Endettement de Lille : « situation saine » ou « trajectoire extrêmement grave » ?

Spillebout conseil municipal 20 juin 2025

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Par Yves Adaken

La dernière séance du conseil municipal lillois a été l’occasion d’une passe d’armes entre la candidate au Beffroi, Violette Spillebout, et la majorité municipale sur la dette de la ville. Entre vision alarmiste de l’une et propos très rassurants de l’autre, un rapport de la Chambre régionale des comptes permet de se faire une idée plus exacte.

Les débats en conseil municipal tiennent souvent du jeu de rôle. La majorité applaudit l’action de la municipalité et l’opposition la critique. L’examen, le 20 juin 2025, du rapport de la Chambre régionale des comptes (CRC) des Hauts‐de‐France sur la gestion de la ville entre 2019 et 2023 n’échappe pas à la règle. Car une fois reconnu la tonalité générale plutôt positive du document, la polémique a rapidement repris ses droits en s’attardant notamment sur l’endettement de la ville.

Alors qu’un communiqué de la municipalité concernant le compte administratif 2024, affirme que la « situation financière reste saine, comme l’a souligné le récent rapport de la CRC », Violette Spillebout, candidate macroniste à la mairie de Lille, en a livré une lecture différente.

« Nous avons une dette dont vous ne parlez pas, a‑t‐elle attaqué en séance. Et elle est à nouveau mise en alerte dans ce rapport de la CRC qui précise que la capacité de désendettement pourrait passer de près de 6 ans aujourd’hui à plus de 9 ans l’année prochaine sachant que le seuil d’alerte est de 10 à 12 ans. Donc on approche ce seuil d’alerte. » Et la député du Nord d’enfoncer le clou : « C’est une trajectoire qui est extrêmement grave et nous devons absolument redresser la barre. »

Une capacité de désendettement dans le vert

Alors, qu’en est‐il exactement ? La vérité, comme souvent, se situe un peu entre les deux. D’un côté, en effet, les magistrats de la chambre régionale des comptes évoquent « une situation financière maitrisée » sur la période 2019–2023. Ils constatent la capacité de la ville à générer une épargne brute suffisante pour financer un ambitieux programme d’investissements et rembourser ses emprunts. Lille a par ailleurs vu sa dette baisser entre 2019 et 2022, passant de 369 millions d’euros à 339 millions d’euros.

Résultat, la capacité de désendettement de la ville est tombée au niveau relativement faible de 5,9 ans en 2023. Il s’agit là d’un indicateur théorique. Il signifie que Lille mettrait 5,9 ans pour rembourser la totalité de sa dette si elle y consacrait l’intégralité de ses ressources une fois ses dépenses de fonctionnement payées. Ce qui n’arrive évidemment jamais puisqu’il faut financer aussi les investissements.

On estime souvent que cet indicateur devient inquiétant autour de 12 ans et carrément rouge à partir de 15 ans. La Banque des territoires, qui finance les collectivités locales, estime quand à elle qu’ il « doit être inférieur à 10 années » dans un petit manuel d’analyse financière. Quoi qu’il en soit, Lille est loin de ces niveaux.

Sauf que la « trajectoire » mise en avant par Violette Spillebout apparaît effectivement moins favorable même si elle n’est pas encore « extrêmement grave ». La CRC évoque ainsi une « situation financière dégradée à partir de 2025 » et même une « trajectoire financière potentiellement sous tension jusqu’en 2026 ».

La ville assume en effet des « orientations volontaristes ». C’est vrai en matière d’investissements, qui ont dépassé pour la première fois la barre des 100 millions d’euros en 2024, entraînant une remontée de l’endettement à 362 millions d’euros l’année dernière. Mais c’est également le cas pour les dépenses de fonctionnement.

De fortes dépenses de personnel

Comme lors des précédents mandats de Martine Aubry, les charges de personnel ont cru à un rythme supérieur à l’inflation entre 2019 et 2024. Ils représentent aujourd’hui 63 % de l’ensemble des charges de gestion. Soit nettement plus que communes appartenant à la même strate de population : 51,4 % pour les villes de 200 000 à 400 000 habitants.

« Cet état de fait s’explique par le choix politique assumé de maintenir la gestion de ses services publics en régie directe, qui gonfle mécaniquement le poids du personnel, là où d’autres collectivités verront leurs charges externes supporter ces services », explique la CRC. La ville paie aussi son rôle de ville centre qui l’amène a assumer des fonctions et des dépenses pour l’ensemble des villes de la métropole européenne de Lille.

Comparatif finances Lille autres grandes villes
Tableau extrait du rapport de la Chambre régionale des comptes des Hauts‐de‐France sur la gestion de la ville de Lille (Juin 2025)

En fait, la « situation financière maitrisée » actée par la CRC n’est en rien synonyme de rigueur. La juridiction financière constate au contraire que les charges de gestion sont « en forte hausse » sur la période auditée. Heureusement, la hausse des recettes, quoique moins rapide, a permis de dégager une épargne brute qualifiée souvent sobrement de « suffisante ».

Reste que la hausse de l’endettement depuis 2023 a déjà entraîné une augmentation de la charge d’intérêts. Elle devrait se traduire aussi à terme par une hausse des remboursements de capital. Tout cela pourrait dégrader la capacité d’autofinancement de la ville ainsi que sa capacité de désendettement qui pourrait passer à 9,3 ans en 2026, selon la CRC. Mais la tendance pourrait‐elle se prolonger au‐delà ?

« Si vous estimez qu’il faut redresser la barre, vous direz aux Lillois quels sont les investissements que vous proposez de ne pas poursuivre »

Interpellation de la sénatrice Audrey Linlkenheld à Violette Spillebout

« La commune a tout intérêt à préserver sa capacité à rembourser ses emprunts et à tenir l’équilibre de son budget, afin d’éviter un poids de la dette trop important à long terme, conseille ainsi la CRC. Une gestion prudente des dépenses l’aidera à assurer la pérennité des projets d’investissement. »

Audrey Linkenheld, qui a longtemps été en charges des finances, a tenu pour sa part à rassurer les Lillois suite aux attaques de Violette Spillebout tout en interpellant directement la députée. « La ville de Lille connaît parfaitement les seuils de vigilance qui sont autour de 12 ans. Nous ne sommes pas sur une trajectoire qui est grave, a‑t‐elle insisté en séance du conseil. Si vous estimez qu’elle l’est et qu’il faut redresser la barre, vous direz aux Lillois comment vous ferez et quels sont les investissements que vous proposez de ne pas poursuivre ou de ne pas lancer. »

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