Qu’il y fasse trop froid ou trop chaud, pas facile de vivre dans un logement mal isolé. Selon une étude récente, la France comptait 14 % de résidences principales classées F ou G au 1er janvier 2025, soit 4,2 millions de passoires énergétiques. Un peu plus d’un quart d’entre elles sont d’ailleurs interdites à la location depuis cette année.
La région Occitanie serait parmi les mieux loties, avec seulement 11,1 % de logements classés F ou G. Pourtant, selon des chiffres de l’Arec Occitanie, la précarité énergétique augmente. La part des ménages entrant dans cette catégorie est passée de 13,5 à 15,3 % entre 2018 et 2021. Cela représente près de 400 000 foyers « éprouvant des difficultés à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat ».
Face à ce problème, les pouvoirs publics ne restent pas les bras ballants. Entre 2016 et 2023, la région Occitanie a consacré 236 millions d’euros à la politique de rénovation énergétique des logements. Au niveau national, les investissements dans ce domaine ont augmenté de 52 % entre 2011 et 2022, selon l’Ademe, passant de 11,2 milliards d’euros à 16,4 milliards d’euros.
Chargée de la coordination de la politique de rénovation énergétique, l’Agence nationale de l’habitat (Anah) a par exemple distribué 3,77 milliards d’euros via MaPrimeRénov’ pour la seule année 2024. Quelle part a permis de rénover des logements dans la région Occitanie ? Impossible de le savoir comme nous le verrons plus tard.
2 800 logements rénovés
Une question se pose : ces investissements ont‐ils permis d’améliorer l’efficacité énergétique des logements et de réduire la facture pour les habitants ? Selon l’outil Terristory, la consommation annuelle par habitant dans le secteur résidentiel est passée en moyenne de 7 024 kWh en 2013 à 5 911 kWh en 2022, en Occitanie. À l’échelle de Toulouse Métropole, la consommation est tombée de 5 578 kWh à 4 168 kWh sur la même période.
Dans le même temps, la facture énergétique a d’ailleurs suivi une dynamique inverse en raison de la crise énergétique de 2021–2022. Un habitant d’Occitanie dépensait en moyenne 759 euros par an en 2022, contre 677 euros en 2013. Dans la métropole toulousaine, l’augmentation a été plus contenue, puisque la facture est passée de 560 à 591 euros.
Difficile cependant de savoir si ces évolutions sont liées à des changements d’habitudes ou à une performance accrue des logements. Mediacités et le réseau européen du journalisme urbain (Urban journalism network) ont interrogé le Conseil régional sur le bilan de son dispositif Rénov’Occitanie. « Malgré un contexte défavorable lié à une forte inflation », les travaux réalisés grâce au dispositif régional Rénov’Occitanie ont permis de « sortir de nombreux ménages de situations de passoires thermiques », se félicite la collectivité.
La réalité des chiffres oblige à relativiser ce satisfecit. Entre 2021 et 2023, 47 millions d’euros ont été investis pour informer et accompagner 117 000 foyers. Mais seulement 2 800 d’entre eux, soit à peine plus de 2 %, ont finalement réalisé des travaux d’isolation, de ventilation ou de chauffage dans le but d’améliorer la performance énergétique de leur logement. C’est peu, au regard du nombre de foyers en précarité énergétique.
Ce faible taux de transformation s’explique par des failles dans l’accompagnement des ménages, une offre insuffisante d’entreprises labellisées RGE (« reconnu garant de l’environnement ») pour réaliser les travaux, mais aussi, un reste à charge trop important. Tout en reconnaissant ses difficultés à convaincre les ménages de se lancer dans les travaux, la Région assure avoir adapté son offre. L’Agence régionale énergie climat (Arec) se concentre à présent sur les copropriétés. Le taux de passage à l’acte entre l’accompagnement et les travaux aurait augmenté de 7 % à 11 % entre 2023 et 2024, selon la collectivité.
L’Anah fait de la rétention
Voilà pour l’action régionale. Mais qu’en est‐il de celle de l’État ? Sollicitée à de nombreuses reprises sur le montant des aides MaPrimeRenov’ allouées en Occitanie, l’Anah n’a pas su nous renseigner. « Nous ne disposons pas de ces données. Les aides Ma Prime rénov’ s’instruisent au niveau national, en local nous parlons d’aide à la pierre. Nous n’obtenons pas ces données facilement, il faut paramétrer une base de données et nous n’aurons pas ces éléments dans vos délais, car nous n’avons pas de ressource en interne pour réaliser ce travail », a indiqué l’Anah à Médiacités le 15 avril dernier.
Les collectivités ne sont pas mieux loties. D’après plusieurs sources, elles auraient également du mal à accéder aux données de l’Anah. Selon nos informations, l’agence gouvernementale refuserait de fournir des données à des tiers sur les travaux réalisés par les ménages, pour des raisons de confidentialité et de protection des données personnelles.
Résultat, « à ce jour, il reste quasi impossible d’avoir une vision globale de la politique française de rénovation énergétique », confirme Florence Lievyn, responsable des affaires publiques chez Sonergia, une entreprise spécialisée dans l’accompagnement des travaux de rénovation énergétique.
… critiquée par la Chambre régionale des comptes
C’est également la conclusion de la Chambre régionale des comptes d’Occitanie. Dans le cadre de son évaluation de la politique régionale de rénovation énergétique des logements, publiée en 2024, celle‐ci a demandé à l’Anah l’accès à ses données. Cela lui a été accordé à condition de s’engager à respecter la RGPD, et donc à ne rien divulguer. Malgré cet accès privilégié, la Chambre régionale des comptes d’Occitanie observe que « le contrôle et le pilotage des actions menées pâtissent d’un système d’information défaillant ».
« Si divers observatoires occitans s’intéressent à la rénovation énergétique et publient de façon isolée des indicateurs, aucun chiffrage cumulant les rénovations énergétiques des différents dispositifs (MaPrimeRénov’, Rénov’Occitanie) n’est disponible », déplore‐t‐elle.
Pour Patrice Ros, vice‐président de la Chambre régionale des comptes d’Occitanie, l’évaluation de notre politique en matière de soutien à la rénovation énergétique resterait « faisable », « à condition que nous puissions avoir une base de données unique au niveau national et une stabilité institutionnelle ».
Sollicitée à nouveau avant la publication de cet article, l’Anah soutient à Médiacités que « les collectivités délégataires des aides à la pierre ont accès directement aux données » et que « les autres collectivités doivent en faire la demande auprès des services déconcentrés de l’État ». Les collectivités peuvent en effet recevoir de l’État la gestion des aides à la pierre via une convention, qui incluent les aides Anah et donc potentiellement MaPrimeRénov”. L’accès aux données dépend donc théoriquement du type de convention.
Pourtant, les sources que nous avons consultées sont catégoriques sur ce sujet : même quand la collectivité a signé une convention, elle ne dispose que d’une vision partielle des aides délivrées aux ménages.
Absence d’évaluation
Si on sait très partiellement combien de ménages ont réalisé des travaux de rénovation énergétique, bien malin celui ou celle qui saura dire leur efficacité sur la consommation et, in fine, sur les factures des ménages.
À notre connaissance, aucun diagnostic de performance énergétique (DPE) n’est systématiquement réalisé avant et après les travaux pour évaluer l’amélioration des logements. La méthodologie de ces DPE a d’ailleurs évolué dans le temps, ce qui rend caduque toute comparaison sur plusieurs années.
Les connaissances concernant la performance énergétique des bâtiments restent embryonnaires en raison de données DPE incomplètes. « Les données brutes les plus à jour que vous pourrez trouver sur le sujet proviennent de la base Ademe, mais elles sont à prendre avec des pincettes”, indique Léo Gallone, chargé de mission chez Terristory, une plateforme destinée au suivi de la rénovation énergétique sur le territoire français.
« Les logements neufs sont surreprésentés, de même que les logements urbains, qui sont vendus ou loués plus régulièrement qu’en milieu rural et qui ont donc une plus grande chance d’avoir un DPE à jour. Ainsi, il est compliqué d’imaginer diffuser ces données sans avoir fait quelques redressements statistiques pour corriger ces biais, puis extrapoler les données à l’ensemble du parc de logement privé », explique‐t‐il.
De plus, alors que les aides à la rénovation énergétique sont distribuées depuis 2012 au niveau européen et depuis 2019 au niveau national via MaPrimeRénov, les bilans nationaux n’ont commencé à prendre en compte les émissions de gaz à effet de serre (GES) des bâtiments qu’à partir de 2023.
Impossible, donc, de savoir si les émissions de GES des bâtiments occitans se sont améliorées suite aux rénovations engagées grâce à Ma Prime Rénov’. Comme pour le reste de l’hexagone, les données actuelles restent trop peu nombreuses pour déceler une tendance globale. Elles reposent sur des estimations et ne tiennent pas compte des consommations réelles des ménages.
La seule façon de réaliser une telle évaluation serait d’utiliser les données fournies par les compteurs électriques, en particulier les compteurs Linky et Gazpar, ou d’examiner les données bancaires. Là encore, la question de la protection des données personnelles se pose.
Des aides insuffisantes
Autre écueil pointé par nos différents interlocuteurs : l’inconfort lié aux chaleurs estivales n’était pas pris en compte dans la distribution des subventions à la rénovation. C’est à présent le cas dans la nouvelle formule de MaPrimeRenov. Par ailleurs, le montant des aides est calibré selon des zones climatiques définies en fonction de leur exposition au froid.
« Un ménage recevra plus d’aides s’il habite à Lille que s’il est à Marseille. Notre politique de rénovation énergétique est aujourd’hui pensée uniquement pour lutter contre le froid. Elle ignore complètement le confort d’été, alors que l’objectif de +1°C de réchauffement est désormais hors d’atteinte », explique Florence Lievyn.
Or, si les frais de chauffage diminuent du fait de températures plus clémentes l’hiver, le recours à la climatisation est en plein essor. Les études les plus récentes estiment que la consommation énergétique annuelle pour refroidir les bâtiments résidentiels et non résidentiels pourrait passer de 80 à 200 TWh en Europe entre 2020 et 2050.
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