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««  »On aide très peu les paysans bio »

C’est plus compliqué

Selon le candidat écologiste, la France est le pays d’Europe qui subventionne le moins son agriculture biologique. Les indicateurs disponibles, contradictoires, ne permettent pas d’avoir une vision aussi tranchée.

En résumé

  • Les aides spécifiques au bio ne représentent que 1,3 % des soutiens publics à l’agriculture (Union européenne et France).
  • La majorité des aides, calculées à l’hectare, favorisent les exploitations conventionnelles plus grandes que les exploitations bio.
  • Comparer les aides versées au bio et à l’agriculture conventionnelle peut se faire à l’aide de différents indicateurs. Mais les résultats se contredisent
  • La part des subventions dans la valeur ajoutée des exploitations bio (37 %) est légèrement inférieure à celle des exploitations traditionnelles (40 %). Mais il s’agit d’une moyenne. Le résultat varie selon le type de production agricole.

Avec Yannick Jadot, ce sera la priorité au bio. Le candidat EELV, ne cesse de le répéter : il veut transformer le modèle agricole français, aussi inefficace que dangereux pour la santé et l’environnement, selon lui. « Aujourd’hui l’argent public va d’abord vers l’agriculture qui reçoit des pesticides, vers l’agriculture industrielle, alors qu’en fait on aide très peu les paysans bio », a‐ t‑il dénoncé sur TF1, le 30 janvier dernier. Ainsi, il souhaite soutenir « massivement l’agriculture biologique » et renforcer « les critères d’aide publique », comme il l’indique dans son programme. « On va sauver les paysans, on va protéger l’environnement et on va créer les conditions pour que le bio soit moins cher », a‑t‐il assuré.

En septembre dernier, déjà, Yannick Jadot dénonçait la politique du gouvernement français en la matière : « La France est le seul pays d’Europe qui subventionne plus le conventionnel que le bio ». Une phrase qui avait été abondamment commenté sur les réseaux sociaux, des agriculteurs lui reprochant de « mentir ».

https://twitter.com/yvesdamecourt/status/1435841079375499265?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1435841079375499265%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.decodagri.fr%2Fnon-un-agriculteur-en-conventionnel-ne-touche-pas-plus-daides-quen-bio%2F

Alors, qu’en est‐il vraiment ?

Des aides nationales à 60 %, européennes à 40 %

Pour le savoir, il faut se plonger dans les méandres des financements publics à l’agriculture qui se sont élevés à 22,4 milliards d’euros en 2021 selon la commission sénatoriale des finances. Mais ce chiffre va au‐delà des aides que touchent les agriculteurs puisqu’il comprend d’autres dépenses du ministère de l’agriculture, notamment celles de l’enseignement agricole. Dans une tentative pour se rapprocher de la vérité des « soutiens directement accessibles aux exploitations agricoles », les sénateurs avancent donc le chiffre de 19,4 milliard d’euros par an en moyenne entre 2017 et 2019. Un montant qui reste encore « exagéré » selon l’aveu même des rapporteurs du budget.

Quoi qu’il en soit, cette manne a une double origine. Et la principale n’est pas celle que l’on croit… « Quand on se plonge dans le détail, on s’aperçoit que l’Etat a un rôle majeur dans les dispositifs de soutiens à l’agriculture – autour de 60 % des aides – alors qu’on a tendance à penser que c’est l’Europe qui s’occupe de tout », souligne Christophe Alliot, membre du Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne (Basic) et co‐auteur, en 2021, d’une étude sur les financements publics et privés liés à l’utilisation des pesticides. Commençons‐donc par examiner ce volet national.

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Une niche fiscale bio trop petite ?

Premier constat : le gros du soutien de la France à ses agriculteurs est de nature fiscale. Les allègements de charges sociales et fiscales pèsent ainsi plus de 5,3 milliards d’euros en 2021. Mais la plupart de ces dispositifs sont communs à toutes les entreprises. Il existe en revanche des dépenses fiscales spécifiques à l’agriculture, que les sénateurs évaluent à 2 milliards d’euros en 2021. Il s’agit principalement de réductions tarifaires sur les carburants et de réductions d’impôts locaux.

L’essentiel de ces avantages bénéficie toutefois à tous les agriculteurs, pas seulement aux exploitants en bio. Repérer les niches fiscales qui leur sont réservées n’est pas aisé. Dans un rapport publié en 2016, la Cour des comptes a sévèrement critiqué ce manque de traçabilité en précisant que « les dépenses fiscales portant sur l’agriculture biologique sont très diverses, peu suivies, et parfois peu incitatives ».

L’une des plus faciles à trouver concerne un crédit d’impôt spécifique au bio. En 2020, il a représenté un manque à gagner pour l’Etat de 64 millions d’euros, en augmentation de 13 % par rapport à 2019, selon le projet de loi de finance pour 2021. Mais son efficacité n’est pas prouvée car, comme le notent les sénateurs, « [son montant] n’est pas nécessairement satisfaisant au regard de l’ensemble des objectifs de la politique de développement de l’agriculture biologique ».

Des subventions générales peu tournées vers le bio

Les aides directes aux agriculteurs sont, elles, pour l’essentiel, prises en charge par la Politique Agricole Commune (PAC) de l’Union européenne. Elles sont mises en œuvre par les Etats membres. La France reçoit pour cela une enveloppe d’un peu plus de 9 milliards d’euros.

La PAC dispose de deux budgets, appelés « piliers ». Le premier finance diverses aides à l’exploitation et au revenu (6,9 milliards d’euros). Elles sont proportionnelles au nombre d’hectares cultivés ou au nombre de têtes de bétail. Tous les agriculteurs y ont droit, bio comme conventionnels. « On sait que les producteurs bio ont de plus petites exploitations, donc mécaniquement, elles sont moins subventionnées que les conventionnels », argumente auprès de Veracités, Marine Tondelier, porte‐parole de Yannick Jadot.

Une analyse partagée par la Cour des comptes : « Le mode de répartition de ces aides, facteur de fortes inégalités, n’a plus de justification pertinente. […] les effets de ces aides sont, au mieux, incertains, que ce soit au regard du revenu des agriculteurs, de l’économie des exploitations ou de l’environnement », écrit l’institution dans un rapport publié en 2018.

Le premier pilier, depuis une réforme en 2015, finance des « paiements verts » censés inciter les agriculteurs à changer leurs pratiques agricoles. Mais les critères de ces primes sont tellement peu contraignants que la plupart des agriculteurs y ont droit. Au final, cette initiative n’a donc eu que très peu d’effets sur la croissance du bio.

Des aides spécifiques très réduites

Le second pilier de la PAC (1,6 milliard d’euros) vise à « développer le monde rural ». Une partie de cette enveloppe est destinée au développement de l’agriculture bio mais elle est très minoritaire : seulement 250 millions d’euros en 2020, selon les chiffres du ministère de l’agriculture. Ce montant finance notamment une « aide à la conversion » qui soutient le passage d’une exploitation traditionnelle à un mode sans pesticides. Ce dispositif est cofinancé par les Etats et complété en France par une « aide au maintien » qui prend le relais au bout de cinq ans. Un temps financée par l’Etat, celle‐ci a été transférée, en 2017, aux Régions.

Rapportés aux 19,4 milliards d’euros de concours publics à l’agriculture, les aides au bio n’en représentent ainsi que 1,3 %. Un chiffre qui semble donner plutôt raison à Yannick Jadot.

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« Ce sont des aides supplémentaires qui s’ajoutent aux subventions communes à tous les agriculteurs et auxquels les paysans bio peuvent aussi prétendre », rétorque toutefois Brice Guyau, agriculteur bio lui‐même et président de la fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles de Vendée.

Ainsi à surface cultivée équivalente, un exploitant bio peut percevoir plus qu’un exploitant traditionnel. Pour aller plus loin que ce constat, il faut donc essayer de trouver l’indicateur le plus pertinent pour des comparaisons. Problème, il existe plusieurs ratios possibles dont les résultats ne sont pas forcément convergents.

Des indicateurs à prendre avec des pincettes

  • Les subventions par hectare

C’est a priori le ratio le plus évident. L’Union européenne publie ainsi pour chaque pays le montant à l’hectare des aides publiques au bio (financements européens et cofinancements nationaux) correspondant au second pilier de la PAC. En 2019, la France ne figure qu’au 15e rang européen suivant ce critère.

Cet indicateur est également utilisé pour effectuer des comparaisons internes au pays. Une étude de l’Insee de 2013 qui recense l’ensemble des subventions, y compris du premier pilier, semble ainsi confirmer l’idée que les agriculteurs bio touchent davantage à l’hectare que les exploitants traditionnels. Cela se vérifiait du moins pour la production laitière (150 euros en plus par tête), le maraîchage de plein air (190 euros en plus par hectare) et la viticulture (bonus de 130 euros par hectare). Suffisant pour contredire le candidat EELV ? Pas si sûr.

Ces chiffres ne correspondent en effet plus forcément à la réalité actuelle : ils sont antérieurs à la réforme de la PAC de 2015 et ne tiennent pas compte de l’arrêt du financement par l’Etat de la prime au maintien (à partir de 2017). De plus, cette étude ne concerne que des exploitations dont le chiffre d’affaires annuel dépasse les 76 500 euros. Ce qui exclut « de fait de les petites exploitations qu’on retrouve en nombre dans le bio », comme le souligne fort justement un fact‐checking d’AFP factuel. Surtout, ce type de comparaison à l’hectare ne prend pas compte les coûts supplémentaires nécessaires pour s’occuper d’une exploitation biologique, notamment en termes de main d’œuvre. C’est pourquoi il peut être intéressant d’utiliser un indicateur qui tienne compte du facteur travail.

  • Les subventions par unité de travail

C’est ce que fait la Commission européenne dans une note de synthèse sur l’agriculture biologique publiée en mars 2019 où elle calcule le montant de subventions par « unité de travail annuel ». Autrement dit, l’équivalent d’une personne travaillant à temps plein pendant un an. Selon ce critère, la France est le seul pays de l’UE sur les six évalués où le niveau de subventions des exploitations de grandes cultures (céréales, betterave, oléagineux, etc.) était plus élevé – et de loin – en conventionnel qu’en biologique (sur la période 2012–2016). Le niveau de subventions était en revanche quasiment équivalent pour l’élevage laitier.

Subventions par unité de travail annuelle pour les grandes cultures, en fonction du type d'exploitation
Subventions par unité de travail annuelle (AWU) pour les grandes cultures, en fonction du type d’exploitation : Bio (Organic) ou Conventionnel (Conv.) Moyenne pour la période 2012–2022 en milliers d’euros. Source : Commission européenne / Farm accountancy data network

La même étude, dénichée par AFP factuel, conclut que « dans l’ensemble, les fermiers biologiques bénéficient généralement (avec quelques exceptions) de davantage de subventions européennes que les fermiers traditionnels ». A l’exception de la France, donc, ce qui pourrait justifier le commentaire de Yannick Jadot.

  • Les subventions par rapport à la valeur ajoutée

L’idée est ici de mesurer la contribution des subventions au résultat des exploitations agricoles. On peut calculer le ratio des subventions par rapport au résultat d’exploitation ou par rapport à un indicateur proche, la valeur ajoutée. Celle‐ci s’obtient en déduisant du chiffre d’affaires, les produits et services achetés dans le cadre de la production, ainsi que le solde des subventions et des impôts. Selon l’économiste Harold Levrel, interrogé par CheckNews, rapporter les aides publiques à la valeur ajoutée permet de « mesurer ce que représentent les subventions dans le modèle économique d’une exploitation agricole ».

Une étude de la Commission européenne publiée en 2013 indiquait que la part des subventions directes aux agriculteurs dans la valeur ajoutée était plus basse à l’époque dans le bio (43 %) qu’en conventionnel (64 %). Checknews a donc demandé à un expert, Vincent Chatellier, chercheur à l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae), de réaliser une nouvelle simulation avec des chiffres actualisés en 2018. Résultat, l’écart se resserre : 37 % dans le bio contre 40 % en conventionnel. De plus, cette moyenne cache la situation de certaines productions où les paysans bio sont plus aidés que leurs collègues classiques, par exemple dans le lait.

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Il paraît donc difficile d’avoir un avis tranché et d’affirmer, comme Yannick Jadot, que la France « aide très peu les paysans bio », voire qu’elle le fait moins que les autres pays européens. Il est certain en revanche que la politique suivie jusqu’à présent n’a pas permis d’atteindre les objectifs fixés au pays.

Une progression du bio inférieure aux objectifs

En 2018, le gouvernement souhaitait porter la surface exploitée en bio à 15 % de la surface agricole totale à l’issue du mandat d’Emmanuel Macron. Fin 2021, malgré une accélération de la croissance depuis 2014, ce chiffre n’était encore que de 9,5 %, plaçant la France au 14e rang de l’Union européenne, loin derrière l’Autriche (26,4 %) ou encore l’Italie (16,6 %).

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Par ailleurs, la nouvelle PAC qui entrera en vigueur en janvier 2023 inquiète les partisans de l’agriculture biologique. Certes l’enveloppe consacrée au bio dans le deuxième pilier augmentera de 30 % pour atteindre 340 millions d’euros. Et certes, 25 % des aides directes du premier pilier seront conditionnées au respect de pratiques agro‐écologiques. Mais celles‐ci n’impliquent pas forcément d’abandonner les pesticides.

En fait, la définition de critères d’amélioration, assez légers, fait craindre que les gros exploitants continuent à capter la plus grande partie de la manne européenne. « Avec la suppression de l’aide au maintien, une fois les aides à la conversions versées, un agriculteur bio n’aura plus d’aides européennes spécifiques malgré des coûts de productions supérieurs au conventionnel » dénonce aussi Laurence Mandola, chargée de la PAC et du Bio au syndicat Confédération Paysanne. Les critiques sur l’insuffisance des aides au bio ne sont pas près de s’arrêter…

Etienne Merle

J'enquête en région sur des sujets de corruptions locales et fact-check les déclarations hâtives des candidats à l'élection présidentielle.

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