Les députés sortants du Rhône de plus en plus absents lors du vote des lois, c’est grave ?

Entre 2017 et 2022, la non-participation des élus rhodaniens à l’adoption finale des textes législatifs a plus que doublé pour dépasser les 80 %. Une statistique qui interroge… mais pas nécessairement inquiétante. Explications.

Hemicycle AN
L'hémicycle de l'Assemblée nationale. Photo d'illustration. CC BY-SA 3.0 / Richard Ying et Tangui Morlier

En 2017, portés par la vague La République en marche (désormais Renaissance), dix des douze députés de la majorité du Rhône entrent pour la première fois à l’Assemblée nationale. Cinq ans après, quel est le bilan de ces élus sur leur mission a priori phare : celle du vote des lois ?

Pour le savoir, nous nous sommes penchés sur les statistiques de participation aux votes des textes dans leur version définitive, c’est-à-dire sur les quelque 426 scrutins organisés durant la mandature sur « l’ensemble d’une loi », sans tenir compte des multiples votes intermédiaires sur des articles ou des amendements. Le résultat interpelle.

Alors que les députés du Rhône ont participé à 61,5 % des votes sur les textes définitifs en 2017, ce taux a chuté autour de 17 % en 2022, qu’ils aient voté pour, contre ou qu’ils se soient abstenus. Mécaniquement, le score de la mention très officielle « n’a pas voté » explose de 38,5 % à près de 83 % ! Autrement dit, la quasi totalité des députés du département ne participent qu’à une minorité de votes définitifs sur les nouvelles lois de la République. Un seul d’entre eux échappe a ce constat, le marcheur Jean‐Luc Fugit, qui maintient sa moyenne de participation au dessus de 50 % durant tout le mandat, à l’exception de 2019.

On observe toutefois que cet absentéisme lors des votes s’aggrave surtout entre la première et la deuxième année de mandat et qu’il a tendance à ralentir, voire à se stabiliser, avant de se dégrader à nouveau durant les derniers mois. Faut‐il y voir un « effet premiers jours » et, à l’inverse, le reflet d’une certaine démobilisation sur la fin du mandat ? Aurélien Battut, attaché parlementaire de la députée Anne Brugnera (LREM), n’est pas loin de le penser.

Il évoque l’euphorie d’un nouveau parlement qui draine beaucoup d’élus dans l’hémicycle et rappelle que le début de la législature correspond à la période où les commissions sont formées d’où la nécessité d’être présent sur place. Sans compter que l’élection d’un nouveau président – comme c’était le cas pour Emmanuel Macron en 2017 – s’accompagne souvent de l’envie de mener de grandes réformes rapidement.

Au fil de la législature, toutefois, l’arbitrage entre le temps consacré à Paris et celui dédié à la circonscription tend à tourner en faveur de la présence sur le terrain. « Au début, on pense pouvoir tout faire, après on se rend compte que ce n’est pas possible », reconnaît ainsi Blandine Brocard (MoDem), députée sortante de la 5e circonscription, qui se représente. « Il y a la fausse idée au début que c’est là‐haut que tout se passe », renchérit Aurélien Battut. Cela pourrait expliquer une baisse de la participation au vote chez certains députés, notamment parmi les novices.

Mais là n’est sans doute pas l’essentiel. L’absentéisme lors des scrutins n’a rien de propre aux élus rhodaniens. Le site Datan, opéré par des politologues français et européens, estime le taux moyen de participation aux votes de l’ensemble des députés français… à 18 % Ce chiffre s’applique à la totalité des votes, y compris les amendements, contrairement à l’indicateur que nous avons retenu.

« Techniquement, il est quasiment impossible d’avoir l’ensemble des députés réunis dans l’hémicycle »

« Ce faible taux de participation s’explique par l’organisation du travail, commente Datan. Avec plusieurs réunions en même temps, seuls les députés spécialistes d’un sujet participent aux discussions et votent en séance. » Il en résulte une forme d’autorisation d’absence comme le confirme le site du projet Arcadie, qui s’est fixé pour mission de rendre compte de l’activité réelle des députés.

« Techniquement, il est quasiment impossible d’avoir l’ensemble des députés réunis dans l’hémicycle sauf pour certains moments qui sont sanctuarisés dans l’agenda comme les questions au gouvernement et les votes solennels, indique le site dans un rapport de mai 2019. Mais même ainsi, certaines réunions ont lieu au même moment. »

De fait, le taux de participation aux votes dits « solennels », qui concernent les projets de loi les plus significatifs et les plus discutés dans les médias, atteint en moyenne 91 % selon Datan.

Travail en commission

Reste que si l’hémicycle constitue bien l’espace emblématique de l’Assemblée nationale, l’activité quotidienne du député se déroule dans d’autres lieux. En ce qui concerne la loi, l’important ne réside pas seulement dans le vote sur l’entièreté du texte, mais dans tout le processus d’élaboration.

Avant d’être proposé à l’adoption, chaque texte passe par une commission parlementaire spécialisée sur une thématique. Ces commissions dites « permanentes » sont aujourd’hui au nombre de huit. Chaque groupe politique y nomme des députés pour le représenter. C’est véritablement là que se fabrique la loi.

« Les députés sont généralistes en circonscription et spécialistes à l’Assemblée nationale »

La présence en commissions parlementaires, qui se réunissent chaque semaine, est obligatoire. Les députés y débattent des textes avant qu’ils ne soient soumis au vote en séance. Les députés sont plus susceptibles de voter pour les lois sur lesquelles ils ont travaillé en commission. D’après Datan, qui a bâti un indicateur sur les lois votées par les élus dans leur domaine de compétence, le taux moyen de participation double pour atteindre 36 %.

« Les députés sont généralistes en circonscription et spécialistes à l’Assemblée nationale », résume Cyril Berthier, attaché parlementaire du député Jean‐Luc Fugit. En circonscription, les élus doivent être sur le front sur tous les sujets, sollicités par les administrations locales, les associations et les citoyens. Dans l’hémicycle, la dynamique n’est pas la même. « On se focalise sur les 5 ou 6 thèmes sur lesquels on a le plus d’appétences », précise Blandine Brocard.

Le chevauchement des agendas entre séances et commissions mène à ce qu’un député ne puisse pas être présent lors du vote du texte final, alors même qu’il se trouve à l’Assemblée nationale. Mais le vote sur certains amendements clés s’avère parfois plus crucial que celui sur l’ensemble du texte.

Système de permanence

L’Assemblée nationale est une machine qui tourne presque 24h/24. Pour les députés, suivre tous les débats autour des lois semble impossible. Certains peuvent durer parfois jusque tard dans la nuit.

Pour faire face à cette difficulté, les groupes politiques ont recours à un système de « permanences ». Ce système est surtout primordial pour les partis de gouvernement. Ils s’assurent de disposer d’une majorité de tous les instants pour voter les lois et amendements. « C’est de la pure logistique », considère Pierre Obrecht, attaché parlementaire du député Yves Blein (LREM). Ancré dans les pratiques du pouvoir de la Ve République, ce système a une influence sur la fréquence de participation au vote des députés.

Les permanences doivent être assurées une fois par mois. Pour Blandine Brocard, elles permettent de « libérer les autres députés ». Mais elles ne constituent pas pour autant un objectif de présence minimum. Reste que si les votes en séance sont indispensables, il faut se garder de les survaloriser.

« En séance, le député est extrêmement passif, écrit ainsi le projet Arcadie dans le rapport cité plus haut. C’est même le moment où il va être le plus passif, car pendant qu’il est dans l’hémicycle – sauf quand il va défendre ses amendements – il ne va pas mener d’auditions, il n’interroge pas, il n’enquête pas, il n’évalue pas, il ne contrôle pas et il n’est pas à l’écoute des citoyens en circonscription. » L’activité d’un député doit donc être évaluée sur plusieurs critères. Le taux de participation aux votes en fait partie sans être forcément le plus important.

Cet article ayant été réalisé dans le cadre d’un travail étudiant du master de journalisme de données et d’enquête du CFJ‐Sciences Po Lyon, en partenariat avec Mediacités, et sans rémunération des auteurs de la part de notre journal, nous le publions en accès libre.

La rédaction de Mediacités

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Par Yann Doree et Ange Torlotting