Ce parking privé qui ruine Béthune

Mediacités publie un extrait du livre d'Isabelle Jarjaille « Service publics délégués au privé : à qui profite le deal ? ». La journaliste y dévoile les dessous du très juteux contrat de construction d'un parking accordé par la ville de Béthune à la société Q-Park, qui comprend aussi la concession du stationnement payant communal.

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Grand Place de Bethune. Photo: Creative Commons/Bastien.pierre

A Béthune, sous‐préfecture du Pas‐de‐Calais, 25 000 habitants, le sujet revient de temps en temps sous la forme d’un entrefilet dans la Voix du Nord : où en est la plainte déposée en 2011 par l’ancienne majorité ? À cette époque, Stéphane Saint‐André, maire PRG de la ville depuis 2008, porte plainte contre X pour délit de favoritisme, dans l’obtention du contrat de délégation de service public pour la construction et l’exploitation des places de stationnement de la ville. Cette plainte fait suite à un rapport rendu public en mars  2011 par un cabinet d’intelligence économique installé à Marseille : le cabinet Gaudino. Il concluait son rapport sur la DSP accordée en 2005 ainsi : «  Le candidat Q‑Park apparaît avoir été désigné le 13  décembre 2004 par la commission DSP grâce à un processus d’appel d’offres qui paraît avoir été truqué dès le départ ».

Le rapport déroule ensuite les éléments qui l’amènent à cette conclusion, en soulignant notamment que «  le 15  octobre 2004, Q‑Park annonçait avoir recruté dans son équipe, OTH NORD, qui au même moment, faisait partie du collège d’experts chargé d’évaluer les offres techniques et financières des trois candidats à l’appel d’offres DSP stationnement ».

Un contrat de construction en or

Fin 2016, faute d’éléments probants, la plainte a été classée sans suite par le pôle financier de Lille. Mais le sujet de cette délégation de service public reste entier. Car, comme l’écrit le cabinet Gaudino, l’essentiel est ailleurs  : «  Le projet Q‑Park d’un investissement de 11 495 000 euros hors taxes présentait la particularité d’être plus élevé de 2 000 000 d’euros par rapport à ses concurrents et réalisait la prouesse de demander à la collectivité la subvention d’équipement la plus réduite à 1 125 000 d’euros hors taxes  ». Sauf que la facture de la collectivité n’a cessé de grimper pour atteindre en 2010 un peu plus de 9  millions d’euros  ! Soit quasiment le coût total de l’ouvrage.

À l’origine, le contrat passé en 2005 portait sur la construction d’un parking de 362 places sous La Grand‐Place, son exploitation ainsi que celle de la totalité du stationnement payant de la ville. Cela signifiait que le délégataire prenait à sa charge l’investissement nécessaire à la construction de ce nouveau parking (11,5 millions d’euros) et que, pour se rembourser, il percevait les recettes du stationnement sur les parkings en ouvrage et sur les places en voirie, jusqu’en 2035. Il était également convenu que la ville participe à l’investissement. Finalement en 2010, ce sont plus de 9  millions d’euros que la ville a versés au délégataire depuis cinq ans, des versements qui correspondent notamment au manque à gagner du délégataire sur les recettes.

Des places de parking vides qui coûtent cher à la ville

Car si les habitants délaissent les places de stationnement payantes, c’est la ville qui paie la différence à Q‑Park, qui a signé pour un minimum de rentabilité, inscrit noir sur blanc dans le contrat. «  La ville n’encaisse pas mais compense le manque à gagner, explique Pierre‐Emmanuel Gibson, premier adjoint au maire depuis 2014, qui a hérité du dossier. Aujourd’hui on est au plafond : on verse chaque année 400 000 d’euros.  » Le contrat prévoyant tout de même un plafond pour cette mesure compensatoire.

Face à cette situation catastrophique pour les finances de la ville, la nouvelle majorité tente la méthode douce pour discuter avec son délégataire. «  Récemment Q‑Park a fait un geste en acceptant de changer les horodateurs en voirie et en mettant en place des tarifs incitatifs le week‐end dans les parkings souterrains.  » Parce que le problème, c’est aussi que ce tout nouveau parking reste désespérément vide. «  En 2004, l’idée du parking était couplée à la construction d’une halle aux produits frais sur la grand‐place, rappelle Pierre‐Emmanuel Gibson. Mais le projet a été annulé par l’équipe municipale de 2008.  » Un mauvais investissement couplé à un business plan totalement irréaliste : pour le premier adjoint au maire, «  il faudrait avoir une occupation des places payantes 24h/24, 7j/7  !  » pour atteindre le montant des recettes dues au délégataire dans le contrat.

Alors que la nouvelle majorité a déjà remis à plat les délégations de service public de la piscine ou du chauffage urbain, Pierre‐Emmanuel Gibson ne désespère pas de trouver une porte de sortie à ce contrat courant 2018. La ville pourrait, par exemple, résilier le contrat et payer les indemnités dues à Q‑Park. « Je préfère rembourser un emprunt que de payer 400 000 € par an à Q‑Park chaque année ! »

Pour Mathieu Lesage, avocat spécialisé en droit routier, tout se joue à ce niveau‐là dans un contrat de délégation sur le stationnement : « Le plus important, c’est la compensation du manque à gagner que doit subir la ville. » C’est sur cette clause que se joue une grande partie de l’équilibre financier. Couplée à un autre aspect du contrat : l’exploitation du stationnement en voirie.

La concession du stationnement réaménagée 

D’ailleurs, un mois après cet échange, en janvier 2018, la ville n’avait pas entamé la procédure pour dénoncer le contrat. En revanche, elle a négocié avec le délégataire suite à la mise en place du forfait post‐stationnement : la mairie de Béthune a obtenu 20 minutes de stationnement gratuit, par jour et par véhicule, sur les places en voirie.

Sur la construction d’un nouveau parking, la nécessité de déléguer paraît assez logique : plutôt que d’emprunter, la ville va faire peser l’investissement sur une entreprise privée, qui se remboursera pendant plusieurs années en touchant les recettes dudit parking. Or, quand le contrat comprend aussi les recettes de voiries, il y a déjà déséquilibre. L’entreprise privée encaisse des recettes colossales avec des frais d’entretien minimum. Pour Mathieu Lesage, dans le cas d’une concession extrêmement longue, 30 ans par exemple, sur l’exploitation de toutes les places en stationnement payant, le risque financier qui justifie normalement les recettes du délégataire, n’existe pas.

Pour Laurent Hecquet, président du think tank Automobilités et Avenir, pour éviter des contrats mal ficelés comme ceux‐ci, il faudrait instituer un outil national de régulation, mandaté pour accompagner les collectivités locales dans la contractualisation de leurs délégations de service public. À Béthune, le pôle financier de Lille a considéré que les éléments étaient insuffisants pour ouvrir une information judiciaire. Il semble que l’on ne saura jamais si l’équipe municipale de l’époque, de majorité socialiste, était « mal conseillée ou mal entourée », selon les mots d’un proche du dossier.

Journaliste indépendante et collaboratrice de Mediacités, Isabelle Jarjaille est à Béthune ce vendredi 18 mai à 18h30, à la Maison du projet, 44 rue Sadi Carnot, pour une conférence‐débat basée sur son livre‐enquête « Services publics délégués au privé : à qui profite le deal ? » (Editions Yves Michel). Ouvrage pour lequel elle nous avait accordé une interview :

 Public‐privé : « Mieux s’armer pour éviter les conflits d’intérêts »

 
 

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Par Isabelle Jarjaille