Depuis une quinzaine de jours, l’effacement régulier de tags et de fresques de soutien à la Palestine agite les réseaux sociaux et les milieux militants et artistiques lillois. La ville de Lille se défend de les cibler et rappelle sa position historique de soutien à Gaza et à la Palestine.
C’est une polémique dont le nouveau maire socialiste de Lille Arnaud Deslandes aurait sans doute préféré se passer à moins d’un an de l’élection municipale. Une polémique qui risque de s’inviter jusque dans les débats du conseil municipal de ce vendredi 20 juin.
Tout est parti d’une vidéo repérée et partagée par le journal La Brique. Elle montre des agents municipaux en train de repeindre en blanc la façade du café La Moulinette (quartier Moulins) sur laquelle un immense drapeau palestinien a été dessiné avec la mention « Stop Génocide ».
Quelques jours après, sur le même mur, ce sont les silhouettes de l’équipage du bateau humanitaire du Madleen – sur lequel avaient notamment embarqué l’eurodéputée insoumise Rima Hassan et la militante écologiste suédoise Greta Thunberg – qui ont été effacées.
Dans d’autres quartiers aussi, des agents lillois, parfois accompagnés de policiers municipaux, ont été interpellés par des habitants alors qu’ils étaient en train de recouvrir spécifiquement des messages et des illustrations en faveur de la liberté et de la paix en Palestine. À chaque fois, ces derniers indiquent s’en tenir aux consignes de la ville.
Colère et réaction immédiate d’artistes
Ces images ont suscité la colère et la réaction immédiate d’artistes et de citoyens, pointant une contradiction entre la position de la ville de Lille, soutien de longue date des populations de Gaza et des territoires palestiniens occupés par Israël, et son empressement à faire disparaître les messages de paix des murs lillois.
Réunis dans un collectif informel et anonyme, ils sont désormais plusieurs dizaines à s’organiser afin de repasser derrière les agents municipaux pour rendre toujours plus visible leur soutien à la cause palestinienne, partout dans la ville. « On ne peut pas se résoudre à voir l’horreur pendant deux ans sans réagir par un simple « Free Palestine ». C’est la force du désespoir qui nous pousse », partage auprès de Mediacités l’une de ces street‐artistes.
À quelques mois de l’élection municipale, l’affaire a vite pris une dimension politique. Les Insoumis, l’Offensive et Génération(s) ont été parmi les premiers à demander des explications. Les élus de Lille Verte, principal groupe d’opposition, se sont quant à eux fendus d’une lettre ouverte envoyée à Arnaud Deslandes et aux élus socialistes de la majorité. « On ne peut pas mettre un drapeau palestinien devant la mairie et effacer ceux qui sont dessinés dans les quartiers », a notamment réagi l’élue écologiste Stéphanie Bocquet, membre du groupe.
Une conférence de presse le 27 mai pour la Palestine
Surtout, la séquence intervient dans une période où la ville de Lille affiche particulièrement son soutien à la cause palestinienne. Pour sa première prise de parole politique depuis sa démission en mars, l’ancienne maire Martine Aubry avait d’ailleurs convié les journalistes à une conférence de presse le 27 mai au théâtre du Nord, en présence de son successeur Arnaud Deslandes pour « exprimer (leur) effroi et (leur) indignation face au drame humanitaire en cours à Gaza ».
« Je n’ai aucun doute qu’il y a un génocide, quand on déplace les gens, les affame et les tue », avait lancé émue Martine Aubry, appelant à un sursaut des gouvernements et des citoyens pour faire pression sur l’État d’Israël et réclamer des sanctions à l’encontre de son gouvernement d’extrême droite. Un discours sans ambiguïté partagé par Arnaud Deslandes.
Le maire de Lille avait, pour sa part, appelé à ne pas oublier la Cisjordanie « où la situation est aussi dramatique ». Surtout, il avait mis l’accent sur les actions menées à l’échelle de la ville de Lille pour soutenir les Palestiniens et les Palestiniennes victimes de la guerre et de l’occupation, mentionnant le déblocage d’une aide d’urgence de 25 000 euros et l’accueil imminent d’une délégation en provenance de Naplouse, ville jumelée à Lille depuis 27 ans.
Vers la fin du jumelage avec la ville israélienne de Safed ?
Fidèle à sa position historique d’une solution reconnaissant la coexistence de la Palestine et d’Israël, les élus socialistes lillois ont noué au fil des mandats des politiques de jumelage dans les deux États. Plutôt alignés avec la majorité socialiste sur la plupart des questions internationales, les élus du groupe d’opposition Lille Verte appellent pour la première fois la municipalité à mettre un terme au jumelage qui lie la ville de Lille à la ville israélienne de Safed, noué en 1988. « Dans les faits, depuis 2014, la Ville de Lille a suspendu ce jumelage, en réaction à des exactions de l’armée israélienne à Gaza. (…) Au regard de la situation actuelle en Palestine (à Gaza comme en Cisjordanie occupée) nous demanderons en conseil municipal ce vendredi 20 juin, la résiliation officielle de ce contrat de jumelage, qui n’est de toute façon plus un espace de dialogue et de coopération internationale depuis 11 ans », écrivent‐ils à quelques jours du prochain conseil.
« À l’heure où certains, à Lille, attisent de fausses polémiques, il me semble utile de rappeler la position que la ville a toujours défendue depuis le début du conflit. Le camp de la paix et du soutien à la Palestine doit plus que jamais être uni », a défendu Arnaud Deslandes, après plusieurs jours de « bad buzz », dans une vidéo diffusée dimanche soir.
Auprès de Mediacités, la ville de Lille a précisé sa politique qui consiste à « effacer, prioritairement, les tags à caractère politique, injurieux, discriminatoires, inscrits sur les murs des propriétés privées comme sur les bâtiments publics, dans les plus brefs délais », ajoutant qu’aucune consigne n’avait été donné pour cibler les fresques et les slogans liés à la Palestine. Selon leurs chiffres, 11 517 tags, dont 1 624 urgents ont été effacés l’an dernier.
« Tout ça, c’est symbolique »
« Pour moi, c’est une réponse de politicien de licence 1 de sciences politiques parce que dans ce cas‐là qu’ils effacent tous les tags notamment ceux en relation avec l’Ukraine ou le féminisme. Est‐ce que ces sujets là sont politiques ? », rétorque la même artiste interrogée plus haut par Mediacités. Qui ajoute : « C’est pire que mieux, Arnaud Deslandes aurait pu plaider l’erreur de ses agents tout en disant qu’un maire doit aussi veiller à la propreté de sa ville. On l’aurait compris. Tout ça, c’est symbolique. »
Dans les heures qui ont suivi la dernière vidéo d’explication du maire, ils étaient de nouveau plus d’une dizaine à retourner coller des messages et des dessins pro‐palestiniens dans le centre‐ville et près de la mairie. Une manière d’insister sur leur message. Au‐delà de la communication, les artistes en appellent à un engagement artistique politique de la part de la ville de Lille : ils réclament un espace d’expression pérenne proche de la mairie, pour la réalisation d’une œuvre coproduite avec les habitants et les habitantes. Une demande pour l’instant sans réponse.
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