La forêt de Touffou, trésor de biodiversité de l’agglomération nantaise, est un havre de paix. Pour les promeneurs, bien sûr, mais aussi pour les chevreuils, engoulevents et autres tritons marbrés. Elle s’étend au sud de la commune de Vertou sur plus de 230 hectares. Une chance pour les habitants de la métropole, alors que le dérèglement climatique nous expose de plus en plus aux chaleurs étouffantes ou aux pluies torrentielles.
230 hectares, c’est à peu près la surface de bois et de forêts passés au bulldozer ces vingt dernières années à Nantes Métropole. Ce même territoire où l’on engage une politique ambitieuse de “renaturation”, tout du moins dans l’hypercentre (lire notre précédente enquête). Un bel effort de résilience, certes, mais qu’il faut replacer dans son contexte pour l’apprécier à sa juste mesure. Disons depuis l’an 2000.
Débitumer tout en bétonnant… l’ambivalence de Nantes sur la nature en ville
La triste rançon de l’attractivité
Ce passé récent est celui d’une métropole attractive qui gagne 110 000 habitants en un peu plus de vingt ans. Une euphorie urbaine qui a fini par emporter avec elle des espaces naturels et agricoles. Mais combien d’hectares au juste ? Dans quelles communes ? Et pour y faire quoi ? Pour répondre à ces questions, nous nous sommes plongés dans les fichiers constitués par le Département de Loire‐Atlantique : la base de données des modes d’occupation du sol (BDMOS).
Ces documents en accès libre décrivent avec une grande précision chaque parcelle du territoire et ses utilisations successives entre 1999 et 2020. Les traitements que nous avons réalisés (disponibles ici) permettent de mesurer l’étendue des espaces naturels et agricoles “artificialisés”, c’est-à-dire transformés en logements, en zones d’activités ou en équipements publics.
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340 Jardins des Plantes détruits
Premier chiffre, premier constat vertigineux : en seulement 20 ans, 2 389 hectares de nature ou de surfaces agricoles ont été transformés en zones urbaines. C’est plus de 6 fois la surface de l’île de Nantes. L’équivalent de 340 Jardins des Plantes.
Comme le montre le graphique ci‐dessous, cette frénésie a surtout fait disparaître des prairies : un millier d’hectares, auxquels s’ajoutent 400 hectares de champs cultivés et 173 hectares de terres maraîchères. Soit davantage que la superficie de la commune de Rezé (40 000 habitants).
Le « rêve pavillonnaire », grand dévoreur d’espaces naturels
En matière de destruction de zones boisées, c’est Vertou qui a eu la main la plus lourde : 38 hectares rasés pour laisser la place à des lotissements et des zones d’activité. A vrai dire, à Nantes et à Saint‐Herblain, on n’a pas été beaucoup plus sobres : 50 hectares d’arbres ont été rasés depuis 1999 sur l’ensemble de ces deux communes. Soit l’équivalent des parcs du Grand Blottereau, de la Gaudinière et de Procé réunis.
Un tiers de cette artificialisation a servi à construire des lotissements, et quasiment autant de zones d’activité. Dans certaines communes, comme Thouaré, Mauves‐sur‐Loire, Vertou ou Bouaye, plus de la moitié des pertes sont dues à l’habitat pavillonnaire.
Si l’on prend un peu plus de recul, l’attractivité nantaise a “bénéficié” à un territoire plus vaste, qu’on appelle l’aire d’attraction. Défini par l’Insee, ce secteur regroupe l’ensemble des communes dont plus de 15% de la population travaillent dans les communes‐centres de l’agglomération. Quand les terres se font rares et trop chères dans la métropole, celles des communes périphériques sont en sursis.
Au‐delà des limites de la métropole
Ces vingt dernières années, c’est surtout dans cette périphérie qu’on a consommé le plus d’espaces naturels et agricoles : 6 322 hectares, soit autant que la superficie de Nantes. Les trois quart (73%) de l’artificialisation a donc affecté des communes rurales qui ne font pas partie de la métropole.
Dans cette couronne périphérique, on a d’abord bétonné la prairie : plus de 3 500 hectares en 20 ans. Et un hectare sur trois a fini en lotissement, dans une proportion un peu plus importante que dans la métropole nantaise (35% contre 29%). Plus anecdotique mais très symbolique : pour combler l’appétit des toupies à béton, il a fallu étendre des carrières de sable à Saint‐Colomban (lire notre enquête publiée en octobre 2022), Rouans ou Vertou. 31 hectares de terres qui, avant l’an 2000, servaient d’abord à produire des aliments.
À Saint‐Colomban, la générosité très intéressée de Lafarge et GSM
Malgré cette bétonisation, dans ces communes rurales, la perte reste finalement assez limitée. Considérons l’ensemble des espaces naturels et agricoles d’une commune en 1999 comme son ”capital vert”. Sous cet angle, Vallet, dont les surfaces construites ont augmenté de 160 hectares en 20 ans, a été plutôt économe : moins de 5% de ses zones vertes sont passées du “côté gris”. A l’inverse, Rezé aura été la commune la moins respectueuse de son capital : sur les 50 hectares d’espaces naturels et agricoles qu’elle détenait en 1999, 30% ont été détruits. Il s’agissait pour plus de la moitié de terres agricoles et de prairies.
Un capital vert bien entamé
Quant aux 21 hectares de terres bétonnées à Saint‐Herblain, ils représentent pas moins de 16% des espaces naturels et agricoles conservés par la commune en 1999. Les terres artificialisées représentent aujourd’hui 60% du territoire de la commune, contre 54% il y a encore 23 ans. Nantes, de son côté, a dépensé 12% de son capital de verdure d’il y a 20 ans.
Durant les années 2000, on a d’abord consommé des terres pour loger de nouveaux habitants dans des lotissements. Mais les années 2010 ont été celles des zones d’activités. Sur la période la plus récente, entre 2016 et 2020, on a sacrifié des espaces naturels et agricoles avant tout pour accueillir des entreprises. C’est le cas d’Agropolia, le vaste pôle des filières agroalimentaire qui s’étend sur 55 hectares et accueille depuis 2019 le Marché d’intérêt national (MiN). Le constat vaut aussi bien pour Nantes Métropole que pour les communes périphériques.
Le train est toujours en marche
Aujourd’hui, les effets de la politique d’attractivité engagée dans les années 1990 par Jean‐Marc Ayrault se font toujours sentir. La crise du logement (voir notre dossier) en est un bon indicateur. Difficile d’arrêter un train en marche. Le plan local d’urbanisme métropolitain (PLUM) adopté en 2019 devrait toutefois permettre de limiter les dégâts : plus de 1200 hectares promis à l’urbanisation par les documents d’urbanisme précédents ont été rendus inconstructibles.
Pour autant, l’équipe conduite par Johanna Rolland n’a pas tiré un trait sur la croissance urbaine. L’objectif 2030 annoncé par le PLUM, c’est encore 75 000 habitants supplémentaires, 6000 logements neufs par an, et 60 000 nouveaux emplois.
75 hectares sous pression
Pour y parvenir, la priorité est donnée à la densification : construire en priorité au sein de l’enveloppe urbaine actuelle. Cela implique un changement radical de logiciel. Car jusqu’à présent, avec 110 000 habitants supplémentaires entre 1999 et 2020, on a consommé 217 mètres carrés de terres naturelles et agricoles pour chaque nouvel habitant. Au rythme actuel d’environ 7000 habitants supplémentaires par an, et en conservant le même appétit foncier que ces 20 dernières années, cela reviendrait à engloutir encore 10 km2 d’ici à 2030. Quasiment la superficie de Saint‐Sébastien‐sur‐Loire. C’est évidemment intenable.
Ces derniers mois, la crise climatique, ainsi que la politique de « zéro artificialisation nette » annoncée par le gouvernement, ont convaincu la Métropole d’une nouvelle mise au régime : sur les 523 hectares de zones destinées à l’urbanisation à long terme, 75 tout au plus pourront être mis en chantier d’ici à 2030, si aucune alternative n’est trouvée sur des terrains déjà urbanisés. La décision a été prise ce 10 février, en conseil métropolitain, sans les voix des alliés écologistes, trouvant la mesure trop timide. Face à la pénurie de logements, ces 75 hectares sont déjà sous pression.
La BDMOS de Loire‐Atlantique, utilisée ici, a été constituée à partir de l’interprétation d’images aériennes, c’est-à-dire des photographies prises à un instant précis. Tous les changements observés sur des surfaces d’au moins 2000 mètres carrés y sont répertoriés. Certaines parcelles peuvent être en chantier au moment de la prise de vue. Par exemple, 19% des terres artificialisées à Nantes Métropole entre 2016 et 2020 étaient classées “Chantier, terrains en mutation”, sans que l’on sache a priori quel type de zone urbaine elles deviendraient.
Cette source reste très précise à l’échelle d’une commune. Mais une autre base de données plus détaillée devrait être disponible d’ici fin 2024 : l”Occupation du sol grande échelle” (OCSGE), réalisée par plusieurs établissements publics comme l’IGN dans le cadre de l’observatoire de l’artificialisation.
Cette approche purement comptable de la consommation des terres a bien sûr ses limites. Si l’on se place du point de vue de la protection de la biodiversité, par exemple, passer d’une parcelle “naturelle, agricole et forestière” à “artificialisée” n’est pas nécessairement une perte. C’est le cas lors de la transformation en lotissement d’une parcelle de monoculture traitée aux pesticides, ou d’une parcelle de pins de culture, peu accueillante pour la biodiversité et contribuant à acidifier pour les sols.
Bravo pour votre article remarquable et votre infographie particulièrement édifiante !
j’ai lu avec beaucoup d’intérêt ; merci
Anne C
C’est l’effet « métropole » tout comme une dizaine de métropoles en France.
Pendant ce temps, des villes moyennes périclitent.
En gros, le libéralisme règne et les grandes agglomérations recherchent l’attractivité, au risque de l’engorgement.
C’est Jean‐Marc Ayrault qui s’en félicitait quand les gens se plaignaient des bouchons à l’entrée de Nantes.
Il restait encore un peu de végétation du côté du Vieux‐Doulon, zone qui va accueillir des centaines de logements.
La mairie a déjà construit l’école et les logements arrivent. Il y a de la contestation, mais j’ai l’impression qu’elle arrive un peu tard.
Evidemment, une agglomération qui accueille près de 10 000 habitants chaque année doit faire un effort pour loger tout ce petit monde.
En parallèle, les immeubles de bureau continuent de se construire, alors que pas mal d’entreprises diminuent leur « mètres carrés » suite à l’essor du télétravail dans le secteur tertiaire.
A mon sens, il est urgent de donner un coup d’arrêt à ces immeubles de bureaux et consacrer plus d’argent à du logement social en ville, car l’inflation sur les loyers est particulièrement problématique dans l’agglo nantaise et on voit du monde à la rue.
Un scandale dans une ville si « attractive ».
Très parlante infographie.
L’article, en revanche, me semble simpliste. Il reprend le refrain sur les « politiques d’attractivité ».
Or la métropole gagne chaque jour 25 habitants, dont 10 nouveaux‐nés qui n’ont pas vu le jour par l’opération des politiques en question. Les 15 autres ? Eh bien, ils viennent à Nantes parce qu’ils y trouvent de l’emploi, des possibilités d’étudier et des conditions de vie pas si désagréables que ça.
A moins d’empêcher les Nantaises et les Nantais de procréer et d’ériger des remparts autour de l’agglo, la métropole va continuer à grossir tant qu’elle sera jugée désirable. C’est ainsi : l’attractivité est un fait, elle ne se décrète pas.
Dire cela n’exonère évidemment pas d’une réflexion sur un usage plus économe du capital vert.
Sur toutes ces questions, je me permets de renvoyer au dossier du numéro 82 de la revue Place publique Nantes/Saint‐Nazaire (printemps 2022) « La ville grossit, que faire ? » qui citait d’ailleurs plusieurs articles de Médiacités.
Félicitations pour cette enquête extrêmement détaillée et complète. Le système d’infographie défilante rends particulièrement parlante l’évolution vers l’artificialisation des sols.
Un bien bel éclairage et des infographies très bien faites (bravo au Studio Le Plan) !
Bravo pour cet article ! A quand le même pour Toulouse ??
Je suis toujours autant surpris de la façon dont les choses sont présentées. Votre article le dit l’artificialisation est quantitativement une question qui se pose en dehors de la métropole. En effet vous dites bien « Ces vingt dernières années, c’est surtout dans cette périphérie qu’on a consommé le plus d’espaces naturels et agricoles : 6 322 hectares, soit autant que la superficie de Nantes. Les trois quart (73%) de l’artificialisation a donc affecté des communes rurales qui ne font pas partie de la métropole. »
Et pourtant au lieu de le souligner en introduction vous écrivez que l artificialisation va 4 fois plus vite à l’extérieur. Vous auriez pu écrire qu’elle était 4 fois moins importante dans la métropole. Et si vous qualifiez de frénésie ce qui est 4 fois moins important, comment qualifier ce qui se passe en dehors ?
Très intéressant ! La même pour le Grand Lyon ?