Pourquoi Toulouse peine‐t‐elle à devenir attractive pour le cinéma ?

Depuis la création de son Bureau des Tournages, la municipalité de Toulouse accueille de plus en plus de projets de fiction audiovisuelle. Mais si l’Occitanie est la région qui cumule le plus grand nombre de tournages après Paris, la Ville rose peine à devenir une destination privilégiée du grand écran. Rétrospective sur un territoire déserté depuis toujours par les réalisateurs.

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Malgré ses ambitions, la ville rose demeure bien moins attractive que Montpellier pour les productions de cinéma./ Photo Bureau des Tournages de Toulouse.

Lyon est le berceau du cinéma pour avoir accueilli le premier film des frères Lumière. Marseille, quant à elle, possède un front de mer et son décor de carte postale. Paris peut compter sur sa position centrale et son héritage historique. Mais Toulouse ? La Ville rose a beau chercher à augmenter le nombre de tournages, elle souffre d’être enclavée géographiquement. Selon Isabel Birbes, chargée de projet du Bureau des tournages de la mairie de Toulouse, « les équipes parisiennes ont tendance à chercher des lieux moins compliqués d’accès. » Résultat, les briques roses et les bords paisibles du Canal du Midi n’ont jamais suffi à attirer les projets d’envergure.

Certes, il y a eu les films récompensés du Groupe des cinéastes indépendants, une association de huit amateurs du septième art, qui ont réalisé dans la ville et ses environs une quarantaine de films entre les années 1960 et 1970, et laissé une trace mémorable dans les collections de la Cinémathèque de Toulouse. La ville sert de toile de fond à l’un des premiers films répertoriés à Toulouse, sur le rugby local (La grande passion d’André Hugon en 1928).

Dans Le roi de l’oignon (auteur inconnu, 1927), on suit les noces de Pervenche à travers la ville. Ainsi, l’achat des oignons destinés à fleurir la noce est effectué au marché Victor Hugo. Des amis se rencontrent en déambulant sur les Allées Jean Jaurès. Ernest, amoureux éconduit, se désole sur la place Wilson. La célébration religieuse a lieu à l’église Saint‐Aubin. Le cortège en automobile passe par la rue Rémusat et la place Jeanne d’Arc… Désespéré, Ernest se jette dans la Garonne, mais se fait repêcher. Le mariage est finalement conclu au Capitole où, le conseiller municipal fait un discours aux Toulousains depuis le grand balcon.

Le ciel saisi de Henri Herré (1983) est un court‐métrage de science‐fiction à la Big Brother tourné dans le quartier du Mirail. Il y a également eu des œuvres de Jacques Mitsch tournées à Toulouse, à l’instar de Bonjour, je vais à Toulouse, un court‐métrage de 1991. Mais aucune de ces œuvres n’aura eu un succès commercial suffisant pour faire de la ville une véritable destination cinématographique.

Une fabrique audiovisuelle mieux équipée à Montpellier

La fusion des régions Midi‐Pyrénées et Languedoc‐Roussilon, en 2015, aide à faire envisager la ville comme lieu de tournage. Toulouse peut désormais bénéficier de la réputation de Montpellier, plus en vue par le milieu du cinéma. En parallèle, une politique d’attractivité est menée par la municipalité de Jean‐Luc Moudenc, avec la création d’un Bureau des tournages en 2016 et d’un fonds de soutien dédié à la création de fiction audiovisuelle en 2020.

Malgré ces initiatives et la tendance à la hausse des tournages, Toulouse reste à la traîne. Selon Occitanie Films, sur 2 141 jours de tournage cumulés sur l’année 2020 en Occitanie, la Ville rose n’en a que 74 à son actif. À titre de comparaison, Montpellier en comptabilise 826 pour la même année.

Ce n’est pas tant la différence entre les budgets alloués au soutien des productions de longs‐métrages, téléfilms et séries, qui explique cet écart entre les deux villes. Car cette différence est minime : 600 000 euros en 2022 et 2023 pour Toulouse, contre 700 000 euros pour Montpellier en 2022 (sur un total d’aides estimé à 4 millions d’euros à l’échelle régionale).

Selon Lisa Dollet, chargée de mission Cinéma et Audiovisuel à Toulouse Métropole, les sociétés de production, studios et prestataires techniques ont pu se développer grâce à un environnement géographique plus avantageux à Montpellier, à la fois en termes d’ensoleillement, de paysages et d’accessibilité. De fait, les décors d’Un si grand soleil et de Tandem sont les fruits d’une fabrique audiovisuelle bien mieux équipée pour répondre aux besoins de la filière. En plus de son « studio à ciel ouvert », la ville dispose depuis 2019 d’un quartier entièrement dédié aux industries culturelles et créatives ou encore de décors extérieurs permanents sur un ancien site industriel en friche.

Sans compter PICS Studio, un gigantesque projet à l’américaine, réparti sur trois sites à proximité de Montpellier, qui sera opérationnel en 2025. Son ambition est de devenir le plus grand studio cinéma de France à portée internationale avec ses 16 500 m2 de plateaux. Financé par des fonds privés, ce studio a nécessité plus 187 millions d’euros d’investissement. Le projet a été l’un des lauréats de l’appel à projets du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) « La Grande Fabrique de l’image » dans le cadre de France 2030. Il pourrait générer 2 000 emplois, selon les estimations d’Occitanie films.

Toulouse héberge certes les studios TAT depuis leur fondation en 2000, qui sont devenus une véritable référence dans le monde de l’animation avec leurs succès internationaux comme Pil et Les As de la jungle. Mais aussi le Grand Set, l’unique studio de tournage de grandes dimensions en Haute‐Garonne, qui a vu le jour en 2020, et a notamment accueilli l’équipe de Ma part de Gaulois, un film de Malik Chibane adapté du roman éponyme du chanteur toulousain de Zebda Magyd Cherfi, dont la sortie est prévue en 2024.

Mais les projets de grande envergure restent relativement rares dans la Ville rose. Seuls cinq longs‐métrages tournés à Toulouse sont répertoriés en 2022. Et il s’agit presque exclusivement de productions parisiennes. L’un des facteurs qui peut expliquer ce manque de productions locales ? La Ville rose est essentiellement pourvue de sociétés de productions institutionnelles (films d’entreprise, clips publicitaires, etc), et non de fiction.

Des perspectives favorables ?

Malgré une industrie cinématographique peu dynamique à Toulouse, le contexte national laisse toutefois entrevoir des perspectives favorables. « Tourner à Paris devient de plus en plus compliqué, ce qui nous permet de récupérer des projets en province, même si ce ne sont pas ceux qui ont le plus de budget », assure Isabel Birbes. La responsable du Bureau des tournages ajoute que « plusieurs petites entités, telles que l’association des scénaristes d’Occitanie, essaient de relocaliser l’activité des Toulousains à Toulouse ».

Ainsi, Éric Valette est l’un de ces réalisateurs toulousains à ne pas avoir oublié sa ville d’origine. Après 22 ans de carrière, 12 films, quatre séries et deux récompenses, l’ancien étudiant de l’École nationale supérieure d’audiovisuel de Toulouse (ENSAV) a réalisé en 2017 Le Serpent aux mille coupures, tourné en partie à Toulouse, Gaillac et Rabastens.

Mais au‐delà de ces exceptions, la plupart des cinéastes continuent à faire carrière à Paris quand ils ne décident pas de partir au Canada, aux États‐Unis et en Angleterre, se situent les plus grands studios.

Reste que Toulouse, en tant que décor, n’a pas une grande marge de manœuvre pour devenir plus attractive. Difficile de gommer le rose de ses bâtiments et ses pavés. Or, les scénarios se déroulant presque toujours dans la capitale française, beaucoup de productions recherchent des villes ressemblant à Paris. De plus, d’après Isabel Birbes, « les réalisateurs ont peur de la briquette, ils préfèrent les choses neutres ».

« Il faudrait montrer des facettes différentes de Toulouse », estime Elsa Joulin, responsable du site toulousain d’Occitanie Films, évoquant les banlieues pavillonnaires, les cités et le périphérique toulousains, qui pourraient tout à fait répondre aux attentes des réalisateurs, selon elle.

Pour ce qui est d’attirer une série quotidienne, il faudra encore attendre. « Au vu de l’implantation de trois séries quotidiennes (Demain nous appartient, Un si grand soleil, Ici tout commence) dans le bassin de Montpellier, nous espérons davantage une série récurrente (à plusieurs saisons, NDLR) », explique Elsa Joulin. Mais quoi qu’on y fasse, le quai de la Daurade ne remplacera jamais les plages azuréennes.

Cet article est issu d’un travail réalisé par une étudiante en journalisme de Sciences Po Toulouse, dans le cadre d’un partenariat mené avec cette école.

 

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Par Célia Pedrosa