Pollution des sols : les failles coupables dans l’accès à l’information

La transparence sur l'état réel des anciens sites pollués devrait relever du droit d'information automatique. Or les habitants des logements construits sur d'anciennes friches polluées - ou les journalistes - se heurtent à un préoccupant mur du silence... ou d'ignorance.

Illustration Jean-Paul Van der Elst
Illustration Jean-Paul Van der Elst

En tentant de dresser la carte des sites industriels pollués de la métropole lilloise, Mediacités s’est heurté à un véritable mur de silence… et parfois d’ignorance. Dans certains cas, comme celui de l’ancienne friche PJT Industries, à Tourcoing – où s’est entre autre construit des locaux scolaires – aucun traitement de dépollution n’a été mis en oeuvre et aucune autorité publique n’a de trace des analyses que le propriétaire dit avoir réalisées. Pourtant, des permis de construire ont bien été délivrés pour des logements (au 105 de la rue de Lille), une extension du lycée privé EIC, et pour un stade, à l’endroit même où a fonctionné jusqu’en 1998 – et pendant près d’un siècle – une usine de teinture et d’apprêts de tissus.

Site de PJT Industries
L’ex site de PJT Industries est aujourd’hui occupé par des logements sociaux, un stade et l’extension d’un lycée. Capture d’écran Google Maps

Le diagnostic des sols, réalisé à l’époque par la Dreal (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement), n’a rien de rassurant. Il relève la présence de deux substances cancérogènes, le trichloroéthylène (TCE) et le perchloroéthylène (PCE), ainsi que du cuivre, de l’arsenic et du plomb. C’est ce qui figure sur la fiche du site dans la base de données Basol, qui recense les sites et sols pollués dans chaque région. De quoi justifier une mise en demeure du préfet au propriétaire – PJT industries – pour remettre le site en état. Problème, l’exploitant disparaît sans avoir effectué le moindre travail.

Aucune preuve de la dépollution des sols

Cinq ans plus tard, rien n’a changé au niveau des sols mais la friche est désormais promise à la reconversion. Problème, la Dreal, dont une des missions est de surveiller ces sites, n’a pas été informée de ce changement d’usage. Toujours dans la même fiche Basol, elle indique avoir appris ce projet « par hasard ». Et précise avoir alerté la Métropole de Lille et la ville de Tourcoing « sur le risque lié à la pollution des sols ».

Des mesures ont‐elles été prises ? Impossible d’en être sûr. L’acquéreur du site – l’association Tourquennoise de l’enseignement professionnel – propriétaire du lycée privé voisin EIC –, assure avoir transmis des études complémentaires attestant l’absence de pollution significative. Mais la Dreal affirme n’avoir reçu aucun document à ce sujet. Même constat au service d’urbanisme de la mairie de Tourcoing : ni mention de la pollution, ni analyse, ni description d’éventuels travaux réalisés. « Il n’y a rien sur l’état des sols. La réglementation a beaucoup évolué depuis… », explique, gêné, Freddy Lienart, du service urbanisme de la ville. Autrement dit, des dizaines voire des centaines de personnes, habitent ou fréquentent un ancien site pollué. Un traitement des sols était peut être nécessaire mais aucune preuve n’est disponible !

Un problème d’actualisation des bases

Les instruments pour informer le public existent pourtant. C’est le rôle de bases de données comme la Basol, administrée par la Dreal, ou la Basias (Base de données des anciens sites industriels et activités de services), renseignée et maintenue par le BRGM (Bureau de recherche géologique et minière). Elles ont pour but de rendre « réellement accessibles » les informations sur les sites pollués « de façon transparente ». Des obligations prévues par la convention européenne Aarhus, que la France s’est engagée à appliquer depuis 2002. Pourtant, « l’entretien et la mise à jour de Basol sont eux‐aussi en… friche à cause d’un manque de personnel dédié à la Dreal », soulève Elodie Crépeau de l’association Robin des Bois. De nombreux sites portent ainsi la mention « action de l’administration en cours », censée évaluer des mesures préventives ou curatives, alors que des constructions sont sorties de terre depuis plus de 10 ans.

Un manque de centralisation de l’information

L’une des difficultés de l’accès à l’information vient du grand nombre d’acteurs susceptibles d’être concernés : outre la Dreal et le BRGM, citons l’Agence régionale de santé, la mairie, la préfecture, mais aussi des acteurs privés comme des bureaux d’études ou des promoteurs… Conséquence : dans bien des cas, personne ne détient l’ensemble des diagnostics, études et résultats de travaux. L’information n’est pas centralisée. L’habitant lambda qui voudrait se renseigner sur la dépollution d’un terrain n’est pas le seul à s’y perdre. « C’est compliqué pour nous aussi de comprendre », ironise Jean‐Rémi Mossman, directeur régional du Bureau de recherche géologique et minière.

Une transparence de façade

La transparence affichée par les pouvoirs publics touche également ses limites. Les instances publiques (Dreal, ARS, mairies) sont théoriquement obligées de fournir les documents en leur possession. « Malheureusement, en droit de l’environnement, il est la plupart du temps nécessaire de passer par la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) », déplore Maître Muriel Ruef, avocate Lilloise spécialisée en droit environnemental. L’association Robin des Bois parle carrément de l’« omerta » à laquelle elle a été confrontée quand elle a mené sa campagne nationale de diagnostics des écoles sur sites pollués. Outre la saisine de la Cada, il lui a fallu deux ans pour réunir l’ensemble des analyses environnementales demandées.

Ces difficultés d’accès aux documents sont renforcées lorsque la reconversion d’un site pollué est réalisée par un propriétaire privé, par exemple un promoteur immobilier. Bien que ces derniers soient tenus d’informer les habitants en cas de pollution persistante, rien ne les oblige à divulguer les analyses et les travaux réalisés. « Si c’est un terrain privé, l’information est privée », résume Jean‐Rémi Mossman, le directeur régional du BRGM.

Les espoirs de la loi Alur

Pour résoudre ce casse‐tête, la loi Alur de 2014 propose de centraliser l’information au moyen d’un nouvel outil de recensement, les Secteurs d’information sur les sols (SIS). Les préfets de chaque département avaient jusqu’au 1er janvier 2019 pour élaborer la liste des terrains connus pour leur pollution éligibles à ce nouveau label. Objectif : « Garantir l’absence de risque sanitaire et environnemental par l’encadrement des constructions sur de tels sites ». Toute demande de permis de construire sur un de ces terrains devra comprendre une attestation sur l’état de la pollution réalisée par un bureau d’études certifié et sa prise en compte dans la conception du projet de construction ou de lotissement. Ces SIS seront par ailleurs inscrits dans les documents d’urbanisme des communes. Enfin, vendeurs et bailleurs devront obligatoirement informer les habitants via les baux et les actes de ventes.

SIS PJT Industries
Le périmètre du SIS de l’ancien site PJT Industries à Tourcoing

Pour la métropole lilloise, qui possède 400 hectares de friches potentiellement polluées, l’enjeu du nouveau dispositif est de taille. Au 14 novembre 2018, la préfecture du Nord recensait 117 SIS dans le seul arrondissement de Lille. Mais si leurs fiches sont bien consultables en ligne sur le site de la préfecture, elles nécessitent de bien les chercher. Surtout, elles ne sont toujours pas accessibles sur le portail Géorisques du ministère de l’environnement, censé faciliter leur consultation. La base de données y est encore en friche. Et la carte d’avancement de l’élaboration des SIS – avec seulement 5 départements où ce travail aurait été achevé – n’est manifestement pas à jour. La bataille pour une meilleure information sur les sols pollués est encore loin d’être gagnée…

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Par Audrey Freynet