« Nos enfants et nos enseignant·es sont laissé·es à l’abandon »

Pendant que la ministre de l’Éducation Élisabeth Borne s'attaque au lycée musulman Averroes, des parents d'élèves de Toulouse dénoncent l'abandon de leurs enfants et des enseignants par le gouvernement. Leur établissement - l'école élémentaire Bayard-Matabiau - a perdu 57 journées de classes depuis septembre faute de remplacement. Voici la lettre ouverte qu'ils ont adressée à l'inspecteur académique responsable de leur école.

Rassemblement de parents d’élèves de l’école Bayard Matabiau, à Toulouse, le 30 avril 2025.
Rassemblement de parents d'élèves de l'école Bayard Matabiau, à Toulouse, le 30 avril 2025. / Crédit Linda Terrier

Monsieur l’Inspecteur de l’Éducation nationale, nous, parents d’élèves de l’école élémentaire Bayard‐Matabiau, vous écrivons aujourd’hui publiquement, avec gravité, mais aussi avec un profond sentiment de responsabilité. 

Depuis plusieurs mois, notre école vit une situation inacceptable, indigne de ce que l’on est en droit d’attendre du service public d’éducation. Cette situation est celle du non‐remplacement systématique de nos enseignant·es. De nombreuses écoles toulousaines souffrent du même fléau, et de nombreux parents d’élèves toulousains se reconnaîtront certainement dans cette lettre.

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Au 8 avril 2025, 57 journées de classe avaient été perdues faute de remplacement. Et le pire est à venir. Dès ce lundi 28 avril, lundi de rentrée, dans trois jours, l’une de nos enseignantes sera officiellement en congé maternité, une absence parfaitement planifiée et anticipée, dont vous êtes informé depuis janvier.

Son remplacement n’est toujours pas prévu. Cette même classe a déjà souffert d’une absence de trois semaines à la rentrée, en raison d’un abandon de carrière. Dans dix jours, c’est le directeur de l’école qui prendra congé, une absence connue et validée par votre administration dès le début de l’année scolaire, mais sans aucun remplacement prévu à ce jour.

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À ces absences s’ajoutent d’autres absences, liées à des situations particulières (personnelles ou pour des formations), également non remplacées. Depuis des mois, notre école subit ainsi le non‐remplacement systémique des enseignant·es absents, dans une indifférence administrative glaciale.

Des classes sont sans maîtresse ou maître plusieurs jours, voire semaines. Les enfants sont éparpillés, parfois mis en autonomie, parfois simplement « accueillis » sans que l’équipe éducative, dont nous ne pouvons que louer l’engagement, ne puisse assurer une réelle prise en charge pédagogique. Est‐ce cela, le service public de l’éducation ?

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Avez‐vous des enfants, Monsieur l’Inspecteur de l’Éducation nationale ? Que ressentiriez‐vous si c’étaient les vôtres qui étaient ainsi privés d’enseignant·es ? Que feriez‐vous ? Vous avez contacté l’une d’entre nous, représentante des parents délégués de l’école, par téléphone le mercredi 9 avril, semble‐t‐il en lieu et place de l’audience que nous vous demandions.

Vous nous avez expliqué que vous ne pouviez pas nous recevoir, car vous étiez en déplacement professionnel à Poitiers jusqu’aux vacances scolaires. Durant cet échange, vous avez tenu à faire passer ce message : vous appréciez notre mobilisation pour l’école. Vous connaissez la situation spécifique. Votre hiérarchie, y compris le Dasen, est informée. Vous cherchez des solutions, mais vous n’avez aucune annonce à faire pour l’instant.

Vous avez également reconnu que la situation est « verrouillée », qu’elle est « particulièrement problématique sur notre circonscription » et de conclure : « c’est très simple, il n’y a pas de ressources à allouer ». Vous avez ajouté que vous deviez faire des arbitrages, « déshabiller Pierre pour habiller Paul » (nos mots, selon la formule consacrée).

« Notre école est exsangue. Votre inaction, honteuse. »

Monsieur, nous avons bien entendu ce message : il n’y a rien à annoncer. Pas de remplacement prévu. Et pourtant, les besoins, eux, sont bien réels. La situation est dramatique. Nos enfants, nos enseignant·es sont laissé.es à l’abandon. Notre école est exsangue. Votre inaction, honteuse. Rien ne peut excuser cette situation. Blâmer le manque d’enseignant·es disponibles est peut‐être votre réalité. Celle des enfants est encore plus concrète : ils n’ont pas d’enseignant·e. Que peuvent‐ils penser de l’école ? Et, plus concrètement, comment vont‐ils apprendre ?

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« Cela révèle un mépris pour le service public, pour les enseignant.es comme pour les élèves. »

Nos enfants paient ainsi chaque jour le prix de ce désengagement. Cette situation, que l’administration qualifie trop souvent de « temporaire », est parfaitement structurelle. Elle révèle un mépris pour le service public, pour les enseignant.es comme pour les élèves. Car ce ne sont plus des chiffres, des statistiques, ni des postes sur un organigramme : ce sont des enfants. Des enfants qui attendent un visage familier à l’entrée de leur classe, un.e adulte bienveillant pour les accompagner, un enseignant formé pour les faire progresser.

Dans ce contexte, nous avons décidé un coup d’arrêt symbolique mercredi 30 avril. Pendant une heure, l’école sera bloquée pour dire notre indignation. Monsieur l’Inspecteur de l’Éducation nationale, par cette lettre ouverte, nous vous invitons solennellement à venir nous rejoindre, ce matin‐là, pour expliquer la situation aux premiers concernés : les élèves dont vous avez la responsabilité. Nos enfants.

« Il est de votre responsabilité d’assumer ce que vivent ces enfants. »

Oui, nous vous convions à venir dans notre école, vous asseoir face aux enfants de Bayard‐Matabiau, et leur expliquer, avec vos mots d’adulte, pourquoi il manque des maîtresses et des maîtres, pourquoi leur maîtresse et leur maître ne sont pas remplacés, pourquoi chaque matin ils ne savent pas dans quelle classe ils iront – ou s’ils auront classe tout court. Car nous n’avons plus les mots.

Nous vous faisons cette invitation en toute transparence, parce que nous croyons qu’il est de votre responsabilité d’assumer ce que vivent ces enfants. Parce que nous croyons encore à la parole publique. Parce que nous croyons que les enfants ont droit à des réponses.

Nous, parents d’élèves, continuerons à nous mobiliser aux côtés de l’équipe enseignante, que nous soutenons pleinement. Nous ne renoncerons pas à obtenir des conditions d’apprentissage dignes.

Nous ne tolérerons pas que l’on traite notre école comme une garderie sans moyens. Nous exigeons une réponse immédiate à notre situation particulière. Nous exigeons, par ailleurs, des remplaçants formés, des postes pour enseigner, et une école publique respectée.

Dans l’attente d’un geste fort de votre part, que nous espérons à la hauteur de la situation, veuillez recevoir, Monsieur l’Inspecteur de l’Éducation nationale, l’expression de nos salutations distinguées, de notre respect ferme, mais indigné.

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Par Les parents élus, pour les parents d’élèves de l’école élémentaire Bayard-Matabiau