Bio : quand la Politique agricole commune européenne « entrave » les plans des écologistes du Grand Lyon

[Série « L’argent de l’Europe » 1/4] La majorité métropolitaine ambitionne de compter un quart de la surface agricole du territoire convertie en bio d’ici à 2026. Mais les nouveaux critères d’attribution des aides européennes, couplés à la crise que traverse la filière, fragilisent cet objectif.

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Cultures des Grandes terres, entre Feyzin et Corbas. Image Google Earth.

«J’ai même des voisins qui se “déconvertissent”… » A la tête de l’une des 230 exploitations agricoles du Grand Lyon, Sébastien Leclerc, cultivateur et éleveur à Genay, observe, un brin désabusé, une filière bio à la peine autour de lui. « Le marché ne suit plus », déplore‐t‐il. Une analyse confirmée par Jean‐Baptiste Borrès, responsable du pôle économie à la chambre régionale d’agriculture Auvergne‐Rhône‐Alpes : « Le secteur [du bio] connaît une très forte crise liée à la baisse du pouvoir d’achat des consommateurs. On constate une baisse des conversions et, c’est nouveau, des déconversions. » Combien précisément ? Une poignée à l’échelle de la région, nuance Jean‐Baptiste Borrès, mais celui‐ci redoute que le phénomène prenne de l’ampleur et constate une « forte inquiétude des agriculteurs ».

Comme partout en France, les producteurs bio du Grand Lyon – on en comptait une quarantaine en 2020 contre seulement 6 dix ans plus tôt – n’échappent pas à la morosité dans laquelle est plongé la filière depuis 2021. Mais plus qu’ailleurs, elle prend les allures d’un comble alors que les écologistes aux manettes de la Métropole se sont donné pour objectif d’atteindre 25 % de surface agricole en production biologique d’ici à la fin de leur mandat, en 2026. Aujourd’hui, le bio représente 19,5 % de la surface agricole du Grand Lyon.

Suppression de « l’aide au maintien »

Cerise sur la conjoncture défavorable : les règles de la Politique agricole commune (PAC) ont changé depuis le 1er janvier 2023. Avant cette date, les millions d’euros des subsides européens distribués aux exploitations du Grand Lyon [lire l’encadré] l’étaient en partie pour aider à la conversion, sur une durée de cinq ans, et pour se maintenir en bio passé ce délai. Depuis l’an dernier, Bruxelles a supprimé cette « aide au maintien », au profit d’un renforcement du dispositif de soutien à la conversion. « Dans un an, on arrivera à la fin de la période de cinq ans. Ça va faire mal si le marché ne se relève pas », s’inquiète Sébastien Leclerc.

Pour Jérémy Camus, vice‐président de la Métropole chargé de l’Agriculture et de l’Alimentation, la pilule de la nouvelle PAC ne passe pas. L’écologiste dénonce « une dichotomie entre le Green deal européen [« le pacte vert »], qui affiche des objectifs très volontaires sur l’environnement et l’agriculture biologique, et l’outil PAC, qui n’est pas du tout en phase avec ces objectifs ».

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« Les orientations de la PAC ne correspondent pas vraiment à ma vision du développement agricole »

Pour répondre à l’évolution des règles d’attribution des aides européennes, les conseillers métropolitains ont ainsi voté, en septembre 2023 un « plan de soutien à la bio » de 761 000 euros. La majorité de Bruno Bernard mise également sur le développement de l’outil Penap (pour « protection des espaces naturels et agricoles périurbains ») qui permet à la Métropole de financer des agriculteurs selon certains critères, avantageant ainsi ceux certifiés bio.

Le Grand Lyon veut faire revenir des agriculteurs sur son territoire : ce n’est pas gagné

Principe de base de la PAC, les aides européennes sont corrélées à la surface des exploitations agricoles. Or, dans le Grand Lyon, on trouve des exploitations de taille réduite. « Comme on est un petit domaine, la PAC ce n’est pas grand‐chose pour nous. Le gros de nos aides proviennent de la Métropole », illustre Samuel [le prénom a été modifié à la demande de l’interlocuteur], viticulteur en bio, installé sur huit hectares dans les Monts d’Or. Exemple : l’exploitant a perçu environ 10 000 euros d’aides de la part du Grand Lyon pour la préservation et l’entretien de ses haies, au titre du développement de la biodiversité. 

« Les orientations de la PAC, puis les choix nationaux, puis les choix de la Région ne correspondent pas vraiment à ma vision du développement agricole », reprend Jérémy Camus, qui prône des aides en faveur d’une agriculture locale et saine pour le consommateur et l’environnement. Problème : dans le domaine, la Métropole est limitée dans son action pour une histoire de compétences.

Élu « entravé »

L’exécutif en a fait l’expérience il y a un an et demi en adoptant un budget de plus d’1,3 million d’euros pour financer des « mesures agro‐environnementales et climatiques dans les exploitations ». En clair, « il s’agit de compensations financières versées aux exploitations agricoles en contrepartie de pratiques plus respectueuses de l’environnement », détaille la délibération votée en décembre 2022, comme réduire son usage de pesticides.

Mais, quelques mois plus tard, la collectivité doit faire marche arrière. « Le gouvernement a dit qu’on ne disposait pas des compétences pour une telle démarche », déplore Jérémy Camus. De fait, depuis la loi NOTRe, c’est la Région qui a la main en matière d’aide économique, et non la Métropole.

« Je me sens entravé, réagit l’élu. Dès qu’on a une volonté ou des moyens à mettre, on est freiné. » Pour lui, le Grand Lyon est pris en étau entre une Région qui « lui rend la tâche encore plus difficile » et une politique agricole commune qui « ne va pas dans le bon sens ». Cela ne l’empêche pas d’annoncer « une multiplication par quatre du budget d’investissement pour l’agriculture qui arrive à presque dix millions d’euros ». Reste à savoir si la somme pourra être entièrement dépensée…

34 millions d’euros aux exploitations du Grand Lyon

Mediacités a eu accès à l’intégralité des données des subventions agricoles européennes rassemblées par l’ONG allemande FragDenStaat sur la dernière décennie. De 2014 à 2022, le total s’élève à 34,5 millions d’euros pour le territoire du Grand Lyon.

Comme partout en France, ce chiffre cache d’immenses disparités. Le plus gros versement de l’année 2022, attribué aux abattoirs de Corbas au titre « d’investissements matériels », monte à près de 600 000 euros. La même année, le plus petit bénéficiaire, une ferme de Dardilly, a reçu 1 133 euros.

Selon Jérémy Camus, vice‐président de la Métropole chargé de l’Agriculture, l’immense majorité des structures du territoire n’appartiennent pas « aux 20 % d’exploitations en France qui captent 80 % des aides de la PAC ». L’explication tient à la taille des fermes, beaucoup plus petites sur le territoire, et aux types d’agriculture qui ne seraient « pas en phase avec les modes de financement de la PAC », soutient l’élu. L’écologiste préférerait lui des subventions indexées au nombre de travailleurs.

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Autre enseignement des données de Fragdenstaat, le nombre de bénéficiaires de la PAC dans la Métropole est en nette diminution depuis 2014. En 2022, 166 structures avaient droit aux aides européennes contre 259, huit ans plus tôt.

 

Ces chiffres reflètent une tendance national : le nombre d’exploitations agricoles en France connaît une baisse vertigineuse (1,6 million en 1970 contre 390 000 aujourd’hui). Entre 2010 et 2020, le pays a perdu près d’un quart de ses fermes. Sur le territoire du Grand Lyon, 136 exploitations ont disparu entre 2010 et 2020 (366 exploitations en 2010 contre 230 en 2020).

Cet article ayant été réalisé dans le cadre d’un travail étudiant du master de journalisme de données et d’enquête du CFJ‐Sciences Po Lyon, en partenariat avec Mediacités, et sans rémunération des auteurs de la part de notre journal, nous le publions en accès libre.

La rédaction de Mediacités

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