La gratuité des transports en commun pour les moins de 26 ans dans la métropole de Toulouse, une promesse crédible ?

Terminus de la “virgule” du tram T2 de Toulouse à l’aéroport.
Le sujet de la tarification des transports animera les débats autour de l'élection municipale à Toulouse.

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Par Eden Sakhi Momen

Alors que pour Jean-Michel Lattes, président de Tisséo, la gratuité des transports en commun n’est pas envisageable, l’idée fait son chemin à Toulouse. Du Printemps toulousain à La France insoumise, la mise en place d’une gratuité partielle pour les moins de 26 ans, est envisagée pour redonner du pouvoir d’achat aux jeunes et favoriser le report modal.

Question de Bertrand à Mediacités : La France insoumise propose d’instaurer une gratuité des transports pour les jeunes à Toulouse. Dans l’état actuel des finances de Tisséo, peut‐on l’envisager ?

Bonjour Bertrand et merci pour votre question qui traite d’un sujet qui animera sûrement la campagne municipale dans de nombreuses grandes métropoles, comme à Toulouse.

Gratuité des transports, encadrement des loyers, accès aux services publics, à la culture et aux loisirs… Le 15 octobre, le député insoumis François Piquemal a dévoilé les premières orientations d’un programme qu’il veut en partie tourné vers les jeunes. « Toulouse est une très grande ville étudiante [un habitant sur trois a moins de 26 ans]. Alors que les jeunes sont un public précaire, il est important pour nous de mettre en place des moyens pour les aider face à la hausse du coût de la vie », explique Ariane Laude, co‐directrice de campagne.

Dans cette optique, la question des transports est centrale. « Depuis l’arrivée de Jean‐Luc Moudenc, les titres de transport pour les jeunes ont augmenté de 50 %. Cela nous a beaucoup choqués », poursuit Ariane Laude, qui rappelle que les jeunes qui ne sont pas en activité ne bénéficient pas de la prise en charge des titres de transport par l’employeur. Dans l’agglomération toulousaine, notamment dans le secteur aéronautique, celle‐ci pourrait aller jusqu’à 75 % des coûts. 

Les tarifs proposés aux jeunes à Toulouse s’élèvent entre 148,8 euros et 218,4 euros selon les profils. Ils restent plus accessibles que dans les villes de taille similaire : l’abonnement pour les 18–25 ans est à 250 euros l’année à Lyon, 224 euros à Nantes, et 200 euros à Marseille (cette fois uniquement pour les étudiants). « La mise en place d’une gratuité partielle pour les jeunes pourrait être une forme d’expérimentation dont nous tirions les conclusions pour les autres publics », précise Ariane Laude.

33 millions d’euros à trouver

En se projetant à la mairie, les insoumis toulousains tablent sur une mise en place d’ici la fin du mandat, avec une extension progressive par catégorie d’âge. Cette gratuité partielle coûterait, selon eux, 33 millions d’euros par an.

Et pour la financer, ce sont vers les entreprises qu’ils prévoient de se tourner. « On compte sur la dynamique du versement mobilité, qui croît de 5 % par an dans la métropole », prévoit Ariane Laude. Cette contribution est versée par les entreprises de plus de 11 salariés pour financer les transports en commun.

Entre 2024 et 2025, Toulouse Métropole a ainsi touché 15 millions d’euros supplémentaires. Mais comme pour de nombreuses collectivités, le versement mobilité à Toulouse a atteint son plafond fixé à 2 % depuis 2011, empêchant d’accroître davantage cette manne.

La France insoumise n’aurait donc pas d’autre choix que de trouver 15 millions d’euros supplémentaires ailleurs pour financer sa mesure. « Aujourd’hui, en ne faisant pas la Jonction Est (nouvel échangeur prévu sur le périphérique de Toulouse), on peut déjà réinvestir 100 millions d’euros dans les transports », assure l’élue d’opposition et co‐cheffe de file LFI Agathe Roby, dont le groupe s’oppose au projet porté par Vinci Autoroutes et Toulouse Métropole. Un léger raccourci sachant que le chantier de 95 millions d’euros sera financé à 50 % par la collectivité. 

Le patronat vent debout contre la hausse du versement mobilité

L’équipe LFI porte de longue date l’idée d’augmenter le plafond du versement mobilité pour permettre de dégager des marges de manœuvre sur le financement des transports en commun.

En janvier 2024, la députée Anne Stambach‐Terrenoir avait déposé une proposition de loi en ce sens. « Le développement des transports en commun, mesure centrale de bifurcation écologique, doit permettre d’engager un report modal d’ampleur qui ne sera efficace que si ces transports répondent aux impératifs de disponibilité, de qualité et de prix abordable pour toutes et tous », décrivait‐elle alors. Un débat remis à l’ordre du jour lors de l’examen de la loi de finances 2025.

Le gouvernement avait finalement privilégié l’instauration d’un autre type de versement mobilité, « le versement mobilité rural et régional », cette fois prélevé par les régions. Une mesure portée par Carole Delga, qui l’a mise en place en Occitanie depuis le 1er novembre. Cette évolution n’est pas vue d’un bon œil par le grand patronat. 

« Augmenter le versement mobilité serait destructeur pour la compétitivité des entreprises », s’émouvait le Medef. Un raisonnement que réfute l’équipe de la France insoumise, pour qui rendre les transports gratuits pour les jeunes permet « à de nouveaux ou de futurs employés d’adopter très tôt des modes de déplacements plus vertueux pour se rendre au travail ». 

Reste que le Medef souligne que les employeurs sont déjà de loin les premiers contributeurs au financement des autorités organisatrices de transports, comme Tisséo. Le budget 2025 adopté pour l’opérateur de transports prévoit ainsi près de 345 millions d’euros issus du versement mobilité (dont 30 millions d’euros d’Airbus), contre 123,5 millions d’euros de recettes tarifaires. Les cinq collectivités qui participent au financement de Tisséo, dont Toulouse métropole, mettent quant à elles 125 millions d’euros sur la table. 

Le Parti communiste plaide quant à lui pour une gratuité totale

Fidèles aux revendications qu’ils portent depuis le début des années 2000 en la matière, les élus d’opposition communistes Pierre Lacaze et Inès Goffre‐Pedrosa font campagne autour de l’idée d’une gratuité des transports pour tous d’ici la fin du mandat. « C’est une mesure nécessaire pour en finir avec les bouchons et participer à la transition écologique », indique Pierre Lacaze, qui s’emploie à remettre des questions de fond dans le débat, quand la gauche peine encore à trouver un terrain d’entente sur les candidats.

Le PCF espère avancer par étapes en mettant d’abord en place une gratuité pour les plus de 60 ans et pour les moins de 18 ans la première année. Un coût estimé entre 20 et 30 millions d’euros par an. La gratuité totale serait autrement plus compliquée, puisqu’il faudrait trouver 126 millions d’euros pour combler la perte des recettes tarifaires.

Pour cela, les communistes souhaitent mener un large audit financier à la mairie et la Métropole, réfléchissent à l’instauration d’une nouvelle structure pour Tisséo, à laquelle pourraient participer le département et la région (comme c’est le cas en Île‐de‐France) et espèrent bénéficier des économies sur la fin de la billettique, « tout en maintenant une présence humaine égale afin de renforcer la sécurité dans les transports ». Rien n’étant jamais totalement gratuit, ce seraient in fine les contribuables qui seraient davantage sollicités dans le cas où la ville de Toulouse devait augmenter sa participation aux recettes perçues par Tisséo.

« Forcément, il faudra continuer de trouver des moyens pour investir, concède Pierre Lacaze, j’entends les alertes de la Cour des comptes, mais on cherche des solutions ». Il espère qu’un chemin sera fait au niveau national pour augmenter le taux du versement mobilité et éventuellement instaurer de nouvelles taxes, sur les bureaux, par exemple. Il réfléchit aussi à demander aux entreprises de continuer de payer la part employeur actuellement prise en charge dans les abonnements des salariés, malgré le passage à la gratuité. « Quand on voit les bénéfices que fait Airbus chaque année, ce n’est qu’une petite portion comparé aux finances de Tisséo », s’avance-t-il.

La majorité mise, elle, sur une augmentation des tarifs

Dans son rapport budgétaire 2025, Toulouse métropole précisait que « la mobilité occupe la part la plus importante » de son budget, pour 33 %. Toutes ces recettes ne permettent néanmoins pas à Tisséo d’investir sans s’endetter assez lourdement : la ligne C du métro, qui selon une information de Mediacités, pourrait coûter près de 4 milliards d’euros, est financée aux trois quarts par de l’emprunt. Rien que cette année, un crédit de 730 millions d’euros a été voté, et des sommes similaires devraient être mobilisées jusqu’en 2027.

Le trou à 600 millions d’euros de la ligne C du métro à Toulouse

Autant de contraintes financières qui ont poussé le président de Tisséo Jean‐Michel Lattes à privilégier une hausse des tarifs, progressive chaque année, selon une évolution décidée en 2022 s’étendant jusqu’en 2026. Depuis son arrivée, le proche de Jean‐Luc Moudenc a entrepris des réformes majeures de la tarification, alors qu’il jurait au départ qu’il ne le ferait pas. 

Il a ainsi mis fin à la gratuité pour les séniors (une mesure qui datait de 1972), à l’abonnement à dix euros pour les jeunes ainsi qu’aux bus gratuits à Colomiers. « La gratuité ne sera plus attribuée à tout le monde, elle sera liée à des revenus, comme dans la plupart des réseaux français », précisait‐il alors. Une promesse tenue [lire ci‐après].    

Une analyse saluée dans un rapport récent de la Cour des comptes sur la tarification des transports. Les magistrats s’alarment en effet des perspectives d’investissement des autorités organisatrices de mobilité, estimant que les grandes métropoles se trouvent aujourd’hui dans une impasse financière. « Les recettes tarifaires ne représentaient en 2019 que 26 % des ressources mobilisées pour financer le coût total des transports collectifs », décrivent‐ils, plaidant ainsi plutôt pour une augmentation des tarifs, tout en l’accompagnant « de tarifs adaptés à destination des usagers les plus modestes ». 

« La gratuité ne suffit pas »

La Métropole de Toulouse respecte l’obligation légale de proposer un tarif réduit d’au moins 50 % pour les 10 % de la population les moins favorisés en fonction de leurs ressources, en mettant en place des tarifs à la fois basés sur le statut (demandeurs d’emploi, jeunes, seniors) et les revenus.

Tisséo indique à Mediacités qu’aujourd’hui 64 % des voyages sont réalisés avec des titres de réduction, dont 9 % gratuitement, pour un total de 370 500 bénéficiaires. La Cour des comptes précise néanmoins qu’il « conviendrait de promouvoir des mesures de simplification des démarches administratives et de communication pour que toutes les personnes défavorisées puissent bénéficier effectivement des tarifs les plus avantageux prévus pour elles ».

Les magistrats rappellent enfin que le report modal des automobilistes ne pourra avoir lieu qu’en cas de choc d’offre impliquant des investissements conséquents pour améliorer les dessertes sur tout le territoire.

Un constat partagé par Jean‐Michel Lattes, qui déclarait dans Le Journal Toulousain : « Nous préférons investir plutôt que rechercher la gratuité (…) J’ai très peu de gens qui m’écrivent pour me dire que le bus est trop cher. J’ai beaucoup plus de courriers pour me dire que le service est insuffisant ».

Jean‐Michel Lattes, président de Tisséo, aux côtés de Jean‐Luc Moudenc lors d’un point sur l’avancement de la ligne de métro C cet été. Photo : Facebook de Tisséo.

« La gratuité ne suffit pas, il faut que l’offre qui l’accompagne soit performante », abonde de son côté Agathe Roby, élue municipale et métropolitaine insoumise. Selon elle, mettre en place une gratuité partielle pour les jeunes n’empêche pas les investissements. L’équipe de François Piquemal table pour cela sur une hausse des investissements sur le réseau de bus (comprenant l’extension des zones desservies et des plages horaires), avec un arrêt de bus tous les 300 mètres et un passage toutes les 15 minutes.

Investir dans les bus et le RER métropolitain

« À Toulouse, la majorité des investissements ont été focalisés sur la ligne de métro C [prévue pour le moment en 2028], il faut prioriser désormais le développement d’autres lignes de transports. L’avantage, c’est que le bus coûte moins cher que le métro », note Ariane Laude.

Ville et automobile : le lent recul de la voiture individuelle à Toulouse

Selon la Cour des comptes, comme à Toulouse la population continue d’augmenter en deuxième et troisième couronnes – des zones moins desservies en transports – la circulation automobile ne faiblit pas. Tisséo indique à Mediacités qu” « en dix ans, l’offre du réseau – qui s’étend sur 1 200 km² – a progressé de 19 % pour répondre aux enjeux de mobilité d’un territoire qui connaît l’une des plus fortes croissances démographiques en France. » 

Concernant la desserte des couronnes de la Métropole, Tisséo explique que cinq lignes de bus ont été mises en service récemment pour répondre à ces besoins spécifiques : la Ligne express Muret – Basso Combo, la ligne Saint‐Lys – Colomiers, et les lignes 401, 402 et 403 renforçant la couverture de l’ouest du Grand Ouest Toulousain. 

De son côté, La France insoumise y voit l’intérêt d’y développer le RER métropolitain (aussi appelé SERM) porté conjointement avec la région et le département, qui devrait s’étendre sur environ 50 kilomètres autour de Toulouse, et dont la ligne C constitue la première « brique », selon Tisséo.

Le problème, c’est que lors du dernier conseil métropolitain, Jean‐Luc Moudenc déclarait : « Le RER coûte extrêmement cher : 4,7 milliards d’euros selon nos estimations. Or, aujourd’hui, il n’y a pas de financement ». « C’est un projet de long terme, mais il est important », défend Agathe Roby. Difficile néanmoins d’imaginer le financement d’un tel projet sans coup de pouce de l’État. 

Alors que Tisséo s’oppose à la gratuité pour tous, le Maire de Montpellier défend son modèle

Les usagers des transports toulousains ont peut‐être déjà lorgné avec envie sur leurs voisins montpelliérains, dont les résidents de la métropole bénéficient d’une gratuité totale des transports en commun depuis fin 2023. Un objectif porté par le maire, Michaël Delafosse (PS), pour permettre le report modal.

Mais un choix décrié dans le rapport de la Cour des comptes, qui préconise d’éviter toute forme de pertes de recettes tarifaires dans les grandes métropoles. Les conclusions des magistrats sont sévères : « il ressort un report modal à ce stade limité et une dégradation de la satisfaction des usagers [du fait d’une hausse de la fréquentation ayant pour conséquence une forme de saturation des transports] (…) Son financement sera rendu plus difficile à long terme par la quasi‐disparition des recettes tarifaires ». Les magistrats s’interrogent notamment sur la capacité de la métropole à développer son réseau dans le futur, même si la gratuité ne l’a pas empêchée d’inaugurer prochainement sa cinquième ligne de tramway.

La fréquentation des transports en commun a bondi de 20%, moins de six mois après la mise en place de la gratuité. Parmi les trajets, 28% correspondent à de nouveaux déplacements et 33% correspondent à un report depuis des modes de transports polluants (moto ou voiture). Le report modal le plus important concerne les modes doux (39%) pour des trajets auparavant effectués à pied, à vélo ou en trottinette.

Interrogé par l’AFP, Michaël Delafosse dénonçait « un rapport à charge » (les magistrats n’ont pas attendu, selon lui, les résultats de l’enquête approfondie commandée par la métropole et se sont basés sur un sondage réalisé très rapidement après la mise en place de la gratuité totale). Auprès de nos confrères du Monde, il défend son modèle. « La gratuité, c’est un choix politique pour allier transition écologique et pouvoir d’achat. On ne s’interroge pas de la même manière sur le coût des routes pour les finances publiques ! »

 

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