Médias : des initiatives pour reconquérir la confiance du public

Photo de la table-ronde du mardi 9 novembre à l'ESJ Lille
Cent cinquante personnes étaient réunies, mardi 9 novembre, à l'École supérieure de journalisme de Lille pour un débat sur la confiance dans les médias. Photo : Clémence de Blasi

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Par Pierre Leibovici

Transformer l’actionnariat des entreprises de presse, expliquer les choix journalistiques, reconnaître ouvertement ses erreurs… Les pistes pour renouer la confiance entre les journalistes et leurs publics sont nombreuses. Bilan du débat organisé, mardi 9 novembre, à l’École supérieure de journalisme de Lille.

« Vous connaissez la profession à laquelle les Français accordent moins de confiance qu’aux journalistes ? Les politiques. » Dominique‐Anne Michel, journaliste et membre de la Société des Amis de Mediacités, sonne l’alerte en ce mardi 9 novembre, dans l’amphithéâtre de l’École supérieure de journalisme (ESJ) de Lille. Elle reprend les conclusions du dernier baromètre de l’institut Ipsos, publié lundi 25 octobre : 16 % des Français disent faire confiance aux journalistes, à peine plus que les responsables politiques (11 %).

Renouer la confiance entre les médias et leurs publics, tel était le thème du débat organisé en partenariat avec le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) et Mediacités. Parmi les 150 personnes présentes, de nombreux étudiants et des lecteurs et lectrices désireux de comprendre comment réparer un « écosystème médiatique qui défaille », selon les mots de Jacques Trentesaux, cofondateur de Mediacités, qui animait la discussion.

Journalistes débordés

La défiance vis‐à‐vis des journalistes n’a rien de neuf. Nicolas Kaciaf, maître de conférences en sciences politiques [et membre de la Société des Amis de Mediacités, NDLR], rappelle que le baromètre de la confiance dans les médias, publié chaque année par le journal La Croix, est né en 1989 « dans un contexte de privatisation d’une partie de l’audiovisuel public. Certains problèmes contemporains existaient déjà, comme l’hyperfocalisation sur certains événements ou l’homogénéité sociale des personnes interrogées à la télévision ».

« Les journalistes ont perdu le monopole de l’organisation du débat public »

Mais l’irruption des chaînes d’information en continu et la généralisation des réseaux sociaux ont contribué à distendre un peu plus le lien entre médias et citoyens. « Les journalistes ont perdu le monopole de l’organisation du débat public, résume l’enseignant à Sciences Po Lille. Désormais, ils sont concurrencés dans l’énonciation des faits de société par des politiques, des militants et des éditorialistes. »

Débordés par les discours clivants — et parfois haineux — qui agitent les plateaux télés, de nombreux journaux sont aussi soupçonnés de collusion avec les grandes forces économiques qui ont pris possession de leur capital depuis une quinzaine d’années. « Quand Le Monde a été racheté par un banquier d’affaires, Matthieu Pigasse, et un industriel, Xavier Niel, notre indépendance a été mise en doute et c’est logique », reconnaît Gilles Van Kote, directeur délégué aux relations avec les lecteurs du quotidien du soir. « Mais d’année en année, nous avons mis en place des mécanismes de contrôle qui assurent l’indépendance totale de la rédaction », explique‐t‐il, en faisant référence au pôle d’indépendance du groupe Le Monde et au transfert, au printemps dernier, des actions de Xavier Niel dans un fonds de dotation.

« L’indépendance se gagne d’abord sur le terrain économique, reprend Dominique‐Anne Michel, de la Société des Amis de Mediacités. Avec 174 actionnaires, dont 118 sociétaires et 7 journalistes cofondateurs, Mediacités a composé depuis 2016 un modèle d’actionnariat inédit, garant de la liberté éditoriale de la rédaction. « Mais les sociétaires ne sont pas seulement là pour apporter un soutien financier : ils aident aussi l’équipe à se questionner et à s’améliorer », complète la journaliste.

Image de la table-ronde
Photo : Clémence de Blasi

Ouvrir les médias

Dominique‐Anne Michel prend pour exemple un groupe d’une dizaine de sociétaires de Mediacités qui élabore, depuis le printemps dernier, des recommandations pour l’équipe éditoriale. « Comment rendre nos principes déontologiques plus compréhensibles du grand public ? Comment mieux expliquer nos choix éditoriaux ? Comment faire part de nos cas de conscience en tant que journalistes ? », énumère‐t‐elle. Autant de questions qui trouveront, en partie, une réponse dans un nouvel espace sur le site de Mediacités, destiné à la pédagogie et la transparence sur le travail de nos journalistes.

« Nous voulons ouvrir les débats sur les articles ou reportages qui posent un problème déontologique »

Pour aider les médias à s’interroger sur leurs pratiques, le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) a été créé fin 2019. Il réunit plusieurs éditeurs de presse français, aux côtés de représentants des journalistes et des publics. « Nous voulons ouvrir les débats sur les articles ou reportages qui posent un problème déontologique », relève Yann Guégan, vice‐président de l’association.

Tous les mois, le CDJM rend ainsi des avis sur les interrogations ou critiques envoyées par le public — près de 500 saisines reçues depuis la fin 2019, pour 45 avis publiés. Yann Guégan cite en exemple un reportage de France 3 Pays de la Loire montrant les images d’un élevage filmées illégalement par des activistes de la cause animale, mais sans en préciser la source. « Nous avons manqué de rigueur sur l’affichage à l’antenne de la provenance des images tournées dans l’enceinte de l’exploitation agricole », a reconnu la chaîne, qui a été invitée par le conseil déontologique à préciser le contexte de réalisation de ce reportage.

« Dans cette période de brouillage des lignes entre information, divertissement et communication, on a plus que jamais besoin de médiateurs comme le CDJM, reprend Nicolas Kaciaf. Ils accompagnent la mission sociale des journalistes qui doivent être au service du public ». Et qui tentent de le faire savoir. Au journal Le Monde, Gilles Van Kote répond ainsi chaque mois à une vingtaine de questions dans une discussion en direct sur le site. Positionnement du journal vis‐à‐vis de grands débats de société, modération des commentaires, choix des sujets à la une… Les réponses aux questions sont abordées « avec humilité » et en toute transparence. Les critiques et suggestions, elles, sont remontées à la rédaction.

Du côté de Mediacités, nos lecteurs et lectrices connaissent déjà bien la rubrique Veracités, qui permet de poser des questions pour déclencher une vérification de la part de nos journalistes, ou #DansMaVille, notre espace collaboratif où nous nous appuyons sur vos témoignages et votre expertise pour enquêter sur des grands enjeux locaux (alimentation, gentrification, etc.). Une manière, à notre petite échelle, de proposer un journalisme qui éclaire le débat public local et, nous l’espérons, digne de votre confiance.

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