Embrouilles et coups tordus : les débuts chaotiques de Lopez au Losc

Du coûteux transfert de Thiago Maia à la sanction infligée par la Ligue pour avoir chipé Fodé Ballo Touré au PSG, les documents issus des Football Leaks documentent les débuts compliqués de l'homme d'affaires Gérard Lopez, patron du club de foot de Lille depuis janvier 2017.

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Illustration : Jean Paul Van der Elst.

Deuxième du championnat de France derrière le Paris‐Saint‐Germain, Lille réalise pour le moment une belle saison sportive, qui lui ouvre les portes d’une qualification pour la prestigieuse Ligue des Champions, où il pourrait côtoyer les plus grand clubs de foot européens. Une situation inespéré quand on se souvient de l’an passé. Le 12 mai, Le Losc battait Dijon (2–1) et sauvait in extremis sa place en Ligue 1 au terme d’une saison cauchemardesque, marquée par les difficultés financières et un fort endettement.

Spéculation sur des joueurs mineurs au Brésil, acquisition du Losc via une société enregistrée aux Iles Vierges Britanniques, tentatives de rachats de clubs tous azimuts… Le 17 janvier 2017, Mediacités, Mediapart et France 3 Hauts‐de‐France avaient dressé un portrait peu reluisant de Gerard Lopez, au moment de son rachat du club de Lille. Les documents de la deuxième saison des Football Leaks, obtenus par le journal allemand Der Spiegel et transmis à Mediacités et France 3 Hauts‐de‐France par Mediapart, documentent cette fois les débuts compliqués de l’homme d’affaires au Losc.

1/ Fodé Ballo Touré, premier coup tordu

Fodé Ballo Touré, défenseur gauche âgé de 20 ans, est l’un des jeunes les plus talentueux du centre de formation du Paris‐Saint‐Germain. Son contrat stagiaire au PSG expire à la fin de la saison 2016–2017, ce qui attise l’intérêt de nombreux clubs : on parle de Porto, Manchester City, Liverpool. Si la cession du Losc intervient officiellement le 26 janvier 2017, Gerard Lopez et ses proches s’activent déjà depuis plusieurs jours en coulisses pour renforcer l’équipe. Selon nos informations, les dirigeants lillois auraient même rencontré le jeune prodige parisien dès le 11 janvier. Et ce alors que la Charte du football professionnel indique qu” « à l’expiration du contrat stagiaire, le club est en droit d’exiger de l’autre partie la signature d’un contrat professionnel ».

Le PSG est estomaqué par les méthodes des Lillois, nouveaux venus du championnat. Le 30 janvier, Jean‐Claude Blanc, directeur général du PSG, adresse un courrier courroucé au président du Losc Gérard Lopez pour lui demander de cesser ses contacts avec le joueur : « Nous avons récemment été informé que votre club entretient des contacts rapprochés avec Monsieur Fodé BALLO, salarié de notre Club dans le cadre d’un contrat de joueur stagiaire jusqu’au 30 juin 2017 au sein de notre centre de formation. Dès lors, vous comprendrez aisément notre désagrément lorsque nous avons été informés que votre club aurait proposé la signature d’un contrat professionnel et aurait même signé un « pré‐contrat » pour le recrutement de ce joueur en juillet 2017. »

Le règlement administratif de la Ligue de football professionnel impose une obligation d’information préalable des clubs : « Avant qu’un club désirant signer un contrat avec un joueur ou un entraîneur ne puisse négocier avec un de ces derniers, il est tenu d’en informer par écrit (lettre recommandée avec accusé réception) leur club actuel ». Or, « nous n’avons reçu aucune notification de votre part nous informant de la volonté du Losc d’engager Monsieur Fodé BALLO, poursuit Jean‐Claude Blanc. En l’espèce, le Losc n’est donc pas en mesure de signer quelque contrat que ce soit avec Monsieur Fodé BALLO avant le mois de juin. Cette situation est d’autant plus désagréable que nous avons clairement formalisé notre intention de conserver le joueur, auquel nous avons transmis une lettre d’intention pour la signature d’un contrat professionnel. »

Le PSG propose en effet à son joueur, le 30 janvier, un contrat pour 3 saisons, avec un salaire mensuel brut de 34 000 euros pour la saison 2017–2018, 38 250 euros pour la saison 2018–2019 et 42 500 euros pour la saison 2019–2020. Le contrat prévoit de revaloriser le salaire du joueur en fonction du nombre d’apparitions sous le maillot parisien (de 51 000 euros brut par mois après 5 titularisations, à 136 000 euros après 40 titularisations). Le club s’engage même à proposer à son jeune prodige, dans les six mois suivant l’entrée en vigueur du contrat, une prolongation de deux années supplémentaires, jusqu’au 30 juin 2022. Pourtant, Fodé Ballo Touré rechigne à signer. Au club, la situation agace. Dès le mois de février, il est placé à l’écart du groupe par son entraîneur François Rodrigues.

Le 24 mars, Fodé Ballo Touré écrit à Jean‐Claude Blanc pour lui annoncer qu’il refuse le contrat proposé par le club : « Après mûre réflexion, en ayant pesé longuement le pour et le contre, j’ai décidé de donner une nouvelle orientation à mon début de carrière, de trouver un club de standing moindre au votre qui me permettra d’évoluer avec son équipe première dès la saison prochaine, chose à laquelle je ne pourrai pas prétendre en m’engageant avec le PSG FC ».

Le Paris‐Saint‐Germain décide alors de saisir la commission juridique de la LFP. Le 13 juin 2017, le Losc est condamné à une amende de 15 000 euros (dont 10 000 avec sursis) pour avoir démarché le joueur avant le terme de son contrat de stagiaire. Une bagatelle, car Fodé Ballo Touré file quand même au Losc, qui va  réaliser une grosse plus‐value en le revendant à Monaco en janvier 2019, pour un montant compris entre 11 et 14 millions d’euros ! En comparaison, l’amende infligée par la Ligue apparaît bien ridicule, et peu dissuasive…


Coup de sifflet…

La suite dans quelques instants

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2 / Maia, un record qui pose question

Le 24 juillet 2017, Thiago Maia, jeune gaucher brésilien, quitte le FC Santos pour rejoindre le Losc. Le montant de la transaction a de quoi surprendre : en payant 14 millions d’euros pour un joueur inconnu en France, Lille réalise le plus gros transfert de son histoire. Il s’engage pour cinq saisons. Sa rémunération mensuelle brute est fixée à 160 000 euros.

Plus étonnantes encore que le montant payé par le Losc, les modalités du transfert interrogent. Un document issu des Football Leaks nous apprend que le 4 août 2017, le transfert de Thiago Maia est réglé en intégralité par un virement de 14 millions d’euros sur le compte bancaire du Santos FC. Un transfert payé en une seule fois, sans échelonnage des paiements, pour une si grosse somme, voilà qui est inhabituel ! On sait par exemple qu’en juin 2017, le Losc a acheté le Brésilien Luis Araujo au club Sao Paulo FC pour un montant de 10 millions d’euros, payés en deux fois : 7,5 millions le 19 juin 2017 et 2,5 millions d’euros le 1er juillet 2018. Autre illustration avec le défenseur portugais Edgar Ié, payé par le LOSC en deux traites à Belenenses : 3,5 millions d’euros le 6 juillet 2017 puis 2 millions le 15 juillet 2018.

Le paiement en une traite du transfert de Thiago Maia est encore plus troublant quand on connait les difficultés de trésorerie que va rencontrer le Losc dans les mois qui suivent ce transfert.  L’incertitude entourant les finances du club a même poussé la DNCG (Direction nationale du contrôle de gestion), arbitre financier du foot français, à rétrograder le club à titre conservatoire en Ligue 2, en février 2018.

L’explication est probablement à chercher du côté du Brésil. Depuis la renégociation de son contrat avec Santos en octobre 2015, menée par l’incontournable agent uruguayen Juan Figer (il aurait géré plus de mille transferts, dont ceux de stars comme Pelé, Socrates ou Maradona), Thiago Maia était bénéficiaire de 30% de ses droits économiques, en vue d’un futur transfert. Un contrat d’intermédiation accordait par ailleurs à la société de Juan Figer une commission minimale de 5% sur un futur transfert, même si le deal était négocié par un autre agent. Enfin, en 2017, l’agent Giuliano Bertolucci, autre poids lourd du marché des transferts, a prêté 2 millions de dollars au club de Santos, aux abois financièrement, en échange d’un droit exclusif de négociation sur les transferts de Thiago Maia et Vitor Bueno.

Le deal, décrit en mai 2017 par Globo Esporte, est alors le suivant : si Bertolucci ramène une offre de 14 millions pour Maïa, il empochera 8% du transfert, et si Santos refuse l’offre, le club devra quand‐même verser à l’agent une commission d’un montant équivalent. Le montage ressemble beaucoup à une opération de TPO (l’achat de parts de joueurs par des tiers), pratique pourtant interdite par la Fédération internationale de football (FIFA) le 1e mai 2015… soit deux ans avant le deal entre Santos et l’agent Giuliano Bertolucci. Comme l’a révélé en août dernier le quotidien Globo Esporte, la fédération brésilienne de football aurait d’ailleurs ouvert une enquête pour « possible influence d’une tierce partie » sur le club de Santos, c’est à dire pour TPO déguisée. Les différentes parties impliquées ont démenti.

Ces deux intermédiaires, donc, mais aussi le club de Santos, en difficulté financière, et Thiago Maia lui‐même : beaucoup de monde avait intérêt à ce que la vente du Brésilien se fasse d’une seule traite. Sollicités, ni les dirigeants du club, ni les deux agents, ni l’avocat (et oncle) du joueur n’ont donné suite à nos questions.

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Le contrat de Thiago Maïa à Santos, lui accordant 30% sur son futur transfert.

Ironiquement, hormis Santos, payé en temps et en heure par le Losc, les autres protagonistes ont eu du mal à récupérer leur argent auprès du club brésilien. La faute à une procédure judiciaire lancée par un ancien ayant‐droit qui réclame 28% des droits économiques de Thiago Maia en vertu du premier contrat signé par le joueur, à Santos, en avril 2013. Débouté plusieurs fois par les tribunaux brésiliens, le plaignant a vu son dernier appel rejeté le 1er février dernier.

Une bien mauvaise affaire en tout cas pour le Losc : le joueur est en situation d’échec dans le Nord et doit souvent se contenter d’une place sur le banc de touche… 

3/ L’imbroglio Soualiho Meïté

Peinant à s’imposer à Lille, le milieu de terrain franco‐ivoirien Soualiho Meïté est prêté pour 18 mois à Zulte Waregem au début de l’année 2016. L’accord entre les deux clubs prévoit une option d’achat à 300 000 euros pour le club belge, Lille gardant un intéressement de 60% sur le futur transfert du joueur. Pendant le prêt, « Lille continue aussi de payer une part du salaire du joueur », précise Eddy Cordier, directeur général de Zulte Waregem. En Belgique, malgré des débuts timides, Soualiho Meïté finit par enchaîner les bonnes prestations. En janvier 2017, dès l’arrivée de Gerard Lopez à la tête du club, son conseiller Luis Campos tente de rapatrier le joueur à Lille. Mais celui‐ci ne veut pas remettre les pieds au Losc. En février, Zulte Waregem lève l’option d’achat à 300 000 euros… puis vend le joueur pour 6 millions d’euros à l’AS Monaco, en juin.

Le Losc a beau empocher 60% de la somme, cela ne suffit pas à ses dirigeants, qui en espérait plus. Le 17 juin, Marc Ingla, directeur général de Lille, écrit aux dirigeants de Zulte Waregem pour se plaindre du montant du transfert : “Comme vous le savez, nos accords prévoient que le Losc bénéficie d’un important intéressement sur le transfert de ce joueur (60%). Au regard des performances du joueur cette saison, accentuées dans cette deuxième partie de saison, nous considérons que la valeur du joueur sur le marché des transferts se situe entre 12 et 15 Millions d’euros. (…) Aujourd’hui, nous sommes très surpris d’entendre que Zulte Waregem serait sur le point de conclure le transfert de Meïte à l’AS Monaco moyennant le versement d’une indemnité de transfert de moins de 10 M€ (entre 5 et 7 Millions selon les informations obtenues) et ce, quand bien même le joueur aurait fait le choix de rejoindre Monaco. Si tel était le cas, ce transfert serait sous‐évalué, d’une manière frauduleuse à notre avis, et c’est pour cela nous mènerions toute investigation utile et toute action légale ou au plan de la réglementation sportive, visant à protéger les intérêts légitimes du Losc et à faire respecter le contrat qui nous lie. » 12 à 15 millions pour Soualiho Meïté ? La valeur marchande est pourtant évaluée par le site de référence, Transfermarkt, à 7 millions d’euros en juin 2017…

Ingla s’en émeut aussi auprès du vice‐président de l’AS Monaco, Vadim Vasilyev : « J’attends des relations commerciales équitables et convenables entre ASM et Losc et tout autre club tiers impliqué (…) Nous sommes très mal à l’aise avec cette situation. » Cette demande irrite Vasilyev qui s’épanche (dans un mauvais français, ndlr) sur le sujet auprès du directeur général adjoint de Monaco, Nicolas Holveck, et du directeur général, Filips Dhondt : « Marc ma appelé hier et j’ai lui a répété que les anciens dirigeants de Losc ont fait une bêtise c’est ça et il faut qu’il admette puis nous n’avons aucun accord entre Losc et Monaco dans ce dossier. »

Les plaintes du Losc resteront sans effet : « Il n’y a pas eu de poursuites judiciaires, nous n’avons rien reçu de la part de Marc Ingla ou de Luis Campos, assure Eddy Cordier. Lille estimait avoir beaucoup investi dans ce joueur, mais c’est nous qui l’avons relancé alors qu’il ne jouait plus. Et ce n’est pas non plus de notre faute si les anciens dirigeants lillois n’ont pas bien négocié. Monaco a payé 60 % du transfert à Lille, le contrat a été respecté à 100 % ». La cote du joueur a, depuis, montée en flèche. Le président de Torino, son nouveau club, réclamerait désormais au moins vingt‐millions d’euros ! De quoi laisser encore plus de regrets aux supporters lillois qui ont vu les dirigeants de leur club de cœur brader cette pépite…

fl-logoAprès une première saison en 2016, quinze journaux européens regroupés au sein du réseau de médias European Investigative Collaborations (EIC), dont Mediapart en France, ont révélé en novembre 2018 la deuxième saison des Football Leaks, la plus grande fuite de l’histoire du journalisme. Plus de 70 millions de documents obtenus par Der Spiegel, soit 3,4 téraoctets de données, ont été analysés pendant huit mois par près de 80 journalistes, infographistes et informaticiens. Corruption, fraude, dopage, transferts, agents, évasion fiscale, exploitation des mineurs, achats de matchs, influence politique : les Football Leaks documentent de manière inédite la face noire du football.
 
Comme pour la première saison des Football Leaks, Mediapart et l’EIC ont choisi de partager les documents avec France 3 Hauts‐de‐France et Mediacités. Nous avons aussi recueilli des documents et des témoignages inédits qui ne figurent pas dans les Football Leaks.
 
Le lanceur d’alerte Rui Pinto, principale source des Football Leaks, a été arrêté mi‐janvier en Hongrie et se bat pour éviter une extradition vers le Portugal, son pays, qui le soupçonne de vol de données et de « tentative d’extorsion ».

Deux mois avant son arrestation, Rui Pinto avait commencé à collaborer avec le parquet national financier (PNF), à qui il a remis 12 millions de fichiers informatiques issus des Football Leaks.

Le PNF a lancé le 19 février une procédure de coopération judiciaire européenne pour partager ces documents, lors d’une réunion d’Eurojust qui a rassemblé neuf pays.

Le PSG, Monaco et Lille n’ont pas répondu à nos questions. « Nous ne souhaitons pas apporter spécifiquement de réponses à chacune de ces questions, la grande majorité des éléments demandés constituant des informations contractuelles et confidentielles qui n’ont pas vocation à être rendues publiques ni par le Losc, ni par les autres parties », nous a indiqué le club nordiste.

  • C’est bien, continuez a dénoncer les clubs qui offrent une alternative a un marche vieillot, corrompu qui rend rentable le fait de “posséder” 60 êtres humains. Puis le journalisme c’est pas censé être objectif ? Parce que coup tordu ça induit de la malveillance, et rien dans votre article ne permet de porter ce jugement. 

    C’est con, le travail d’investigation est bon, mais votre manque de partialité et de prise de hauteur gâche tout.

    • Bonjour,
      Pour vous, démarcher le joueur d’un autre club avant le terme de son contrat de stagiaire, ce n’est pas un coup tordu ? C’est pourtant contraire aux règles, et la commission juridique de la LFP a sanctionné le club pour ça.
      Merci, en tout cas, d’avoir lu notre article.
      Bien cordialement, 

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Par Sylvain Morvan, avec Yann Fossurier (France 3)