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Probité des élus : ««  »J’ai pris des engagements et je les ai remplis »

Plutôt Faux

Le président‐candidat vante son bilan en matière de moralisation de la vie publique. Il affirme avoir tenu toutes ses promesses de campagne. Mais la balance entre les reformes mises en œuvre et celles abandonnées au cours du quinquennat n’apparaît pas très favorable.

En résumé :

  • Malgré le vote de deux lois de moralisation de la vie publique en 2017, Emmanuel Macron est loin d’avoir tenu toutes ses promesses de campagne.
  • Les parlementaires ont certes dû renoncer à certains privilèges (comme le régime spécial des retraites) ainsi qu’à des prérogatives et des pratiques très critiquées (réserve parlementaire, embauches familiales).
  • Mais les mesures phares en matière d’exemplarité des élus n’ont pas été adoptées (casier judiciaire vierge, suppression de la Cour de justice de la République…).

Avec plus d’un français sur trois qui se déclare méfiant à l’égard du personnel politique au mois de janvier 2022, la question de moralisation de la vie publique est plus que jamais d’actualité.

Lors de la précédente campagne présidentielle de 2017, marquée par l’affaire Fillon, la probité des élus était déjà un thème au cœur des débats. Emmanuel Macron en avait d’ailleurs fait un axe fort de son projet : « Aujourd’hui, le principal danger pour la démocratie est la persistance de manquements à la probité parmi des responsables politiques, dont le comportement est indigne de la charge de représentant du peuple », écrivait‐il dans son programme.

Cinq ans plus tard, Emmanuel Macron assure être toujours « sensible » à cette question et vante son bilan en la matière : « J’ai pris des engagements et je les ai remplis », a‑t‐il déclaré chez nos confrères de France Bleu, le 23 mars dernier. Est‐ce vraiment le cas ? Pour le savoir, nous faisons le bilan des deux lois de confiance de la vie publique promulguées en 2017 dont le président loue les mérites.

Les promesses tenues

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Réalisation : WeDoData
  • Suppression du régime spécial de retraite

Les parlementaires ont longtemps bénéficié du système très avantageux de la double cotisation pendant leurs trois premiers mandats. Quinze années passées à l’Assemblée permettaient ainsi d’accumuler trente annuités de cotisation ! L’avantage a été réduit et rendu dégressif en 2010 mais il leur permettait encore d’envisager une retraite à taux plein au bout de seulement 31 ans de cotisation contre 40 ans pour le commun des Français.

Depuis le 1er janvier 2018 et l’entrée en vigueur des lois pour la confiance dans la vie publique, toutefois, les parlementaires ne peuvent plus payer cette surcotisation dérogatoire du système général (du moins, pour les nouveaux élus après le 1er janvier 2018 car la loi n’est pas rétroactive). Mais seul le régime spécial des députés est véritablement supprimé. Les privilèges des sénateurs demeurent.

664 euros par mois 
Les droits à la retraite acquis par un député à l’issue d’un mandat de cinq ans. A comparer avec 1053 euros avant la réforme. 

L’Assemblée nationale a en effet décidé d’aligner complètement le régime de retraites des députés sur le droit commun, en l’occurrence le régime des fonctionnaires. Résultat, « pour un mandat cotisé, les droits à retraite ouverts passent de 1 053 à 664 euros » par mois, peut‐on lire sur le site de la chambre basse.

De son côté, le Sénat a certes aligné son régime de base sur le régime général, tant pour la durée de cotisation que pour l’âge de départ à la retraite. Mais il a mis en place un régime de retraite complémentaire par points très généreux qui compense la suppression de la surcotisation. Résultat, un mandat cotisé par un sénateur donne droit à une pension de 2 190 euros net par mois, selon Public Sénat. A comparer avec une pension moyenne en France de 1382 euros net pour l’ensemble d’une carrière…

  • Suppression de la réserve parlementaire

Jusqu’en 2018, chaque parlementaire pouvait proposer à son assemblée de subventionner les collectivités ou associations de son choix. C’est ce qu’on appelait « la réserve parlementaire ». Elle s’élevait en moyenne par an à 130 000 euros par député et à 150 000 euros par sénateur. Mais cette distribution d’argent pouvait s’apparenter à du clientélisme selon la Cour des comptes.

Sa suppression n’était pas formellement inscrite dans le programme d’Emmanuel Macron en 2017. Mais il s’y était déclaré « favorable » dans une interview donnée au journal Libération. Et de fait, la loi sur la confiance dans la vie politique a bien entériné sa disparition.

A la place, l’enveloppe nationale de la dotation d’équipement des territoires ruraux a été abondée, son budget est passé de 50 à 996 millions d’euros. Il permet aux parlementaires de subventionner des projets dans les territoires reculés.

  • Interdiction des emplois familiaux

C’est une promesse directement liée à l’affaire Fillon. Celle‐ci a mis en lumière l’embauche sur fonds publics de proches en tant qu’assistants parlementaires. « Pour rémunérer l’équipe qui l’assiste, chaque député dispose d’un crédit collaborateur, d’un montant de 10 581 euros par mois », précise le site de l’Assemblée nationale. Sans compter les cotisations patronales également prises en charge par la chambre basse.

François Fillon n’était pas le seul à salarier sa femme ou un enfant. En février 2017, un député sur six employait un membre de sa famille, selon une enquête du journal Le Monde. De nombreux sénateurs faisaient aussi de même.

Dans ce contexte, le candidat En Marche promet alors d’interdire cette pratique qui, selon lui, « nourrit les extrêmes et affaiblit notre vie politique ». Une promesse effectivement mise en œuvre par la loi sur la confiance dans la vie politique.

Celle‐ci étend l’interdiction des emplois familiaux non seulement aux parlementaires mais également aux ministres et aux élus locaux. Les membres de leur belle‐famille sont également exclus. Mais il y a un trou dans la raquette.

Les parlementaires ont toujours la possibilité de recruter le proche d’un autre élu. Et de salarier en échange un membre de la famille de ce même élu. Autrement dit, de procéder à des embauches croisées. Durant le quinquennat, au moins deux députés ont eu recours à cette pratique, comme l’a révélé le site Streetpress.

Les promesses partiellement tenues

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  • Interdiction d’exercer des activités de conseil

Une mesure forte du programme d’Emmanuel Macron a quant à elle été largement vidée de sa substance. Dans son programme, le candidat proposait « l’interdiction pour les parlementaires d’exercer des activités de conseil parallèlement à leur mandat, pour mettre fin aux conflits d’intérêt ». Une fois élu, il a simplement rendu plus difficile ce cumul.

Avant 2017, les parlementaires pouvaient exercer des activités de conseil à la condition d’avoir commencé avant leur élection. C’est ainsi que François Fillon ou Luc Chatel, par exemple, ont cumulé de telles activité et leur mandat député entre 2012 et 2017. La loi de moralisation de la vie publique a restreint cette possibilité. Il n’est plus possible d’exercer une mission de conseil si elle a débuté dans les douze mois précédents son élection. Mais cela n’est toujours pas formellement interdit.

Les promesses abandonnées

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  • Interdiction de se présenter à une élection en cas de condamnation pénale

C’était écrit comme une évidence dans le programme d’Emmanuel Macron en 2017. « Si on ne peut être fonctionnaire lorsqu’on ne dispose pas d’un casier judiciaire B2 vierge, on ne devrait pas non plus pouvoir être parlementaire », écrivait Emmanuel Macron sur le site d’En marche. Le casier judiciaire B2 contient des condamnations sensibles. Il a vocation à informer un employeur ou des autorités publiques. Il n’est transmis que s’il ne comporte aucune mention. Autrement dit, s’il est vierge.

Comme l’a déjà raconté Checknews, les députés sont finalement revenus sur cette promesse du président, arguant le risque d’inconstitutionnalité. A la place, les parlementaires ont voté une peine complémentaire d’inéligibilité obligatoire pour une série de crimes et délits (violences, discrimination, escroquerie, concussion, délit d’initié etc). Cette disposition ne concerne donc que des condamnations à venir.

Emmanuel Macron semble d’ailleurs avoir changé d’avis par rapport à sa propre proposition d’il y a cinq ans. « Monsieur Zemmour est condamné pour des propos qu’il a tenus. Est‐ce que c’est à la justice et à son casier judiciaire de dire, de part ses propos, on pense que c’est rendre la démocratie plus forte qu’il n’ai pas le droit de concourir ? Je n’en suis pas sûr », a‑t‐il déclaré au micro de France Bleu, le 23 mars dernier.

  • Démission d’un ministre mis en examen

Lors de sa campagne de 2017, le candidat Macron souhaitait aussi moraliser la vie publique en intervenant avant même que personnalités politiques de premier plan ne soient condamnés. Interrogé pour savoir s’il renoncerait à sa candidature s’il était mis examen (contrairement à François Fillon), Emmanuel Macron était très clair : « Oui, de la même façon que, dans le principe, un ministre doit quitter le gouvernement lorsqu’il est mis en examen », assurait‐il, un mois avant son élection. Il faisait sienne la « jurisprudence Balladur », une tradition républicaine qui veut qu’un ministre démissionne de ses fonctions lorsqu’il est mis en examen.

En 2019, toutefois, François Bayrou, devenu ministre de la Justice, est mis en examen dans l’affaire des assistants parlementaires du MoDem. Le centriste démissionne mais est nommé un an plus tard à la tête du Haut commissariat au plan. Un poste, certes non‐gouvernemental, mais rattaché au secrétariat général de l’Elysée.

Le 12 septembre 2019, c’est au tour du président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, d’être mis en examen dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne. Le patron des députés ne démissionne pas et reçoit même le soutien personnel du président Emmanuel Macron.

Bis repetita, plus récemment, avec Eric Dupont‐Moretti soupçonné de prise illégale d’intérêts. Malgré sa mise en examen, l’actuel ministre de la Justice reçoit l’appui du président et ne quitte pas ses fonctions.

  • Suppression de la Cour de Justice de la République

Toujours sur le volet judiciaire, le candidat Macron proposait dans son programme en 2017 « la suppression de la Cour de Justice de la République » (CJR). Cette juridiction d’exception juge les membres du gouvernement pour les crimes et délits commis dans l’exercice de leur fonction.

Quelques semaines après le début de son mandat, Emmanuel Macron avait réaffirmé son souhait de supprimer la CJR critiquant l’injustice de ce système : « Nos concitoyens ne comprennent plus pourquoi seuls les ministres pourraient disposer d’une juridiction d’exception ».

Composée de quinze juges dont six députés, six sénateurs et trois magistrats du siège de la Cour de cassation, la CJR est critiquée pour son entre‐soi. On lui reproche aussi une certaine clémence dans les jugements rendus, les parlementaires pouvant ne pas vouloir se fâcher avec le pouvoir en place. Dans l’affaire Tapie, par exemple, Christine Lagarde avait été reconnue coupable de négligence sans pour autant subir de peine.

Ce projet de suppression a été lancé en 2018 dans le cadre d’un projet de loi constitutionnelle « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace ». Mais l’affaire Benalla puis la crise du covid ont retardé à plusieurs reprises les débats des parlementaires et la réforme sera finalement enterrée.

Jean‐François Kerléo, le directeur scientifique de l’Observatoire de l’éthique publique, voit dans cette réforme avortée un manque de volonté politique : « Il y a eu des blocages, c’est vrai, indique‐t‐il. Mais il n’y a pas eu non plus de portage politique pour aller au bout. On se s’est pas battu sur ce texte comme ça a pu être le cas sur d’autres réformes ».

  • Limitation du cumul des mandats dans le temps

Une autre promesse va connaître le même sort : la limite du cumul des mandats dans le temps. Mediacités a plusieurs fois documenté ce problème qui contribue à la professionnalisation de la politique et à la concentration du pouvoir entre les mains de « barons locaux ». Nous avions par exemple calculé, en 2017, que quarante élus du département du Nord cumulaient à eux seuls… 2120 années de mandats !

Emmanuel Macron souhaitait mettre fin à de tels excès au nom du « renouveau » démocratique : « Tous nos concitoyens de bonne volonté doivent pouvoir accéder à des fonctions politiques ou administratives, selon leurs compétences et leur implication. Les partis politiques gagneront à renouveler leurs candidats », écrivait‐il dans son programme.

Un projet de loi prévoyait de limiter à trois, le nombre de mandats identiques successifs autorisés pour les parlementaires et les élus membres d’exécutifs locaux (maires ou maire adjoint, président de conseil régional ou départemental…). Repoussée une première fois en 2018 suite à l’affaire Benalla, le projet de loi revient en conseil des ministres en août 2019. Mais il ne sera finalement jamais inscrit à l’agenda parlementaire.

Pour Jean‐François Kerléo, cette réforme aurait eu de toute façon beaucoup de mal à être votée : « Sur la question du cumul des mandats, il y a eu des gros blocages avec le Sénat. Ce n’est pas que la majorité ou Emmanuel Macron qui n’a pas voulu faire cette réforme. Certaines ne se sont pas faites parce que, très clairement, en amont, dans les pourparlers avec l’opposition sénatoriale [à majorité Les Républicains, ndlr], ça ne passait pas ».

Les mesures bonus

Si le quinquennat d’Emmanuel Macron s’est traduit par certains renoncements en matière de moralisation de la vie politique, il a également vu l’adoption de quelques mesures qui n’avaient pas été annoncées pendant la campagne. C’est notamment le cas de la fin de la gratuité des trains SNCF pour les anciens parlementaires ayant siégé au moins dix‐huit ans. Mais c’est aussi le cas de réformes à la portée moins anecdotique.

  • Alignement du régime chômage des députés

En 2017, le bureau de l’Assemblée nationale décide d’aligner le dispositif d’indemnisation du chômage des députés sur le régime général, qui prévoit le versement de 57 % du salaire pendant vingt‐quatre mois à trente‐six mois. Jusqu’alors, les députés sortants pouvaient toucher pendant trois ans une allocation de fin de mandat dégressive (100 % de l’indemnité parlementaire le premier semestre, 70 % le deuxième, etc.)

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Reste qu’au final, le bilan est plus négatif que positif. Selon le site “Lui, président, qui vérifie la réalisation des promesses de ce quinquennat, 76 % des engagements d’Emmanuel Macron sur les thèmes institutions, vie politique et moralisation n’ont pas été respectés. Un bilan plus large qui prend en compte l’abandon de promesses aussi fortes que la mise en place d’une banque de la démocratie, pour financer les partis politiques, ou l’introduction d’une dose de proportionnelle aux élections législatives.

Certains observateurs dénoncent par ailleurs l’angle mort de la politique de moralisation au cours des cinq dernières années. « Des réflexions ont eu lieu à la fin du mandat notamment en matière de lutte contre la corruption. Les députés Olivier Marleix et Raphaël Gauvin ont fait une proposition de loi mais elle n’est pas passée, regrette ainsi Jean‐François Kerléo. Et de ce point de vue là, il n’y a rien eu de nouveau sous le quinquennat Macron. C’est sous le quinquennat précédent qu’il y a eu de vraies avancées avec la création de la Haute autorité de la transparence de la vie publique, de l’agence française anticorruption, ou du parquet national financier. »

Etienne Merle

J'enquête en région sur des sujets de corruptions locales et fact-check les déclarations hâtives des candidats à l'élection présidentielle.

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