a insisté Fabien Roussel. Ils interdisent la construction de maisons individuelles. Aujourd’hui on en construit 200 000 par an, dans négaWatt ce sera 19 000 par an. Ils dénient aux gens à la campagne et dans la ruralité de bâtir leur maison. »

Qu’en est‐il exactement ?

Une construction alignée sur la démographie

Pour le savoir, nous nous sommes plongés dans ce fameux scénario. Nous avons non seulement regardé le document publié en 2017, auquel fait référence Fabien Roussel, mais également sa version la plus récente, de 2022. Avec des chiffres actualisés, celle‐ci table bien sur une réduction extrêmement importante de la construction de maisons individuelles : de 144 900 en 2020, on passerait à 18 000 en 2050. Cependant, cette chute résulterait moins d’une interdiction, comme l’affirme le candidat communiste, que d’une baisse naturelle de la demande.

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Réalisation : WeDoData

« On estime qu’avec le tassement de la population, on aura un faible besoin en logements et donc qu’il n’y aura plus besoin de construire de nouvelles maisons individuelles », détaille Yves Marignac, le porte‐parole de l’association, qui avait déjà rapidement contredit Fabien Roussel, sur son compte twitter.

Selon l’Insee, la population va, en effet, continuer à augmenter jusqu’en 2050, mais moins vite qu’au cours des trente dernières années. Alors que la population française est passée, entre 1990 à 2020, de 56 à 67,2 millions d’habitants (+20 %),  elle ne devrait progresser que de 2 millions de personnes d’ici 2050 pour atteindre 69,2 millions d’habitants (+2,9 %). Une tendance au ralentissement amorcée depuis le début de siècle et qui semble déjà peser sur la construction de maisons tombée à 144 0000 unités en 2021 contre 259 000 en 2006.

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Réalisation : WeDoData

La démographie n’est pas la seule raison de cette diminution. Le nombre de maisons ralentit parce que celui des appartements accélère. Au point que, depuis 2013, les logements achevés dans l’année sont plus souvent collectifs qu’individuels, souligne l’Insee. L’année 2020 a ainsi vu démarrer la construction de 194 200 logements collectifs contre 148 900 maisons. Et le rapport de force devrait continuer à s’accentuer au détriment de ces dernières. Selon négaWatt, on comptera en 2050 près de quatre fois plus de nouveaux logements collectifs (74 000) que de nouvelles maisons individuelles (19 000).

La maison individuelle toujours majoritaire en 2050

L’association pense toutefois que cette tendance « naturelle » à la baisse de la demande de maisons ne sera pas suffisante pour atteindre ses objectifs de sobriété énergétique. Elle souhaite également lutter contre la diminution du nombre de personnes par logement, passée de 3 habitants en moyenne en 1968 à 2,19 en 2020. Une évolution liée à l’éclatement des ménages observé depuis 50 ans en raison de l’augmentation du nombre de divorces et du vieillissement de la population. NégaWatt voudrait donc a minima stabiliser ce taux d’occupation afin de réduire encore davantage le besoin de construction de nouveaux logements.

Comment ? En mettant en place des mesures incitatives destinées à encourager « la colocation et l’hébergement de jeunes travailleurs chez des personnes âgées ». Sachant que la colocation concerne déjà 2,5 millions de personnes aujourd’hui. Mais il n’est jamais question, contrairement à ce qu’affirme Fabien Roussel, d’interdire la construction de maisons individuelles. Et encore moins d’interdire d’y vivre.

« En 2020, on comptait 16,5 millions de maisons individuelles en France, soit 56,3 % du parc immobilier. En 2050, on devrait atteindre 17,1 millions de maisons individuelles, soit 55,2 % du parc », précise Yves Marignac. Soit une baisse de seulement… 1,1 point. 

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Réalisation : WeDoData

Il est donc très exagéré de laisser entendre que ce scénario signe la fin du rêve de la maison individuelle partagé aujourd’hui par huit Français sur 10. Mais il table bien sur la fin de l’accroissement du nombre de logements. C’est autant d’énergie en moins consommée tant pour les construire que pour les chauffer ou les alimenter en électricité. 

« En 2050, il n’y aura que 26 000 logements construits et uniquement sur de la construction‐démolition », détaille encore Yves Marignac. D’après lui, les projections de l’Insee et les politiques d’incitation font « que le besoin en logements supplémentaires sera nul ». Il n’y aurait donc pas besoin de recourir à la contrainte.

Des scénarios qui bouleversent nos modes de vie

Tout le monde ne partage pas cet optimisme. Dans son rapport Transition 2050, en décembre dernier, l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) expose deux scénarios de sobriété pour atteindre la neutralité carbone. Si aucun ne prévoit d’interdire purement et simplement la construction de maisons individuelles, l’Ademe envisage pour l’un d’entre-eux un quasi arrêt des constructions nouvelles (seulement 300 !). Surtout, elle n’écarte pas la possibilité que des mesures contraignantes soient nécessaires pour y parvenir.

« Ce n’est pas notre rôle de proposer des solutions politiques, tient toutefois à souligner Albane Gaspard, du service bâtiment de l’agence chargée d’éclairer les choix du gouvernement sur la transition énergétique. Mais si on mise sur la sobriété, il y aura un changement radical dans notre manière de penser le logement ». Sans exposer de mesures précises, la spécialiste donne quelques pistes de réflexion : « Par exemple, on souhaite diminuer la part des maisons secondaires dans le parc immobilier de 10 % à 2,5 %. Cela signifie qu’elles seront transformées en maisons principales. Cela va avoir des conséquences sur les propriétaires de ces logements ».

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Réalisation : WeDoData

La recherche d’une très grande sobriété pourrait aussi impacter l’organisation territoriale et les choix d’habitation des personnes. Ce qui peut là encore impliquer une forme de contrainte. « Plutôt que de construire de nouvelles maisons, on va utiliser les logements vacants, anticipe Albane Gaspard. Or, ces derniers se situent surtout dans la diagonale  du vide. Mais qui a envie d’y vivre ? ». La spécialiste estime que cette évolution pourrait signer « la fin de la logique de grandes métropoles au profit d’équilibres de territoire »

Autant de bouleversements qui, selon le rapport de l’Ademe, risquent de « créer des clivages forts, voire violents, au sein de la société ». On est loin du consensus anticipé par négaWatt. Et un peu plus près des craintes de Fabien Roussel.

L’agence se garde toutefois de recommander une voie en particulier. Elle souligne qu’il est possible de chercher le « consensus social » permettant d’atteindre la neutralité carbone mais que cette démarche aurait vraisemblablement pour conséquence de « ralentir le rythme de la transformation ». Autrement dit, elle nécessite plus de temps.

Etienne Merle

J'enquête en région sur des sujets de corruptions locales et fact-check les déclarations hâtives des candidats à l'élection présidentielle.

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