Une petite merveille dans un écrin de verdure. En avril, une nouvelle maison de soins palliatifs ouvrira à Nantes, dans le quartier Saint-Donatien, accolée à la maison de retraite Saint-Joseph. Dix-huit chambres type hôtel, entourées d’un jardin, d’un potager, d’un verger et recouvertes d’une toiture végétalisée. Outre des soins médicaux, les patients bénéficieront d’autres services : art-thérapie, musicothérapie, socio-esthétique, biographie de fin de vie, etc. Une quarantaine de soignants et une trentaine de bénévoles accompagneront les malades. « Il s’agit d’une maison et pas d’une unité, rapporte Edith de Rotalier, secrétaire de l’association Maison de Nicodème, instigatrice du projet. Même si tout le référentiel médical est présent, c’est une question d’esprit, d’âme, de décoration, d’architecture. »
En France, seules deux autres unités de ce type existent à l’heure actuelle : Jeanne-Garnier, à Paris, et Gardanne, près de Marseille. L’implantation d’un établissement de ce type à Nantes n’est donc pas anodin. Car si elle ne fait pas partie des 26 départements français totalement dépourvus d’unité de soins palliatifs, la Loire-Atlantique manque néanmoins cruellement de moyens au vu de la densité de sa population. Selon l’Agence régionale de santé (ARS), le département compte 1,26 lit d’unité pour 100 000 habitants, quand la moyenne nationale s’élève à 2,8 et la moyenne bretonne à 4,2.
Soutenir les malades et leurs proches
Cette implantation est donc une bonne nouvelle puisqu’elle vient pallier le manque de structures destinées à améliorer la qualité de vie de personnes en fin de vie, atteintes de maladies graves, évolutives ou terminales. Un déficit qu’avait d’ailleurs identifié Johanna Rolland, la maire (PS) de Nantes. Dans son programme pour les élections municipales de 2020, figurait la promesse de « création d’une maison des soins palliatifs pour soutenir les malades et leurs proches ». Sauf que cette maison là ne devra pas grand chose à l’action de la collectivité. Mais plutôt à celle d’un groupe privé.
Tout commence en 2016, lorsqu’un appel à projets sur du soin palliatif innovant est lancé par l’ARS des Pays de la Loire. « Elle avait le souhait d’accompagner un projet novateur, une vitrine pour un autre regard, attirer d’autres professionnels, décrit Vincent Michelet, directeur adjoint de la Direction de l’appui à la transformation et de l’accompagnement (Data), en charge du pilotage de la politique régionale des soins palliatifs à l’ARS. Nous étions en déficit de lits, c’était l’occasion de créer cette unité ex-nihilo, ce qui est rare. »

18 lits dans un premier temps
A l’issue de l’appel, le projet – jugé hyper séduisant – de l’association de citoyens Maison de Nicodème est préféré à la proposition classique de l’hôpital. Il est soutenu par le groupe privé et catholique HSTV (Hospitalité Saint-Thomas de Villeneuve), qui détient quatorze établissements sanitaires et médico-sociaux en Bretagne et en Provence, dont trois unités de soins palliatifs depuis plus de vingt ans, à Bain-de-Bretagne, Rennes et Aix-en-Provence. « On a très vite partagé la philosophie de la Maison de Nicodème qui avait besoin d’une structure compétente pour la gestion, affirme Edward de Goursac, directeur de la stratégie et des projets HSTV et pilote du projet Maison de Nicodème. Et nous avons obtenu l’autorisation d’unité de soins palliatifs en 2018, pour 24 lits (18 dans un premier temps). »
En tout, cette pépite coûte 10,75 millions d’euros. 3,15 millions d’euros sont financés grâce au soutien de fondations familiales, d’entreprises et de particuliers, pour la construction, la diffusion, le développement de la culture palliative et du bénévolat ; 6 millions d’euros seront couverts par des emprunts, auxquels s’ajoutent 1,6 million d’euros apporté par HSTV pour l’aménagement des locaux et le matériel médical et non médical. Le budget exploitation annuel tournera autour de 3,3 millions d’euros (pour plus de 300 séjours par an), géré par HSTV et financé par l’Assurance maladie.
La crise sanitaire et son lot de traumatismes autour de la fin et de vie et du deuil a réveillé l’intérêt des citoyens pour ce sujet sensible : lors de la Nuit du Bien Commun, à Nantes, l’association Maison de Nicodème a récolté 80 000 euros de dons. Un montant exceptionnel quand on le compare à la moyenne des sommes récoltées : 50 000 euros.
Politique de lits identifiés

Une mobilisation citoyenne qui, en creux, pointe le manque existant en termes de soins palliatifs dans l’offre de santé publique française. Dans l’Hexagone, ces derniers sont répartis en trois domaines : les lits d’unité pour les cas les plus complexes, les lits identifiés placés dans les services où le taux de mortalité est élevé et les équipes mobiles, qui apportent leur expertise aux soignants ou se déplacent au domicile. En Pays-de-la-Loire, on trouve 48 lits d’unité (dont 21 en Loire-Atlantique), 444 lits identifiés et 25 équipes mobiles.
Dans le département, l’accent a été mis sur les lits identifiés (plus nombreux que la moyenne nationale) moins coûteux et moins contraignants en termes de personnel. En pratique, ces lits, s’ils ne sont pas regroupés par quatre, voire six, ne sont pas opérationnels au niveau de la prise en charge palliative. Malgré un nombre d’équipes mobiles assez élevé lui aussi, les soignants ne parviennent pas à se rendre suffisamment au domicile des patients, notamment à Châteaubriant et Ancenis.
« Un territoire important pour des moyens insuffisants »
« Même sur Nantes, il est difficile d’avoir une évaluation d’un médecin de soins palliatifs qui se déplace, car il y a un territoire important pour des moyens insuffisants », observe Adrien Evin, médecin de l’unité de soins palliatifs du CHU de Nantes et praticien hospitalier universitaire. « Elles ne sont pas les seules à intervenir, répond Vincent Michelet. 30% de l’activité de l’hospitalisation à domicile (HAD) est liée aux soins palliatifs. La médecine de ville est aussi amenée à intervenir. C’est une question de capacités financières mais aussi de capacité à recruter. La budgétisation sur ces postes de médecins existe, mais il n’y a pas de candidats. Sur les soins palliatifs, spécialité exigeante et difficile, le phénomène est peut-être même exacerbé. »
« Il y a un contexte global de pénurie de médecins, qui sont épuisés. L’appétence est là mais ce qui est compliqué en soins palliatifs, c’est de durer, analyse Aurélie Lepeintre, médecin responsable de l’unité mobile de soins palliatifs et de support du CHU de Nantes. Quand il faut se battre en permanence pour garder les mêmes moyens, ça joue sur une “clinique” qui n’est déjà pas facile. »
Tensions sur le recrutement
Au-delà des financements, le nerf de la guerre tient au recrutement. L’unité Jeanne-Garnier, modèle parisien de la maison nantaise, a récemment fermé 40 lits sur 80, faute de personnel. Même situation au Mans, dans la Sarthe, où l’unité de soins palliatifs a disparu : « Ces lits théoriques ne fonctionnent pas en raison de la pénurie médicale et paramédicale sur toute la région », affirme Vincent Michelet.
En Loire-Atlantique, les soignants se réjouissent néanmoins de voir arriver les nouveaux lits de Nicodème, même si face aux couloirs ternes d’un hôpital public au personnel épuisé et en mal de sens, les ressources de ce joyau privé font un peu grincer des dents. Mais c’est surtout face au manque de ressources humaines que l’inquiétude plane. Cette nouvelle offre privée ne risque-t-elle pas de capter un personnel qui manque déjà ailleurs ?
« Je ne peux qu’être ravi de voir qu’une structure va émerger sur le territoire mais j’ai été surpris, comme beaucoup de mes partenaires, que 18 lits aient été validés comme ça, affirme Rodolphe Mocquet, directeur du Compas (Coordination mutualisée de proximité pour l’appui et le soutien), le dispositif fédérateur des professionnels de soins palliatifs sur l’agglomération nantaise et l’est de la Loire-Atlantique. Il faudra s’assurer qu’on peut faire vivre toutes les autres, et espérer que ce soit l’occasion pour l’hôpital de tendre vers cette offre-là. »
Même malaise chez les soignants de l’hôpital, qui restent silencieux quand on leur pose la question. « On a un devoir de réserve, l’important c’est la population », souffle l’un d’entre eux. « C’est pour cela que l’hôpital a vu sa capacité augmenter », leur répond Vincent Michelet. Au CHU de Nantes, le nombre de lits doit effectivement prochainement passer de 10 à 12, voire à 14.
Coopération public – privé
La pilule avalée, les soignants du public travaillent dorénavant main dans la main avec leurs collègues du privé, qui arriveront sur le territoire au printemps. « Il ne faut pas le voir en termes de concurrence mais de complémentarité, car les patients seront les mêmes, analyse Claire Fourcade, présidente nationale de la SFAP (Société française d’accompagnement et de soins palliatifs). Mais ce n’est pas parce qu’ils disposent de belles chambres et d’un bel équipement que ce sera forcément facile. Car ça fait bouger les équilibres locaux. On peut avoir un puzzle où il y a des trous mais celui qui arrive doit se donner la peine de prendre la forme du trou. C’est un défi pour eux. »
« A compétence égale, on va plutôt chercher des médecins hors Pays-de-la-Loire pour ne pas déshabiller les ressources en place, rassure Edward de Goursac, du groupe HSTV. Ce ne sera pas forcément possible pour tous mais sur les quarante équivalents temps plein, on sera vigilants pour ne pas en recruter quarante du CHU, du Confluent ou de l’Institut de cancérologie de l’Ouest (ICO). »
Autre crainte des soignants : la continuité de la qualité de prise en charge des patients. « Dans notre unité, des patients nous disent déjà que c’est un hôtel cinq étoiles, donc si jamais ils doivent transférer le patient dans un autre service, cela peut être brutal dans la réalité du système de soins », remarque Adrien Evin.
« Le propre d’une activité de soins palliatifs est l’arrêt des soins curatifs, répond Edward de Goursac. Donc pas de raison d’aller sur des plateaux techniques. Cela peut arriver mais les flux ne sont pas très importants. » Vincent Michelet appuie : « Regardons plutôt le verre à moitié plein : si la personne a pu bénéficier de cet accompagnement-là, c’est tant mieux. »
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