Tribune – Immobilier : Ceci n’est pas une crise !

La crise de l’immobilier, si commentée depuis plusieurs mois, n’en est pas une. C’est la conviction de l’urbaniste nantais Sylvain Grisot. Cet enseignant-chercheur estime que nous vivons la fin d'une époque où l'écologie passait au second plan. Il livre son analyse dans cette tribune qu’il a confiée à Mediacités.

Chantier à Villeurbanne
A Villeurbanne, un chantier de construction d'un programme immobilier. Photo : Antoine Boureau.

Le mot est sur les lèvres de celles et ceux qui font la ville au quotidien, comme il hante la une des journaux depuis quelques mois : c’est la crise. L’immobilier neuf s’effondre et c’est une réaction en chaîne qui s’amorce : la construction patine, le marché locatif se tend, les bailleurs sociaux peinent, les aménageurs souffrent et même les collectivités commencent à ressentir l’onde de choc.

Les observateurs bien informés rivalisent de prédictions plus ou moins fantaisistes, pronostiquant une crise « plus dure que la dernière fois », ou se risquent parfois à annoncer une date de sortie de crise plus ou moins lointaine. Alors les plus libéraux – les mêmes qui appelaient il y a peu à l’allègement des contraintes administratives – demandent une action résolue de l’État, au point qu’on se demande s’ils ne vont pas bientôt exiger la collectivisation des terres.

Mais il y a erreur sur le diagnostic. Une crise a un début et une fin, et l’industrie immobilière sait vivre avec ces fluctuations du marché, souvent dictées par l’éclatement des bulles spéculatives ici et là à la surface du globe. Alors elle met les programmes en pause, taille sur le personnel et se met en hibernation le temps de laisser passer l’orage. Il y a de la casse bien sûr, mais quand le printemps revient tout repart comme avant. Mais ce n’est pas ce qui se passera cette fois‐ci, car ceci n’est pas une crise.

C’est la fin brutale de la ville facile

Ce n’est pas un mauvais moment à passer ou l’ouverture d’une parenthèse. C’est la fermeture d’une trop longue parenthèse pendant laquelle les matériaux étaient illimités, l’argent pas cher, le foncier infini et le béton a coulé à flots. L’industrie immobilière se confronte un peu plus tôt que les autres aux limites planétaires, comme le paquebot touche l’iceberg que son capitaine faisait semblant de ne pas voir. C’est la fin brutale de la ville facile et le début d’un nécessaire changement de cap.

Attendre que la crise passe à coup de plan de relance et de dispositifs de défiscalisation serait le meilleur moyen de la gâcher. Ce serait aussi, pour les organisations qui font la ville, prendre le risque existentiel d’attendre en vain le retour à la normale, et de retarder leur nécessaire repositionnement stratégique. C’est au contraire le meilleur moment pour accélérer la redirection écologique de la fabrique de la ville dans son ensemble. L’explosion des taux d’intérêt, la hausse des coûts des matériaux et la raréfaction du foncier masquent l’impasse dans laquelle nous sommes.

Il nous faut voir les choses en face, nos addictions à la mobilité automobile, aux sols agricoles, au béton et aux énergies carbonées ne nous permettent pas d’être à la hauteur des enjeux écologiques. Mais le fonctionnement actuel de la fabrique de la ville est aussi incapable de répondre aux besoins de nos territoires et de nos concitoyens. Il nous faut inventer autre chose.

Trois virages à engager

Face à nous, trois virages à engager rapidement pour passer le rendez‐vous du milieu du siècle à peu près correctement : décarboner nos villes pour faire notre part, les adapter à un climat qui change et apprendre à vivre avec ces nouveaux risques qui commencent à pointer leur nez.

Mais la bonne nouvelle, c’est que les chantiers de l’adaptation de nos villes et de nos territoires sont connus : planter une nouvelle canopée, valoriser les temps de la ville, adapter le bâti, transformer les espaces urbains, repenser la propriété du foncier et bâtir une nouvelle résilience territoriale. Il n’y a rien à inventer, car tous ces chantiers sont engagés ici et là par des pionniers qui montrent la voie, mais aucun n’avance assez vite.

Et ce n’est pas qu’une question de rythme, car le changement d’échelle nécessite de bouleverser les règles, de transformer radicalement nos organisations, et de former celles et ceux qui font la ville au quotidien à cette nouvelle fabrique. C’est ça la nécessaire redirection de la fabrique de la ville. Alors non, ceci n’est pas une crise, mais bien le signal que nous devons accélérer le changement.

Sylvain Grisot est urbaniste (circulaire) et fondateur de dixit.net, une agence de conseil et d’innovation pour la transformation de la ville.
Consultant, conférencier, enseignant et chercheur, il publie en 2024 « Redirection urbaine, sur les chantiers de l’adaptation de nos territoires ». Il est aussi l’auteur du « Manifeste pour un urbanisme circulaire » (Apogée 2021), et de « Réparons la ville ! » avec Christine Leconte (Apogée 2022).

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Par Sylvain Grisot