Depuis la découverte de plusieurs cas de contamination au covid le 8 octobre parmi les détenus et le personnel, le centre pénitentiaire de Seysses vit au rythme des opérations de dépistages massifs. La gestion des incarcérations lors du premier confinement avait permis une réduction significative des effectifs de la principale maison d’arrêt d’Occitanie. Mais la deuxième vague du coronavirus vient à nouveau poser avec acuité la question de la surpopulation carcérale. La propagation de la maladie à l’intérieur des murs d’un établissement, occupé au 29 octobre dernier par 978 détenus pour 644 places, constitue un casse‐tête pour l’administration pénitentiaire.
« Ces derniers jours, il a fallu libérer des cellules pour isoler les positifs. Ce qui oblige à répartir ces détenus ailleurs. Dans un premier temps, des transferts ont été effectués vers Montauban, Béziers ou Tarbes. Mais de nouveau, on n’a pas le choix : on prend des entrants à Seysses. Ils étaient 17 le 24 octobre, constate Jérôme Combelles, représentant du syndicat FO‐Pénitentiaire. On voit à nouveau augmenter le nombre de cellules avec trois occupants, ce qui était la généralité avant la crise sanitaire mais beaucoup moins fréquent depuis. »
Une « densité carcérale » en hausse sensible
À Seysses, comme dans l’ensemble des établissements pénitentiaires répartis en Occitanie, le taux de densité carcérale – ratio défini par le rapport entre le nombre de détenus écroués et le nombre de places opérationnelles – est reparti nettement à la hausse. Il est de 122,3 % en moyenne dans le ressort de la direction interrégionale de Toulouse et de 145 % dans les maisons d’arrêt (contre respectivement 119,1 % et 139,9 % en juillet dernier).
L’effet « délestage » ressenti par tout le système pénitentiaire au printemps s’efface à l’échelle nationale puisque le seuil symbolique des 100 % d’occupation, en deçà duquel la densité carcérale était tombée en juillet dernier, a de nouveau été franchi en octobre.
La chute brutale du nombre de détenus en France – due essentiellement à la réduction drastique de l’activité des juridictions durant le confinement – avait été spectaculaire en juillet dernier : moins 13 000 détenus en un an. Pour autant, ces fluctuations se sont assez faiblement répercutées en Occitanie, qui reste en tête de la surpopulation carcérale pour la deuxième année consécutive, à un niveau toutefois moins haut qu’en 2019.
Le retour des matelas au sol
Endémique en France, cette sur‐occupation des cellules des maisons d’arrêt – souvent partagées par trois détenus dans 9 m2 – n’aura pas été contenue longtemps. L’indice du nombre de « matelas au sol » est éclairant : de 1 600 en juillet 2019, il s’est effondré à 422 en juillet 2020 pour remonter à 587 en octobre. Au centre pénitentiaire de Seysses, le phénomène est particulièrement visible. « Avant la crise sanitaire, on comptait 280 matelas au sol. Avec 50 cellules par étage, cela signifiait 145 détenus pour un seul surveillant. En mars, il n’en restait plus que trois ou quatre. Depuis, ça remonte progressivement », relève le représentant syndical Jérôme Combelles.
« Un matelas au sol, cela signifie qu’un détenu dort par terre auprès des toilettes. Il doit se coucher en dernier et se lever en premier, en sachant qu’en maison d’arrêt l’encellulement dure 23 heures sur 24 », souligne Me Sébastien Delorge. Cet avocat toulousain, représentant régional du Syndicat des avocats de France, est l’un des initiateurs des procédures menées devant le Conseil d’État début septembre pour obtenir une généralisation du port du masque à l’intérieur du centre de Seysses. « Sur les treize requérants, deux étaient alors déjà à trois par cellule, ce que l’administration a d’ailleurs reconnu », ajoute Me Delorge.
Pourquoi les leçons de la décroissance carcérale post‐covid n’ont-elles pas été pérennisées ? Les magistrats, avocats et membres du personnel pénitentiaire sollicités s’accordent sur un point : en période de crise, il est impossible d’engager des réformes en profondeur. « Dès le 11 mai, la machine à incarcérer a recommencé à tourner à plein régime et les comparutions immédiates fonctionnent de la même manière qu’avant le 12 mars, estime Sébastien Delorge. Cette décrue historique s’explique avant tout par des réductions de peine, qui n’endiguent pas les entrées en prison mais font sortir les gens plus tôt. Elle s’explique aussi par des aménagements de peine qui ont simplement été accélérées et par une baisse des incarcérations due à une faible activité judiciaire. Mais on n’a pas réellement changé les pratiques. »
Un parc pénitentiaire sous‐dimensionné
Pour Grégory Jalade, délégué régional FO‐Pénitentiaire, « les parquets ont très bien réagi jusqu’à début septembre : ils ont mis un frein aux mandats de dépôt et encouragé les peines alternatives. Mais ça n’a duré qu’un temps. » Pour le syndicaliste, en poste à la maison d’arrêt de Nîmes, le parc immobilier pénitentiaire en Occitanie reste sous‐dimensionné par rapport à la criminologie régionale. « Avec la proximité de la frontière franco‐espagnole, nous sommes confrontés à de forts taux d’incarcération et de récidive, notamment à Nîmes qui n’a jamais eu un taux d’occupation raisonnable, alors que nous disposons de beaucoup de maisons d’arrêt de faible capacité », poursuit Grégory Jalade.
C’est précisément dans ces petits établissements de moins de 100 places que se concentrent les plus hauts niveaux de densité carcérale : Foix (198,5 %), Carcassonne (195,3 %) ou encore Albi (164,8 %). Quant aux 200 places de Nîmes, elles sont occupées à 188 %.
Selon Christine Khaznadar, conseillère à la cour d’appel de Toulouse et déléguée régionale de l’Union syndicale des magistrats, ce particularisme régional en matière de surpopulation carcérale ne s’explique pas seulement par une importante criminalité opérée en bandes organisées. « L’Occitanie est sous‐équipée en locaux mais aussi en personnels affectés aux mesures de prise en charge en milieu ouvert. La difficulté est toujours la même : si on veut faire baisser le nombre de personnes détenues, il faut mettre des moyens sur les services qui permettent d’aménager la peine et pouvoir disposer de personnel suffisamment nombreux et formé. Il n’y a pas d’autres solutions. Or, même si c’est la politique affichée de notre ministre, les moyens ne sont pas là. »
Le défi d’Eric Dupond‐Moretti
Dans une note adressée aux parquets et aux services pénitentiaires, dévoilée par Le Figaro le 26 octobre, le garde des Sceaux Eric Dupond‐Moretti incite les magistrats à mettre en œuvre au plus vite les dispositions permettant d’éviter le recours à l’incarcération. Ces mesures issues de la nouvelle réforme des peines sont entrées en vigueur en mars 2020, en plein confinement. Elles comprennent notamment « l’assignation à résidence sous surveillance électronique » ou encore « le placement alternatif à l’incarcération » pour les mineurs.
Il faut dire que l’avocat Eric Dupond‐Moretti, avant sa nomination au ministère de la Justice, avait signé l’appel au Président de la République rédigé par l’Observatoire international des prisons (OIP) « pour en finir avec la surpopulation carcérale ». « Pour la première fois depuis vingt ans, il y a en France moins de prisonniers que de places de prison », énonçait la lettre à Emmanuel Macron. Et les signataires de lui demander de saisir cette occasion pour « ne pas renouer avec l’inflation carcérale ».
Quatre mois plus tard, les attentes des professionnels de la justice demeurent insatisfaites. Tous ont toutefois en tête que la France a été condamnée en janvier dernier par la Cour européenne des droits de l’homme en raison des conditions indignes de détention de son système carcéral. Pour l’OIP, les orientations budgétaires pour 2021, en dépit d’une hausse décisive du budget de la Justice, ne laissent pas augurer d’une amélioration : 556 millions d’euros sont prévus pour l’immobilier pénitentiaire et la construction de nouvelles places de prison et seulement 82 millions d’euros affectés à l’insertion et la probation.
Dans les tribunaux, les magistrats du parquet ou les juges d’application des peines s’efforcent de gérer la crise au jour le jour. Avec des outils parfois défaillants ou manquants. « Les agents ne disposent toujours pas du logiciel d’application professionnel adapté à la mise en oeuvre de ces nouvelles mesures de la réforme des peines », relève la magistrate Christine Khaznadar.
Aucun commentaire pour l'instant