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««  »J’avais dit que nous réduirions nos émissions de gaz à effet de serre, nous l’avons fait deux fois plus vite qu’auparavant : ‑12% durant ce quinquennat »

C’est plus compliqué

Emmanuel Macron assure avoir fait mieux que ses prédécesseurs en matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Mais la baisse qu’il revendique repose sur une erreur de calcul. Et il semble très difficile de lui attribuer le seul mérite du résultat enregistré au cours de son quinquennat.

  • Le chiffre d’une baisse de 12 % des émissions de gaz à effet de serre a été « calculé par erreur » selon le Citepa, l’organisme chargé de mesurer ces émissions. 
  • Sur la seule métropole, les émissions ont baissé de 9 % entre 2017 et 2021. C’est presque deux fois plus que sous le quinquennat précédent (-5%).
  • Cette performance est liée en grande partie à la forte réduction du niveau activité consécutive à la crise sanitaire ainsi qu’à des mesures prises avant 2017.
  • La France n’est pour l’instant pas en mesure de respecter pas son objectif de neutralité carbone en 2050. 

Au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron se présente toujours comme un champion de la lutte contre la pollution atmosphérique : « Ces cinq dernières années, on a réduit les émissions de gaz à effet de serre deux fois plus vite », a‑t‐il lancé, devant ses supporters à Strasbourg, le 12 avril dernier. « C’est deux fois plus que dans le quinquennat précédent », avait détaillé, la veille, le porte‐parole du gouvernement Gabriel Attal sur France Inter. 

A l’annonce de sa candidature, le 17 mars 2021, le président‐candidat s’était enorgueilli de son bilan en la matière, de façon encore plus précise : « J’avais dit que nous réduirions nos émissions de gaz à effet de serre, nous l’avons fait deux fois plus vite qu’auparavant : ‑12 % durant ce quinquennat », avait‐il affirmé.

Cette auto‐satisfaction est‐elle justifiée ?

Une erreur de calcul

Pour le savoir, nous avons fait appel au Citepa. Cette association est l’organisme de référence en France pour le calcul et l’analyse des émissions de gaz à effet de serre (GES). Elle est mandatée par le ministère de la Transition écologique et collabore notamment avec l’Union européenne et l’ONU.

D’après son dernier rapport, publié en juillet 2021, les émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 14,5 % au cours des trois années qui ont suivi l’élection d’Emmanuel Macron. Elles sont passées de 463 millions de tonnes équivalent carbone en 2017 à 396 millions en 2020, selon une estimation provisoire. La tonne « équivalent carbone » (CO2e en abrégé) agrège l’ensemble des gaz à effet de serre et permet de déterminer l’empreinte carbone. En mars dernier, le Citepa a avancé une estimation de 402 millions de tonnes de CO2e pour 2021, en hausse de 5,2% sur un an. Mais celle‐ci comportait une précision importante que le gouvernement semble avoir négligée en voulant communiquer trop vite sur son bilan…

Selon un ingénieur du Citepa, sollicité par Veracités, la baisse de ‑12 % revendiquée par le président de la République « a été calculée par erreur ». Ce chiffre compare en effet une estimation des émissions de GES en 2021 portant uniquement sur la France métropolitaine avec les émissions passées évaluées sur un périmètre plus large, incluant la Métropole ainsi que les départements et la plupart des collectivités d’outre-mer (celles faisant partie de l’Union européenne, pour être précis).

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Réalisation : WeDoData

A défaut de pouvoir fournir de comparaison cohérente pour l’ensemble de ces territoires et l’ensemble de la période, l’association nous indique qu’au niveau de la seule Métropole, les émissions « ont baissé de 5 % (hors puits de carbone) lors des années correspondant au quinquennat de François Hollande et de 9 % lors des années correspondant à celui d’Emmanuel Macron ». La précision « hors puits de carbone » signifie qu’il n’est pas tenu compte de l’effet d’absorption du CO2 par les forêts, les sols ou la mer…

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Réalisation : WeDoData

S’il est impossible de confirmer ou d’infirmer la baisse de 12 % sur tout le territoire français tant que le chiffre des émissions en 2021 n’est pas disponible – le Citepa doit le publier en mai prochain -, la performance enregistrée semble malgré tout s’approcher d’un doublement de la réduction. De plus, « les émissions constatées sur l’ensemble des territoires français en 2019 et en 2020 représentent les niveaux les plus bas enregistrés depuis 1990 », souligne l’association. Mais le président peut‐il s’en attribuer le mérite ?

De bons résultats liés à la crise sanitaire

Le dernier rapport du Citepa, là encore, donne la réponse. Il relève qu’après être « reparties à la hausse (+0,7 % par an) entre 2014 et 2017 (…) les émissions sont à nouveau en baisse : ‑4,1 % en 2018, ‑1,9 % en 2019 et ‑9,2 % en 2020 ». Mais cette dernière réduction – spectaculaire – « est intervenue dans le contexte des mesures de gestion de la crise sanitaire causée par la pandémie de Covid‐19 prises depuis mars 2020, qui ont conduit à une forte réduction du niveau d’activité et, par voie de conséquence, du niveau des émissions de GES », explique le document.

Dans le détail, deux secteurs ont été particulièrement touchés : « Les transports ont vu leurs émissions baisser de 22 millions de tonnes en 2020, alors que le secteur ne connaissait pas de baisse en 2019. Pour le secteur de l’industrie, le reflux atteint 8 millions de tonnes contre des diminutions bien moins importantes en 2018 et 2019 », indique encore le Citepa.

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Réalisation : WeDoData

Tout le problème est donc de savoir si la forte baisse liée à la crise ne sera pas suivie d’un rattrapage. Les premières mesures semblent aller dans ce sens. Les émissions des transports ont en effet rebondi de 12 % en 2021 pour atteindre les 121 millions de tonnes en métropole. Un chiffre qui s’approche des 135 millions de tonnes émises avant la crise, en 2019, outre‐mer compris.

Il n’en reste pas moins que les premières années du quinquennat d’Emmanuel Macron ont aussi été marquées par une diminution des émissions. Mais il semble difficile d’en imputer la seule responsabilité à ses gouvernements.

Des politiques aux effets différés

« Les évolutions observées pendant la période peuvent être des effets « en retard » de choix politiques précédents. Par exemple, entre la décision gouvernementale de créer une loi, la présentation de la loi, sa finalisation après discussion à l’Assemblée et au Sénat, la publication d’éventuels décrets d’application, et enfin le début de sa mise œuvre concrète, il peut se passer plusieurs années », explique le Citepa.

Le gouvernement n’est pas non plus le seul à décider des politiques de limitation des émissions de gaz à effet de serre.  Les mesures mises en œuvre sont aussi le fruit de « décisions politiques et réglementaires issues de cadre internationaux (Protocole de Kyoto, Accords de Paris), européens (paquet climat énergie), nationaux (plan climat, SNBC…) et locaux », précise encore l’association.

Les évolutions observées pendant la période peuvent être des effets « en retard » de choix politiques précédents 

Enfin, il faut avouer que les résultats dépendent aussi de facteurs indépendants des politiques publiques, comme la météo : « L’évolution des émissions dans les années 2010 a aussi été liée à la rigueur des hivers, qui ont entraîné une hausse ou une baisse du chauffage et des émissions associées », constate le Citepa. En 2018, par exemple, l’hiver a été particulièrement doux. Résultat, « La réduction d’émissions entre 2018 et 2019 est surtout liée au secteur des bâtiments résidentiels et tertiaires (-2,7 millions de tonnes de CO2e, soit 31% de la baisse), et notamment la baisse des émissions dues au chauffage et à l’eau chaude (-0,9 million de tonnes de CO2e) », note le rapport.

Est‐il alors possible d’évaluer concrètement les effets des politiques d’Emmanuel Macron sur l’évolution des émissions de gaz à effet de serre durant son mandat ? « Il faudrait isoler la part de l’évolution des émissions qui est liée non seulement aux décisions de l’échelon national mais aussi aux seules mesures politiques du quinquennat qui nous intéressent et non aux mesures passées. Ce qui serait un exercice d’évaluation des politiques publiques extrêmement complexe et incertain ! », estime le Citepa.

La France doit réduire ses émissions plus rapidement

Quoi qu’il en soit, la France va devoir diminuer ses émissions de GES plus rapidement si elle veut respecter les objectifs qu’elle s’est fixés. En effet, depuis 2015, l’Etat à mis en place la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) qui vise à atteindre la neutralité carbone en 2050. Pour y parvenir, des plafonds d’émissions dégressifs annuels sont établis. Ils servent de guide pour atteindre un objectif de baisse moyenne sur une période de quatre ans. C’est ce qu’on appelle les budgets carbones.

Depuis leur mise en place, les résultats sont toutefois plus que mitigés. Le premier budget carbone (SNBC‑1), fixé à 442 millions de tonnes de CO2, n’a pas été respecté : « Il a été dépassé de 61 millions de tonnes cumulées sur la période 2015–2018 (soit un excédent de +3,4 % sur l’ensemble des quatre années). Les émissions ont diminué de 1,1 % par an en moyenne entre 2015 et 2018 (par rapport à la période 2011‐ 2014), ce qui est inférieur à la décroissance visée par la SNBC‑1 de 1,9 % par an », reconnaît le ministère de la Transition écologique sur son site. Ce manquement a valu à l’Etat d’être condamné pour inaction climatique.

Le bilan de la séquence 2019–2023 s’annonce meilleur. Il faut dire que le gouvernement d’Emmanuel Macron a rehaussé le budget carbone autorisé, le portant de 398 millions de tonnes par an en moyenne sur la période à 422 millions de tonnes, réduisant de fait l’effort à réaliser pour être dans les clous. En 2019, le plafond annuel a ainsi pu être respecté et devrait l’être à nouveau en 2020, observe le Citepa.

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Réalisation Wedodata

Les experts se montrent en revanche plus sceptiques concernant les années prochaines, voire très pessimistes sur les chances d’atteindre les objectifs de la stratégie bas carbone. Selon les projections du ministère de la Transition écologique, si rien n’est fait, les émissions de gaz à effet de serre françaises atteindront 367 millions de tonnes de CO2 en 2030, soit bien plus que les 310 millions de tonnes visés. Et, selon les scénarios, elles s’élèveraient encore entre 327 et 335 millions de tonnes en 2050. Soit à des années lumières des 80 millions de tonnes espérés par la SNBC.

« Il y a des choses qui ont été faites mais nous avançons à la vitesse d’un escargot, il va falloir mettre en place des politiques beaucoup plus dynamiques », s’alarme Camille Weisse, responsable de l’unité émissions‐énergie à Atmo Grand‐Est, une association de surveillance de la qualité de l’air. Une accélération d’autant plus nécessaire que le dernier rapport du Giec donne trois ans aux Etats pour mettre en place des mesures qui permettront limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré en 2050 et éviter ses conséquences désastreuses pour la planète.

Edit du 19/2022 : Correction d’une faute d’orthographe dans la citation du titre

Etienne Merle

J'enquête en région sur des sujets de corruptions locales et fact-check les déclarations hâtives des candidats à l'élection présidentielle.

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