Qui existe vraiment derrière Xavier Bertrand ?

Derrière Xavier Bertrand, plusieurs élus régionaux semblent ne faire que de la figuration. Quand ils ne songent pas déjà à quitter leur mandat pour devenir député. Quant à l'opposition FN, elle s'est lancée dans une guerre de tranchées.

Lille (59) : seance d’installation de l’assemblee regionale au Conseil regional de la region Nord Pas de Calais Picardie (04/01/2015)
Derrière Xavier Bertrand, plusieurs élus régionaux semblent ne faire que de la figuration © Blanquart / Andia.fr

Quand je me réveille un jour où je dois me rendre à la Région, je me sens bien ». Ainsi parle Philippe Rapeneau, vice‐président LR chargé du développement durable, qui ajoute : « Ma délégation me correspond. Le sujet est vaste. Je suis beaucoup à l’écoute ». Le travail au sein de l’exécutif ne lui apparaît pas moins rose : « J’y vais avec bonheur, avec plaisir. On débat, on échange, on a des moments de connivence ». Pourtant, dans les longs corridors de la Région, il se murmure que les vice‐présidents LR et UDI ne travaillent pas au même rythme. Et pour tout dire, que seuls les seconds bossent.

Les fêlures de l’équipe Bertrand

Entre Valérie Létard et Xavier Bertrand, ajoute‐t‐on, le ton monte souvent. Sur des points qui lui paraissaient essentiels, l’élue UDI du Valenciennois aurait déjà mis sa démission dans la balance. « C’est un non‐sujet », assure Philippe Rapeneau, irréductiblement positif. Gérald Darmanin, par sa proximité avec le président, a pu figurer comme le numéro 2 de l’exécutif. « Non, Valérie Létard est bien la première vice‐présidente, rétorque‐t‐il. Nous avons des discussions franches parfois, mais les rapports LR/UDI sont extrêmement bons. »

Sur le fond, l’euphorie n’est pas de mise au sein de la nouvelle équipe. « J’aurais aimé faire plus encore, glisse Philippe Rapeneau. Un an, ça passe vite. » C’est sûr… Brigitte Fouré relève, elle, quelques bons points, comme l’annonce de l’implantation d’Amazon à Amiens. « Les entreprises voient que notre territoire bouge. » Mais la vice‐présidente convient qu’il reste beaucoup à faire : « Les résultats ne sont pas encore fabuleux. » La fusion des deux appareils régionaux ne peut avancer qu’avec lenteur, sur un chemin parsemé de consultations. Dans le domaine des transports, l’un des principaux budgets de la Région, on en est encore à l’état des lieux, même si la collectivité vient de décider de reprendre la gestion des lignes SNCF Paris‐Amiens‐Boulogne et Paris‐Saint Quentin‐Cambrai. Gérald Darmanin l’admet : « Il fallait analyser pour pouvoir dire la vérité des choses. Cette démarche et cette approche pragmatique inspirent la totalité de l’action régionale. »

De son côté, Valérie Létard fait montre de volontarisme. Cet automne, elle a ouvert le chantier du schéma d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), un document qui va dicter le développement des Hauts‐de‐France. Mais les vice‐présidents étaient rares au premier rang de la salle ce jour‐là et Xavier Bertrand s’était contenté d’un message vidéo. « Je ne suis pas très schéma, confiait‐il récemment en privé. J’en laisse le soin à Valérie, qui fait ça très bien… »

Les législatives sont dans beaucoup de têtes

Pour le reste de l’exécutif, pas ou peu de nouvelles de Nicolas Lebas, Natacha Bouchart, Sébastien Huyghe ou Florence Bariseau. Karine Charbonnier, chargée de la formation et des relations avec les entreprises, n’a même pas assisté à la présentation du bilan sur l’emploi par Xavier Bertrand, en octobre. François Decoster, vice‐président à la culture, prend le temps, dit‐on, de consulter les acteurs du secteur. Mais ce qu’on retient, dans le landerneau, c’est la décision du président de booster le cinéma… Au chapitre de l’énergie, rien de très saillant n’apparaît… mis à part les assauts de Xavier Bertrand contre les éoliennes et son désir d’accueillir une centrale EPR sur le littoral nordiste. « C’est la troisième révolution industrielle picardisée et ridiculisée », raille un fonctionnaire de la maison.

Certains élus régionaux auraient‐ils la tête ailleurs ? Comment le maire de Tourcoing, Gérard Darmanin, par ailleurs vice‐président de la métropole, fortement engagé dans les primaires de la droite et désormais secrétaire général adjoint du parti Les Républicains, fait‐il pour assumer ses obligations de vice‐président régional ? « J’ai démissionné de mon poste de député et je ne suis plus tributaire d’un calendrier imposé, répond l’intéressé, un brin pincé. Et je vous ferai remarquer que Tourcoing se trouve à 15 minutes du siège de la Région ; je mets moins de temps pour me rendre de mon domicile à mon bureau que le président. » On pourrait aussi poser la question de la charge de travail à Guillaume Delbar, passé en quelques mois d’un poste de conseiller municipal d’opposition aux fauteuils de maire de Roubaix, vice‐président communautaire et vice‐président régional…

Plus curieuse encore est la tendance à l’égaiement électoral de nombreux membres de la majorité. Les législatives de juin 2017 sont dans beaucoup de têtes. Sous réserve de confirmation de leurs investitures, six conseillers régionaux LR ou UDI sont candidats, auxquels il convient d’ajouter trois conseillers délégués (le LR Jean‐Pierre Bataille et les CPNT Frédéric Nihous et Jean‐Michel Taccoen). Cinq vice‐présidents (Karine Charbonnier, Philippe Rapeneau, Florence Bariseau, Christophe Coulon et Nicolas Lebas) voudraient aussi devenir députés. Aucun d’entre eux ne peut ignorer les limites légales au cumul des mandats (en cas de victoire, il leur faudrait démissionner de leur vice‐présidence) ; ni l’obligation de travailler à plein temps pour les Hauts‐de‐France décrétée par Xavier Bertrand. Il faut croire que d’autres horizons les attirent bien plus…

De l’opposition à l’atomisation

Faut‐il que les élections de 2015 les ait assommés… Car on n’entend pas de voix forte, parmi les représentants de la scène politique régionale, pour critiquer l’action menée à la tête de la collectivité des Hauts‐de‐France. A moins que le système de dialogue discret instauré par Xavier Bertrand ne leur convienne et, finalement, les désarme. Fabien Roussel, tête de liste du PCF l’an dernier, n’est pas mécontent de discuter régulièrement d’économie, d’emploi, de construction ferroviaire ou d’automobile avec « le président et ses collaborateurs ». Malgré des divergences, le communiste a même l’impression de faire avancer des choses : « J’ai demandé l’organisation d’une assemblée plénière sur l’industrie régionale et j’ai cru comprendre qu’elle se tiendrait ». A‑t‐il, par ailleurs, des contacts avec le PS et les écologistes ? « Non. »

Le socialiste Pierre de Saintignon, arrivé troisième au premier tour des régionales, rencontre Xavier Bertrand avant chaque plénière importante et peut consulter les projets de délibérations. Il n’a pas constitué le « shadow cabinet » qu’on attendait. Mais un « comité régional » d’experts, venant des cinq fédérations départementales du parti, est chargé de suivre la marche de l’institution. Il est présidé par Frédéric Chéreau, le maire socialiste de Douai, qui n’a pas grand‐chose d’un bretteur.

Martine Aubry, de son côté, sollicite directement l’oreille du président LR, ne manquant pas de rappeler qu’il doit en partie son succès au retrait de la liste à la rose au second tour du scrutin. « Nous ferons un bilan au bout d’un an d’exercice, avance‐t‐elle. Mais nous intervenons quand le besoin s’en fait sentir, par exemple sur la réduction des subventions aux fonds de participation des habitants. Si je vais voir Xavier Bertrand, ce n’est pas pour lui dire mimi‐mimi. »

De ces échanges entre personnes bien éduquées, les Verts sont exclus. Leur empreinte sur les précédents mandats fait l’objet d’un lessivage consciencieux et leurs supposés affidés associatifs sont dans le viseur des chasseurs de CPNT ; une entreprise de démontage qui ne semble pas traumatiser grand monde à gauche…

Au FN, grands diseux et fiers de l’être

Le Front National occupe donc toute la place que lui a ménagé un million d’habitants des Hauts‐de‐France. « Le premier groupe FN du pays ; et celui de sa présidente », se plaît à rappeler son animateur, Philippe Eymery. A ses yeux, la majorité a mérité la guerre de tranchées menée par ses troupes dans les réunions publiques. « L’équipe aux commandes n’a que peu de considération pour l’assemblée. » Et elle confond « action, activisme et communication ». Une flèche pour Philippe Rapeneau : « Dix mois qu’il parle de rapprocher les outils picard et nordiste dédiés à la rénovation de logements et il n’a encore rien décidé ». Une autre pour le président : « Nous lui avions expliqué qu’un allègement des charges des entreprises n’avait pas de sens, venant de la Région. Et il a été forcé de le reconnaître quelques mois plus tard ».

Bref, le FN « offre une belle résistance » à l’exécutif, se félicite Philippe Eymery. Il n’a pas d’autre ambition pour l’instant. « Xavier Bertrand a raison de dire que nous sommes des diseux, explique‐t‐il. C’est à lui de donner le tempo et de faire. Nous, nous critiquons et nous proposons. Dans l’optique qui est la nôtre d’exercer un jour le pouvoir, ce mandat est une occasion de cultiver les talents de nos élus. » Ce à quoi Gérald Darmanin réplique : « La minorité d’une assemblée, par son travail, peut pousser un exécutif à se sublimer. Or à part des joutes oratoires, nous n’avons pas grand‐chose à nous mettre sous la dent ».

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Par Bertrand Verfaillie

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