Macron, le tabac, l’alcool et les Ch’tis : ce que disent les chiffres

DECRYPTAGE - En visite dans le Pas-de-Calais vendredi dernier, Emmanuel Macron a créé la polémique en évoquant le tabagisme et l'alcoolisme dans le bassin minier. Une formule inélégante, mais pas forcément fausse.

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Emmanuel Macron aurait‐il mieux fait de se taire ? Vendredi 13 janvier 2017, en déplacement à Noeux‐les‐Mînes (Pas‐de‐Calais) dans le cadre de la campagne pour la présidentielle 2017, l’ancien ministre de l’Economie et des Finances se lance dans une description quasi‐apocalyptique de la région qui l’accueille :

« Sur cet effondrement [NDLR : celui de l’activité minière et industrielle dans la région], il y a eu des problèmes sanitaires et sociaux. (…) Dans ce bassin minier, les soins se sont moins bien faits, il y a beaucoup de tabagisme et d’alcoolisme, l’espérance de vie s’est réduite, elle est de plusieurs années inférieure à la moyenne nationale. »

Les réactions ne se font pas attendre. Premier à dégainer, le Front National crie aussitôt au « mépris de classe », par la voix de Steve Briois. « Avec sa morgue de banquier parisien, Macron insulte toute la population du bassin minier », écrit le maire d’Hénin‐Beaumont sur Twitter. Même réseau social et même ton outragé chez Gérald Darmanin, député‐maire (Les Républicains) de Tourcoing :

Peu après, le secrétaire général du PCF, Pierre Laurent, y allait lui aussi de sa diatribe :

Sauf que…

Sauf qu’au delà des polémiques, Emmanuel Macron semble bien avoir raison. Aussi dur et maladroit soit‐il, le constat émis par l’ancien collaborateur de François Hollande à l’Élysée, correspond à la réalité. Sur l’espérance de vie, tout d’abord. D’après les chiffres de l’Insee, celle de la région des Hauts‐de‐France reste largement inférieure à la moyenne nationale. Chez les hommes comme chez les femmes.

Espérance de vie France vs Hauts-de-France

Surtout, cette différence semble effectivement imputable – en partie, du moins – au tabac et à l’alcool. A cet égard, il est intéressant de se pencher sur les données fournies par le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CepiDc), très sérieuse institution dépendant de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale). En observant ces chiffres et en les ramenant à la taille de la population, on observe que le taux de décès liés aux cancers « tabagiques » (cancers du poumon mais aussi de la bouche, de la langue, du larynx et du pharynx) est nettement plus élevé dans le Nord et dans le Pas‐de‐Calais que dans l’ensemble de la France métropolitaine. Et ce depuis plusieurs décennies (nous avons choisi de nous concentrer ici sur les dates des cinq derniers recensements de la population).

Sources : Données CepiDc‐Inserm pour les causes de décès et Insee (recensements de population 1982–1990-1999–2008-2013)

Même constat, ou presque, si l’on regarde les décès classés dans la catégorie « Abus d’alcool (y compris psychose alcoolique) », selon la terminologie de l’Organisation mondiale de la Santé.

Sources : Données CepiDc‐Inserm pour les causes de décès et Insee (recensements de population 1982–1990-1999–2008-2013)

 

Un constat valable aussi bien chez les hommes…

Sources : Données CepiDc‐Inserm pour les causes de décès et Insee (recensements de population 1982–1990-1999–2008-2013)

que chez les femmes :

Sources : Données CepiDc‐Inserm pour les causes de décès et Insee (recensements de population 1982–1990-1999–2008-2013)

De très nettes différences que confirment différents rapports, parmi lesquels l’Atlas régional et territorial de la santé publié par l’ARS (Agence régionale de santé) des Hauts‐de‐France. Dans sa livraison 2015, celui‐ci met notamment l’accent sur la mortalité prématurée dans la région :

« L’indice comparatif de mortalité prématurée (avant 65 ans) dans la région est supérieur de 40 % chez les hommes et de 30 % chez les femmes à celle de la France métropolitaine. (…) La surmortalité liée à l’alcool est de 85 % chez les hommes et 125 % chez les femmes. Elle est de 38% chez les hommes et de 19% chez les femmes pour les décès liés au tabac. »

Difficile, donc, d’accuser Emmanuel Macron « d’insulter » ou de « mépriser » les populations du bassin minier sur la seule base d’un constat validé par les autorités sanitaires. Mais il est vrai que les déplacements lors des campagnes électorales sont parfois l’occasion de se prendre les pieds dans le tapis. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé, trois jours après Noeux‐les‐Mînes, au candidat d” « En marche », lors d’un meeting à Quimper. Interrogé sur France 3 Bretagne, il a nié avoir autorisé l’extraction de sable marin dans la baie de Lannion. Mais c’était sans compter les décodeurs du Monde qui ont retrouvé le décret de concession signé par celui qui était alors ministre de l’économie, des finances et du numérique de Manuel Valls…

  • Merci à vous pour ce décryptage juste sur la réalité citée par E. Macron. c’est juste la vérité, même si elle dérange. je travaille avec le monde social et je peux constater tous les jours combien le nord et le pas de calais sont des territoires hétérogènes, avec des poches de très riches… et des zones, comme ici, de très grande pauvreté. cumulant indices désastreux tant en termes d’emploi, de lien social que de santé…

  • D’accord mais pourquoi prendre les chiffres de la région Hauts‐de‐France ou NPDC alors que Macron parlait du Bassin Minier ? Les journalistes du Monde ont fait la même chose et je trouve ça inexact. Le Bassin Minier ne constitue que 10% du NPDC avec une histoire socio‐économique singulière et un contexte actuel bien particulier.
    Je ne suis pas sûr que la situation sanitaire soit la même à Steenvoorde, Villeneuve d’Ascq ou Bapaume…
    Il aurait été (à mon avis) plus pertinent d’interroger un médecin généraliste de Noeux‐les‐Mines ou un praticien de l’hôpital de Lens.

    En tout cas, bonne chance pour votre site. Je trouve que ça commence bien (même si je commence par une critique, ce qui n’est pas très charitable).

    • Bonjour,
      Effectivement, il aurait été intéressant de pouvoir se pencher sur la seule zone du bassin minier. Malheureusement, nous n’avons pas trouvé de données aussi précises. Nous avons néanmoins tenté de réduire l’échelle au maximum : les différents graphiques de l’article sont basés sur des chiffres départementaux.
      Merci pour votre lecture attentive et vos encouragements.

  • 3 oncles sur 10 décédés prématurément de l’alcool dont 2 qui ont cumulés avec le tabac. Toutes mes tantes sont vivantes et pour certaines approchent les 90 ans. 1 cousin sur 17 décédé également à cause de l’alcool. Mon père décédé à 72 ans d’avoir été gros fumeur alors qu’il avait arrêté depuis 25 ans.… Faut‐il en rajouter ? Bien au dessus des taux évoqués et en étant d’une famille très mixée qui mélange ouvriers, français moyens, cadres. Ce n’est pas une question d’appartenance à une classe. C’est une réalité et c’est un fléau !!! Donc nommons les choses et traitons les sujets, la première voie du progrès c’est la conscience du problème.

  • Pointer l’alcool et le tabac comme cause de la mortalité dans le bassin minier c’est culpabiliser les victimes de l’effroyable effondrement économique de la région, abandonnée par la nation.
    M. Macron, si vous deveniez chômeur, en même temps que tous vos parents, voisins et amis, n’auriez‐vous pas quelques raisons de vous mettre à boire ?
    À votre santé monsieur l’ex‐Ministre de l’économie et de l’industrie, monsieur le haut fonctionnaire à l’emploi garanti à vie, monsieur le banquier d’affaire devenu millionnaire.

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Par Benjamin Peyrel