Des hommes, plutôt âgés et issus des CSP+ : l’éternel portrait des candidats aux législatives dans le Nord‐Pas‐de‐Calais

[TRIBUNE] Au-delà des déclarations d'intention, on n'observe pas de réel renouvellement du profil des candidats aux élections législatives 2022, pointent l'enseignant-chercheur en science politique à l’Université de Lille Tristan Haute, avec deux étudiants stagiaires de son laboratoire, Mathilde Desjeunes et Eugène Gimenez Mailhes.

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Illustration : Pierre Leibovici.

Avec l’émergence de nouveaux mouvements et personnalités politiques, on pourrait penser que la figure traditionnelle de « l’homme politique », âgé et issu des classes supérieures, est désormais dépassée. En d’autres termes, qu’il y aurait aujourd’hui autant voire davantage de femmes, de personnes issues des classes populaires ou de jeunes parmi les candidats, surtout à gauche. Pourtant, une analyse des profils des candidates et candidats au premier tour des élections législatives du 12 juin dans le Nord et le Pas‐de‐Calais montre que, dans ces départements comme au niveau national, les candidats, titulaires ou suppléants, restent majoritairement des hommes, plutôt âgés et issus des classes supérieures.

Une parité en politique toujours pas atteinte

Malgré la loi du 6 juin 2000 sur l’égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives disposant de l’obligation de présenter le même nombre d’hommes et de femmes, les partis politiques sont encore loin de respecter cette exigence de parité, préférant se soumettre à une amende. Parmi l’ensemble des candidats titulaires dans le Nord et le Pas‐de‐Calais, tous partis confondus, on ne compte que 42,4 % de femmes (pour 44,2 % au niveau national) et cette part n’atteint que 45,1 % parmi les suppléants.

Il y a toutefois des variations selon les partis. Ainsi, dans le Nord et le Pas‐de‐Calais, Les Républicains et l’UDI sont les plus « mauvais élèves » avec 40 % de femmes titulaires, mais cela est quand même un peu mieux qu’au niveau national où LR ne présente que 35,8 % de candidates. Suit de près le RN avec seulement 42,4 % de femmes titulaires (7 points de moins qu’au niveau national) et seulement 33,3 % de femmes suppléantes. Vient ensuite la majorité présidentielle qui présente 43,8 % de candidates titulaires dans le Nord et le Pas‐de‐Calais, un déséquilibre là encore bien plus important qu’au niveau national (48,2 % de femmes candidates). Néanmoins, le parti de la majorité présidentielle est le seul à respecter une stricte parité pour les suppléants.

A priori les partis institutionnalisés du centre, de droite et d’extrême droite sont donc les plus rétifs, en particulier dans le Nord et le Pas‐de‐Calais, à présenter des femmes aux élections. Pour autant, l’Union pour la France, alliance des partis souverainistes, et surtout la Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES) n’atteignent pas non plus la parité dans le Nord et le Pas‐de‐Calais (45,5 % de femmes), contrairement à ce qu’on observe au niveau national. Ces taux sont toutefois inversés pour les candidats suppléants, preuve que, si la parité est respectée, les femmes occupent plus souvent les seconds rôles.

Seuls Lutte ouvrière (LO) et, plus étonnant et spécifique à nos départements, Reconquête !, ont un taux plutôt élevé de femmes candidates titulaires (respectivement 48,5 % et 56,2 %). Cependant, on pourrait plutôt penser à une stratégie en termes d’image étant donné que le nombre de femmes parmi les suppléants chute considérablement : 37,5 % de femmes suppléantes chez Reconquête ! et 30,3 % à LO. On voit donc que ni la gauche, ni la droite n’ont décidé de jouer la carte de la parité à ces législatives dans le Nord et le Pas‐de‐Calais.

Un « rajeunissement » de la vie politique à relativiser

L’âge est lui aussi un critère distinctif des candidats. Dans le Nord et le Pas‐de‐Calais, la moyenne d’âge se situe à 49 ans pour les titulaires et à 48 ans pour les suppléants, non loin donc de la moyenne d’âge nationale des candidats (49 ans) ou encore de la moyenne d’âge de l’Assemblée nationale (51 ans pour sa XVème législature).

À gauche, la NUPES semble toutefois avoir mis en avant des candidats bien plus jeunes que ses concurrents (avec un âge moyen de 43 ans). La France insoumise participe grandement à cet effort de rajeunissement puisque les titulaires NUPES‐LFI ont en moyenne 37 ans. Ce résultat, s’il se retrouve au niveau national, est particulièrement prononcé dans le Nord et le Pas‐de‐Calais.

À l’inverse, les autres partis ont des candidats en moyenne bien plus âgés : 46 ans pour le RN, 47 ans pour Reconquête !, 51 ans pour LR et l’UDI, 54 ans pour LO et 55 ans pour la majorité présidentielle, ce qui pour cette dernière est bien plus qu’au niveau national (49 ans). Si des jeunes sont candidats, ils sont plutôt relégués au second plan, notamment à Reconquête ! ou au sein de la majorité présidentielle, comme en témoignent des moyennes d’âge des suppléants plus faibles que pour les titulaires (5 ans de moins pour ces deux partis).

Des candidats surtout issus des classes supérieures

Enfin, en termes professionnels, les candidats issus des catégories socioprofessionnelles supérieures sont nettement surreprésentés : dans le Nord et le Pas‐de‐Calais, on compte 36 % d’actuels ou anciens cadres et professions intellectuelles supérieures et 17,1 % d’anciens ou actuels indépendants (exploitants agricoles, artisans, commerçants, chefs d’entreprise et professions libérales) contre seulement 5,2 % d’anciens ou actuels ouvriers. Mais les segments des classes supérieures surreprésentés parmi les candidats diffèrent d’un parti à l’autre.

Ainsi, à l’extrême droite et parmi les candidats LR et UDI, ce sont les indépendants qui sont surreprésentés, pesant jusqu’à un tiers des candidatures. À mesure que l’on glisse vers la gauche, la part d’indépendants parmi les candidats se réduit jusqu’à atteindre zéro chez LO, par ailleurs champion dans la représentation ouvrière ; 27 % de candidats anciens ou actuels ouvriers alors que la NUPES et le RN plafonnent à… 3 % et la majorité présidentielle ou LR et l’UDI à… 0 %.

Mais, si on excepte LO et l’extrême droite, la catégorie la plus représentée est bien celle des cadres et professions intellectuelles supérieures, que ce soit au sein de la majorité présidentielle (65,6 %), de LR et de l’UDI (50 %), de l’Union pour la France (50 %) et même de la NUPES (42,4 %).

Dans le Nord et dans le Pas‐de‐Calais comme au niveau national, on n’observe donc pas de renouvellement du profil social des candidats aux élections législatives. La majorité présidentielle semble d’ailleurs avoir, dans le Nord et le Pas‐de‐Calais, des candidatures significativement moins paritaires et plus âgées qu’au niveau national.

Il y a donc fort à parier que la composition sociale de l’Assemblée nationale ne sera pas sensiblement modifiée à l’issue du second tour, dimanche 19 juin. Bien qu’il y ait eu des efforts dans les choix d’investiture, notamment en provenance de la NUPES, ceux‐ci se limitent plutôt à un renouvellement générationnel et à une application – encore imparfaite – de la parité.

Ce billet s’inscrit dans le cadre d’une recherche plus large sur les candidats aux élections législatives de 2022 et associant des chercheurs de plusieurs laboratoires français de science politique.

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Par Tristan Haute, Mathilde Desjeunes et Eugène Gimenez Mailhes