A Perrache, un agent du Grand Lyon tyrannise les salariés chargés de la propreté de la gare routière

Harcèlement, accusations de chantage... Les salariés de la société Arc-en-Ciel, qui assure le nettoyage du centre d’échanges de Lyon Perrache, sont en grève depuis le 8 juin pour dénoncer le comportement de l’agent de la Métropole qui contrôle le marché. Le Grand Lyon prétend découvrir le problème. D'après nos informations, cette situation a pourtant fait l'objet de plusieurs alertes et d'au moins un dépôt de plainte.

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Illustration : Jean-Paul Van Der Elst.

« Il est toujours sur notre dos » ; « Toute la journée il nous fait des reproches » ; « Il frappe à la porte à chaque fois que je suis aux toilettes pour que je sorte »… Depuis plusieurs mois, les salariés de la société Arc‐en‐Ciel, titulaire du marché de nettoyage de la gare routière de Lyon Perrache, dénoncent le « harcèlement » dont ils estiment faire l’objet de la part de l’agent de la Métropole de Lyon chargé de contrôler ce marché.

Depuis mardi 8 juin, la totalité d’entre eux se sont mis en grève pour alerter sur le mal‐être grandissant au sein de l’équipe d’une vingtaine de salariés et interpeller le Grand Lyon, qui tarde à prendre la mesure du problème malgré plusieurs alertes et réunions sur la situation.

Une dizaine de témoignages

L’affaire commence au mois de février, quand un courrier des salariés est envoyé par l’intermédiaire du syndicat CNT‐SO à la Métropole de Lyon et à la direction de la société Arc‐en‐Ciel. L’entreprise fait partie du groupe T2MC, spécialisé dans le secteur de la propreté et fort de 9000 salariés en France.

Dans ce courrier, consulté par Mediacités, les salariés évoquent « des faits d’ingérence dans l’organisation de leur activité et de harcèlement de la part d’un employé de la Métropole », Monsieur H., responsable du contrôle du marché de nettoyage. Une situation génératrice de « souffrance » et de « mal‐être » des employés, selon leurs propres termes.

« Il nous dit : “Ici c’est chez moi ” »

Pour appuyer leur démarche, les salariés ont produit neuf témoignages écrits et signés énumérant leurs griefs à l’encontre de l’agent de la Métropole. Ces éléments, consultés par Mediacités, dépeignent un contrôle incessant et un agent du Grand Lyon qui n’hésite pas à donner des ordres directs aux salariés, en lieu et place de la société de nettoyage. « Il nous dit : “Ici c’est chez moi” », résume un salarié auprès de Mediacités.

« Il entre dans la salle de pause pour contrôler le temps qu’on y passe, ou dans les toilettes, explique l’un d’entre eux. Ils nous interdit de parler avec les autres salariés de la gare ou avec les passagers. » D’autres racontent que l’agent du Grand Lyon vient frapper à la porte des douches des vestiaires, prend en photo les salariés pendant leur service ou multiplie les consignes contradictoires avec celles du chef d’équipe d’Arc-en-Ciel.

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Piquet de grève des salariés d’Arc‐en‐Ciel, dans le hall du centre d’échange de Lyon‐Perrache, mardi 8 juin. Photo : MP

Une femme responsable du nettoyage des toilettes de la gare routière fait particulièrement les frais de ce comportement. « Il a enlevé la chaise des toilettes. Je dois rester cinq ou six heures debout sans pouvoir m’assoir », dit‐elle, en précisant avoir des problèmes de santé aux genoux et au dos attestés par la médecine du travail.

Cette même salariée indique avoir également fait l’objet de pressions de la part d’un agent de sécurité de la gare de Perrache, décrit comme un membre de la famille de Monsieur H., pour tenter de la dissuader de témoigner. Cette tentative de pression a fait l’objet d’un second courrier envoyé en février à la direction d’Arc-en-Ciel et à la Métropole.

Joint par Mediacités, Monsieur H. n’a pas souhaité répondre à nos questions. « J’attends d’en discuter avec ma direction avant de m’adresser à la presse », a‑t‐il indiqué. 

Réaction tardive du Grand Lyon

Contacté, le directeur d’Arc-en-Ciel Rhône‐Alpes, Alain Monteil, ne peut que constater une « atmosphère pesante » causée par un comportement « peu professionnel » de l’agent mis en cause et souhaite « crever l’abcès » au plus vite. Depuis février, il assure avoir demandé à ses salariés de lui faire remonter les « débordements » constatés sur le terrain, pour les transmettre à la Métropole. Ces derniers mois, Monsieur H. aurait été « isolé » par sa hiérarchie, croit savoir la société Arc‐en‐Ciel. Une information que n’a pas pu confirmer la Métropole. Mais il aurait continué à se rendre sur le site pour réaliser des contrôles photographiques, d’après Alain Monteil.

« On a le sentiment que les services du Grand Lyon ont un peu laissé la situation empirer. Il est temps de tourner la page, pointe le directeur. La gare est propre, nous demandons juste de pouvoir travailler dans un climat plus sain. » De son côté, la Métropole de Lyon assure avoir fait preuve de « vigilance » dès les premières alertes en début d’année. « Il faut que l’on comprenne ce qui se passe sur le terrain, nous cherchons actuellement à établir des faits précis », fait savoir la collectivité.

« C’est sa mission de nous suivre jusque dans les toilettes ? »

Jusqu’au mouvement de grève des salariés, le Grand Lyon ne semblait pas avoir pris la mesure du problème, malgré une première réunion organisée en mars. Dans un courrier adressé aux salariés, le 1er juin dernier, la vice‐présidente déléguée aux ressources humaines Zemorda Khelifi indiquait que « le positionnement de Monsieur H. nécessite une explication auprès des salariés de l’entreprise qui ne semblent pas bien informés des missions qui lui sont confiées ». Une formulation qui est mal passée chez les salariés d’Arc-en-Ciel. « C’est sa mission de nous suivre jusque dans les toilettes ou d’empêcher ma collègue de s’assoir ? », s’étrangle l’un d’entre eux. Sollicitée par Mediacités, l’élue du Grand Lyon n’a pas répondu.

Deux réunions avec les services de la Métropole se sont tenues les 8 et 10 juin, sans réelle avancée selon les participants. L’un d’entre eux évoque un « dialogue de sourds ». Un autre rapporte que le Grand Lyon a semblé découvrir la gravité des faits et estime qu’une partie des supérieurs hiérarchiques directs de l’agent « le protègent et ne font pas remonter les infos ».

Déjà quatre procédures au prud’hommes

Selon les éléments rassemblés par Mediacités, le comportement de cet agent de la Métropole pose pourtant problème depuis des années. Depuis 2012, trois sociétés de nettoyage se sont succédé dans la gare routière de Perrache. Le marché a d’abord été confié jusqu’en 2016 au géant du nettoyage Onet (dont les lecteurs de Mediacités ont déjà entendu parler du côté de Nantes), puis à la société Samsic pendant deux ans, avant d’être attribué à la société Arc‐en‐Ciel en 2019. Les sociétés passent, Monsieur H. reste.

Selon nos informations, le nom de l’agent de la Métropole apparaît dans au moins quatre procédures diligentées aux prud’hommes de Lyon depuis 2017. En 2018, la société Onet a été contrainte de réintégrer un salarié qui avait été licencié pour faute grave après avoir été prétendument à l’origine d’une rixe avec un passant. L’affaire avait en réalité été montée en épingle par Monsieur H. pour tenter de le faire partir. 

La même année, deux salariés de la société Samsic ont saisi le conseil des prud’hommes pour des faits de harcèlement commis par le même agent. L’un des deux salariés s’était notamment vu interdire l’accès à son lieu de travail par Monsieur H. en dehors de tout cadre légal, comme l’avait alors constaté un huissier de justice. Ces deux dossiers sont en passe d’être examinés par le conseil des prud’hommes.

Depuis 2019 enfin, un autre salarié de la société Arc‐en‐Ciel a également saisi les prud’hommes, toujours pour des faits de harcèlement. « Il a été licencié pour inaptitude, une inaptitude causée par le harcèlement de Monsieur H. dont il a été victime, qui a provoqué chez lui une dépression profonde et des arrêts de travail à répétition », indique son avocate, maître Martine Velly.

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Un salariés de la société de nettoyage Arc‐en‐Ciel, lors de la grève du 8 juin. Photo : MP

Une ancienne agente de maîtrise de la société Onet confirme avoir constaté les mêmes dérives lors de son passage sur le site de Perrache. « J’ai travaillé pendant plus de trente ans dans ce secteur, à la gare de la Part‐Dieu ou à l’aéroport Saint‐Exupéry, je n’ai jamais vu un client se comporter comme ça avec les salariés. Ce n’est pas parce qu’ils font le ménage qu’on peut les traiter comme des chiens ! », s’énerve-t-elle.

Un agent tout‐puissant

Comment cet agent a‑t‐il pu continuer ses agissements malgré cette ambiance délétère ? Une partie de la réponse est à chercher dans le fonctionnement du marché public, qui donne un pouvoir considérable à Monsieur H. Les contrats conclus avec le Grand Lyon chiffrent précisément le nettoyage de chaque zone de la gare routière (escalator, hall d’entrée, toilettes…) et prévoient des pénalités en cas de service insatisfaisant. Rien d’anormal jusqu’ici. Mais là où ces marchés sont souvent contrôlés de manière ponctuelle, Monsieur H. travaille à temps plein sur celui de la gare routière de Perrache.

Cette organisation le place en position de force par rapport aux sociétés bénéficiaires du marché, qui se retrouvent forcées de répondre à ses moindres exigences, sous peine de perdre de l’argent. Quitte à inviter l’agent au restaurant ou dans les loges de l’Olympique lyonnais pour s’attirer ses bonnes grâces, ou bien à lui offrir quelques « cadeaux », comme plusieurs salariés l’ont rapporté à Mediacités ? Interrogé à ce sujet, Alain Monteil indique ne « pas manger de ce pain‐là », mais plusieurs sources ont évoqué une pratique courante du temps des précédentes sociétés. « Même moi je l’invitais au restaurant pour être en bon termes avec lui. C’était une manière de protéger les salariés », admet l’ancienne agente de maîtrise de chez Onet.

« En vingt ans de métier, je n’ai jamais vu ça »

Contacté par Mediacités, un ancien chef de site de Samsic se souvient d’un marché rendu « invivable » par son omniprésence sur les lieux : « En vingt ans de métier, je n’ai jamais vu ça », s’exclame-t-il. « Il est payé pour trouver des problèmes et infliger des pénalités au prestataire. Sauf que, dans une gare, vous trouverez toujours quelque chose à redire si vous inspectez trois fois par jour », résume‐t‐il.

Résultat : la société Samsic voyait régulièrement sa facture, de l’ordre de 60 000 euros par mois environ, amputée « de 10 000 ou 15 000 euros », estime l’ancien salarié. De quoi plomber considérablement le chiffre d’affaires des sociétés de nettoyage.

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Vue du centre d’échange de Lyon‐Perrache. Photo : MP

A la suite du courrier des salariés en février, Monsieur H. serait devenu encore plus tatillon, profitant du moindre défaut pour infliger des pénalités à la société Arc‐en‐Ciel. 31 000 euros de pénalités sont actuellement en attente d’application, mais devraient être contestées par le prestataire.

Un vrai gouffre pour les entreprises. « Aujourd’hui, entre notre masse salariale et ce que nous facturons à la Métropole, nous sommes en déficit », indique Alain Monteil chez Arc‐en‐Ciel. A tel point que certaines sociétés préfèrent jeter l’éponge, comme Samsic qui n’a même pas candidaté pour prolonger son contrat en 2018.

« Pour la Métropole, c’est rentable puisqu’elle paie deux fois moins que prévu. Mais ça met une pression permanente sur les salariés. L’entreprise pense que le travail a été mal fait et cherche des coupables », explique l’ancien cadre de Samsic. Selon lui, si le comportement de Monsieur H. peut être « contestable », la vraie responsabilité de la situation actuelle incombe surtout aux services de la Métropole qui laissent leur agent « en roue libre ». 

Plainte pour chantage sur un salarié

La toute‐puissance de Monsieur H. est‐elle allée plus loin ? En 2017, un salarié de l’entreprise Onet, alors bénéficiaire du marché de nettoyage de Perrache, a porté plainte contre lui pour ce qu’il estimait être un « chantage » dont il aurait été victime.

Dans sa plainte, consultée par Mediacités, il raconte comment l’agent de la Métropole aurait agité la menace de ne pas prolonger son contrat (à l’occasion du renouvellement de l’appel d’offres du marché) pour lui extorquer différents biens, comme un smartphone ou une montre de valeur.

« Il a commencé à me dire qu’il ne savait pas s’il allait me garder, que j’étais gentil mais qu’il hésitait. Pendant presqu’un mois il m’a mis le moral à zéro », explique le plaignant devant les policiers qui prennent sa plainte. Avant de préciser : « Il voulait que je lui donne mon portable pour le donner à sa fille ou à sa femme car le téléphone lui plaisait. » Le salarié affirme avoir obtempéré quelques jours plus tard.

Mais le cadeau n’aurait pas satisfait l’agent du Grand Lyon. Quelques semaines plus tard, les pressions auraient repris : « Il m’a dit qu’il avait des doutes sur mon embauche (…) et qu’il aimerait bien avoir ma montre », détaille le plaignant, qui finira par céder une Rolex, « offerte par [son] oncle », dans un ascenseur de la gare de Perrache « à l’abris des caméras ».

Auprès de Mediacités, le salarié en question n’y va pas par quatre chemins pour décrire Monsieur H. : « C’est un cauchemar. » Il se souvient avoir été paniqué à l’idée de perdre son travail : « J’avais une fille à nourrir. Je pensais que c’était lui le boss. » Il indique avoir été en arrêt de travail pendant près d’un an après un accident du travail, qu’il estime causé par la pression que lui mettait l’agent de la Métropole, qui l’aurait forcé à nettoyer un escalator en fonctionnement.

Son récit est confirmé par l’ancien agent de maîtrise d’Onet de l’époque. « Il est venu me voir, je lui ai conseillé d’aller voir la police. Il disait qu’il avait eu peur. Il a beaucoup souffert de cette situation », se souvient‐elle.

Après le dépôt de sa plainte, une confrontation a été organisée en 2018 entre le plaignant et Monsieur H., accompagné de leurs avocats. Depuis, plus rien. Près de trois ans plus tard, les autres salariés entendent bien ne pas laisser l’agent du Grand Lyon continuer ses agissements plus longtemps.

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Par Mathieu Périsse