Tribune : non à l’utilisation de l’IA générative pour la communication de la ville de Lille

Alors que les outils d'intelligence artificielle se démocratisent, un collectif d'artistes et de citoyens lillois et lillloises interpelle la ville de Lille sur son recours à l'IA générative pour la production d'images dans ses campagnes de communication institutionnelle. Le collectif s'inquiète des conséquences pour leurs métiers déjà fragiles et pour l'environnement impacté par cet usage. La municipalité promet d'engager une réflexion avec les signataires.

Les artistes alertent sur le recours de plus en plus important à l'IA générative pour la production d'images, un usage qui se fait au détriment de la création artistique. Crédit Unsplash.
Les artistes alertent sur le recours de plus en plus important à l'IA générative pour la production d'images, un usage qui se fait au détriment de la création artistique. Crédit Unsplash.

Elle est aux portes de toutes les écoles de la ville : une campagne d’affichage émanant de la Ville, pour sensibiliser petits et grands à l’abus des écrans. Y figurent entre autres des petits personnages qui rappellent à s’y méprendre les émotions du dessin animé Pixar Vice Versa, ainsi qu’un père absorbé par son téléphone, tenant la main d’une petite fille au regard triste.

Sur le site de la Ville, on trouvera une mention rapide de la campagne (mais pas de visuel publié en ligne, ni d’artiste crédité pour la réalisation des illustrations) avant le détail des actions mises en place pour la renforcer.

Sans réponse de la Ville, interpellée plusieurs fois sur les réseaux sociaux, force est de constater que tous les indices tendent vers une génération de ces visuels par un logiciel d’Intelligence Artificielle. L’esthétique lisse et beige des personnages humains, la très grande similitude avec le style dit « Disney‐Pixar » qui est souvent utilisé comme référence dans les prompts pour la génération d’image, et la ressemblance indéniable avec beaucoup d’images générées par IA ces derniers mois. À noter que ce ne serait pas la première fois que Lille génère ou partage des visuels créés avec l’aide d’une IA, comme en mars à l’occasion du festival SeriesMania.

Nous, artistes lillois·es, sommes alarmé·es par l’utilisation d’une technologie aussi questionnable que l’IA génératrice pour la communication de la Ville de Lille.

D’abord d’un point de vue écologique : nous saluons les efforts de la municipalité pour verdir la ville, la rendre plus agréable à vivre l’été, et dotée d’infrastructures plus vertueuses pour la planète. Mais à quoi cela rime‐t‐il, si en parallèle, pour sa communication, elle participe au gaspillage de milliards de litres d’eau, à la génération de centaines de tonnes de CO2, participant ainsi activement au dérèglement climatique ?

Puis d’un point de vue artistique et humain : d’abord le fait que les IA génératives sont nourries du vol en masse d’œuvres pré‐existantes, bafouant au passage toutes les lois qui régissent la propriété intellectuelle en France. Il nous semble pour le moins douteux d’en faire l’usage et ainsi de sanctionner le pillage généralisé des idées, des réalisations et des sensibilités d’autres artistes. Mais surtout, Lille a la chance d’être la maison de centaines d’illustrateurices talentueux·ses, dont les métiers sont d’ores et déjà mis en péril par la massification de l’usage de l’IA. Comme le rappelle la tribune des artistes montpelliérains contre l’usage de l’IA par la ville, il faut rappeler que les marchés publics représentent des revenus non‐négligeables pour les artistes.

Lille, qui est si fière d’afficher leurs œuvres dans ses rues, ses musées, Lille, Capitale Européenne de la Culture en 2004 et encore en 2025 terrain de fête pour lille3000, veut‐elle dire à ses citoyen·nes qu’elle ne voit pas l’intérêt de rémunérer des artistes pour sa communication ? Pour avoir une vie locale artistique et culturelle riche, il faut pourtant y investir des moyens. Cela passe nécessairement par le soutien des institutions aux artistes locaux. Comment continuer à motiver les étudiant·es à choisir parmi les nombreuses excellentes écoles d’art sur la métropole, si même la municipalité semble dire que le futur de l’art n’est pas dans l’humain (singulier, vivant, engagé), mais dans les machines, dont l’utilisation nous amène à nous déconnecter du terrain, de ses enjeux politiques et sociaux, tout en contribuant activement à la dégradation des conditions de vies des citoyen·nes ?

Enfin, sur le fond, quelle ironie… Entre l’encart « Retrouvez les bonnes pratiques numériques » en pied de page des affiches, et le site de la Ville qui mentionne des ateliers de sensibilisation aux « IA et deep fakes » à destination des jeunes, il est difficile de comprendre le fil rouge qui sous‐tend cette campagne de sensibilisation. La Ville de Lille, qui ne peut pas ignorer les débats actuels autour de l’usage de l’IA, aurait peut‐être mieux fait de consulter des artistes locaux avant de s’attacher à conseiller ses citoyen·nes sur ce qui fait une bonne, ou une mauvaise, utilisation des outils numériques.

Premièr·es signataires 

Pauline Harmange, écrivaine
Marie Fromont, tatoueuse
Chien fou, artiste
Florence Rivières, auteurice
Keyvane, enseignant et artiste
Marc Dubord, photographe
Lucie Bryon, autrice
Gaëtan Borde, infographiste
Anaïs Coste, autrice
Valentin Colcomb, storyboarder
Florian Nalenne, illustrateur
Charlotte Cambon, autrice réalisatrice
Clémence Mauger, artiste
Adrien Tison, motion designer
Clotilde Auboeuf Dominguez, illustratrice et graphiste
Anne‐Lise Nalin, illustratrice et autrice
Christèle Blin, traductrice
Lola Barselona, professionnelle de l’image
MaxiCat, graphiste et sérigraphie
Camille, citoyenne
Isabelle, citoyenne

Réponse de la ville de Lille

« Les campagnes de communication de la Ville de Lille sont produites pour la quasi‐totalité en interne, avec un recours exceptionnel à l’intelligence artificielle : sur 150 campagnes, seules 2 ont utilisé cet outil. Ce choix s’inscrit dans une volonté d’explorer de manière mesurée les avancées technologiques et les gains d’efficacité qu’elles peuvent offrir, sans remettre en cause la place des artistes ni les effectifs des équipes. La Ville est consciente que l’impact environnemental de ces outils et leurs conséquences sur la rémunération des artistes soulèvent des questions légitimes, qui appellent à une réflexion collective. C’est pourquoi une stratégie numérique responsable est en cours d’élaboration, incluant une réflexion sur la gouvernance de l’IA, l’éducation aux usages, ainsi que sur les biais, opportunités et risques associés pour la collectivité. Engagée de longue date dans le soutien à la création et à la diffusion artistique, la Ville prévoit de se rapprocher des artistes auteurs de la tribune pour les associer à cette démarche, dans une logique de co‐construction de sa politique en la matière. »

Aucun commentaire pour l'instant

Publié le

Temps de lecture : 4 minutes

Favorite

Par Un collectif d 'artistes et de citoyens et citoyennes de Lille