Procès‐bâillons : le promoteur immobilier Alila s’acharne contre Mediacités

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Photo : MaxPPP. Montage : NB/Mediacités.

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Par Hugo Coignard

Suite à nos révélations sur ses méthodes et les coulisses de sa « success story », le promoteur lyonnais Hervé Legros intente non pas un mais deux procès à notre journal. Face au risque d’épuisement financier et pour continuer à enquêter sur Alila et d’autres, votre soutien est déterminant.

C’est une première dont notre journal se serait bien passé. Le 7 avril dernier, nous avons reçu de la part d’Alila une nouvelle citation à comparaître devant la justice pour diffamation. Une nouvelle car le promoteur immobilier lyonnais nous a intenté un autre procès quelques semaines auparavant comme nous vous l’avons raconté dans La Fabrique [(re)lire : Mediacités attaqué en justice par le promoteur immobilier Alila].

Je soutiens Mediacités face à Alila

En six ans d’existence, Mediacités a déjà dû faire face à 17 procédures judiciaires – six sont terminées et nous n’en avons perdu aucune. Mais c’est donc la première fois qu’une même personnalité ou une même institution nous poursuit à deux reprises. Pour le dire clairement : ce 18e procès à venir a le goût amer d’une procédure‐bâillon.

Mediacités, avancez à la barre s’il vous plaît !

Fondateur et PDG d’Alila, Hervé Legros est depuis le début de l’année 2023 inquiété par une information judiciaire pour harcèlement moral et abus de biens sociaux. Le patron et son épouse Géraldine Mazier, directrice juridique du groupe, ont effectué une garde à vue en janvier dernier. Dans ce contexte, nos révélations successives sur cet acteur incontournable du paysage économique lyonnais, 12e promoteur immobilier au niveau national, ont jeté une lumière crue sur les méthodes de celui qui était jusqu’alors présenté comme un self‐made‐man à qui rien ne résiste [consulter notre dossier : L’envers de la success story d’Alila].

Factures impayées

Hervé Legros nous a assigné une première fois en justice pour diffamation, le 1er mars 2023, pour notre première enquête sur Alila. Notre article documentait comment le promoteur ne payait pas ses factures à nombre de fournisseurs ou sous‐traitants, mettant certains d’entre eux en grande difficulté financière. Selon Alain Jakubowicz, avocat du PDG, nos informations auraient causé « un préjudice réputationnel (sic) considérable à Hervé Legros et à Alila ».

Depuis, nous avons publié d’autres révélations sur le promoteur immobilier, dont celle de sa condamnation aux prud’hommes, en première instance, pour le « harcèlement moral » d’un ancien assistant personnel. Dans une longue enquête sortie en mars dernier, nous apportions aussi de nouvelles informations sur le management brutal d’Hervé Legros et sur son train de vie qui interroge. D’ex-salariés dépeignaient un PDG qui impose son autorité « par la terreur ». C’est cet article qui fait l’objet de la deuxième procédure d’Alila contre Mediacités. Pour Alain Jakubowicz, des faits mentionnés dans cette enquête porteraient une nouvelle fois « atteinte à l’honneur et à la considération, tant d’Hervé Legros que de la société Alila ».

Employés « larbins », jets privés et voitures de luxe : révélations sur l’affaire Alila

Provoquer la disparition d’un journal

À Mediacités, chaque citation à comparaître devant la justice reçue dans notre boîte aux lettres est suivie d’un lourd soupir. Toute nouvelle procédure exige du temps et de l’énergie pour préparer notre défense, démontrer le sérieux de notre travail. Un temps précieux qui n’est pas investi dans d’autres enquêtes. C’est précisément un des buts d’une procédure‐bâillon.

Soupir aussi parce que nous défendre nous coûte cher. D’après nos estimations, nous avons dépensé plus de 40 000 euros en frais de justice, toutes procédures intentées à notre encontre confondues. 40 000 euros, c’est le coût d’environ 50 enquêtes comme celle pour laquelle Hervé Legros nous poursuit une deuxième fois. Or, rappelons‐le, nous n’avons perdu jusqu’à présent aucun de nos procès. Mais même quand nous gagnons, nous sommes perdants : il est quasiment impossible pour des médias de bénéficier de dommages et intérêts, même en cas de victoire dans le prétoire.

Presse et justice : le système manque de justesse

Ce n’est pas le cas de ceux qui nous attaquent. Le promoteur immobilier réclame ainsi 60 000 euros de dommages et intérêts – 30 000 euros pour Alila, 30 000 euros pour son PDG Hervé Legros – en cas de condamnation de Mediacités dans les deux procès intentés. Une somme astronomique pour un média comme le nôtre, à l’équilibre économique fragile. Mettre en difficulté ou – pire – provoquer la disparition d’un journal, c’est aussi un des objectifs d’une procédure‐bâillon.

Hervé Legros, Vincent Bolloré, même combat ?

Intimider et faire taire un journaliste ou son titre : une procédure‐bâillon ou procès‐bâillon ne cherche pas tant à faire condamner un média qu’à l’épuiser moralement et financièrement. Hervé Legros n’a pas l’apanage de ce genre d’action judiciaire.

En Normandie, nos confrères du média d’investigation locale Le Poulpe sont eux aussi confrontés à une procédure‐bâillon de l’entreprise Valgo, après une enquête sur la dépollution d’une ex‐raffinerie, intentée devant un tribunal de commerce. Avant eux, l’équipe de Reflets‐infos, autre média d’investigation indépendant, a été poursuivie par le magnat des télécommunications Patrick Drahi suite à des révélations. 

Un tribunal de commerce s’attaque à nouveau à la liberté de la presse

Passé maître en la matière, le milliardaire Vincent Bolloré a pendant onze ans enchaîné les procédures en diffamation. France 2 a dû essuyer pas moins de cinq procès pour avoir diffusé son documentaire « Bolloré, un ami qui vous veut du bien ? ». Cette enquête dévoilait les conditions de travail dans les exploitations d’huiles de palme du groupe et l’emploi de mineurs sur certains de ces sites. L’homme d’affaires breton a perdu toutes ses procédures, comme celles qu’il avait également intentées contre Mediapart, France inter, France info et Bastamag. Qu’importe :  son intention était avant tout de réduire au silence des médias jugés impertinents et d’en décourager d’autres d’enquêter sur ses activités.

Hervé Legros marche‐t‐il dans les pas de Vincent Bolloré ? Outre la double procédure du promoteur spécialisé dans la construction de logements sociaux, son avocat Alain Jakubowicz nous a menacé directement pendant la préparation de nos articles.

« Hervé Legros a déjà été contraint d’engager une procédure et n’hésitera pas à le faire à nouveau si nécessaire »

Dans un mail du 28 février dernier, juste avant la publication de notre deuxième enquête sur les non‐paiements de plusieurs factures liées à la rénovation du manoir d’Hervé Legros à Ecully, son avocat tente de nous intimider : « La société Alila et Monsieur Legros […] n’hésiteront pas à engager une nouvelle procédure en cas de nouvelle diffamation. » Rebelote le 9 mars dernier, lorsque nous lui écrivons en amont de la publication d’un autre article : « Il [Hervé Legros] a déjà été contraint d’engager une procédure en diffamation contre Mediacités et n’hésitera pas à le faire à nouveau si nécessaire. »

Bien entendu, tout citoyen a le droit de saisir la justice s’il estime que ses droits sont bafoués. Mais l’acharnement judiciaire du patron d’Alila contre Mediacités, avec deux plaintes et les tentatives d’intimidation de son avocat n’ont d’autre but que de nous décourager à continuer d’enquêter sur les affaires du promoteur immobilier.

Détermination intacte, risque d’épuisement financier réel

Malgré ces procès‐bâillons, Mediacités compte bien poursuivre son travail de publication d’informations d’intérêt public, sur Alila comme sur d’autres acteurs économiques des métropoles de Lyon, Lille, Toulouse et Nantes, où nous sommes implantés.

Depuis nos premières révélations sur le promoteur lyonnais, nombre de lectrices et lecteurs nous ont adressé leur soutien sur les réseaux sociaux ou par mail : « Je voulais vous remercier » ; « Je tenais à vous féliciter » ; « Vous avez tout mon soutien » ; « Bravo pour votre professionnalisme en dénonçant les pratiques d’un certain promoteur » ; « Il faut continuer, l’humanité a besoin d’informations et de journalistes » ; etc. Vos messages nous rappellent que notre travail d’enquête est utile et indispensable. Merci.

Mais si notre détermination reste intacte grâce à vous, l’épuisement financier de Mediacités face à ces procédures‐bâillons est, lui, bien réel.

« J’ai besoin de vous faire condamner très rapidement pour rassurer les partenaires d’Alila », nous a lâché Alain Jakubowicz. Nous, nous avons plus que jamais besoin de vous pour que l’acharnement d’Hervé Legros n’entrave pas nos capacités d’enquête. Pour que les « bonnes affaires » d’un promoteur immobilier ne l’emportent pas sur la liberté de la presse.

Pour nous défendre face au promoteur immobilier, nos frais de justice s’élèveront environ à 5 000 euros (3 000 euros pour le première procédure, 2 000 pour la seconde). Une somme qui ne nous sera jamais remboursée, quel que soit l’issue des procès.

Pour que Mediacités continue d’enquêter, parce que notre indépendance est à ce un prix, faites un don (défiscalisable à hauteur de 66 %) à Mediacités. Soutenez la liberté de la presse.

Je soutiens Mediacités face à Alila

  • pourquoi ne peut‐il être condamné aux dépens ?

    • Bonjour Lucile, En droit de la presse (droit pénal), les dommages et intérêts sont très difficiles à obtenir (à l’inverse du droit civil). Il faut contre‐attaquer pour abus de procédure mais la justice ne donne que très rarement suite afin de ne pas entraver les droits des justiciables. Bien à vous, Jacques Trentesaux, directeur de la rédaction de Mediacités

  • Bon, d’accord, je vais cotiser aux frais de justice, mais… n’auriez‐vous pas moyen de porter plainte à votre tour pour procédure(s) abusive(s) ? N’étant pas juriste le moins du monde (et peut‐être même moins que ça), je n’ai aucune lumière particulière sur la question, mais reconnaissez que ça serait marrant, non ?

    • Bonjour Thierry, dans le cas qui nous intéresse, Alila nous attaque en citation directe. Ce mode opératoire pourrait nous permettre d’obtenir compensation pour procédure abusive au titre de l’article 800–2 du Code de procédure pénale. Mais l’issue est grandement incertaine. Bien cordialement, Jacques Trentesaux, directeur de la rédaction de Mediacités

  • Bonjour
    je ne paierai jamais par carte banquaire, seulement par chèque
    Au revoir
    D D

    • Bonjour Dany, Il vous est bien sûr possible de payer par chèque soit au siège social de Mediacités 20 rue Auguste Rodin 92310 Sèvres ; soit – si vous voulez bénéficier de la déduction fiscale – en passant par un organisme tiers, J’aime l’info. Il faut alors adresser votre chèque à l’adresse suivante : Association J’aime l’info, Fabernovel, 46 rue Saint‐Lazare, 75009 Paris et mentionner « J’aime l’info – Mediacités« sur l’ordre du chèque. Bien cordialement, Jacques Trentesaux, Directeur de la rédaction de Mediacités.

  • Thierry Reboud a raison et si, pour diverses raisons, Médiacités ne peut pas le faire, il doit être possible de susciter la plainte auprès de ceux qui sont lésés par Alila.

    • Bonjour Christian, dans le cas d’Alila, qui nous attaque en citation directe, nous allons tenter d’obtenir compensation pour procédure abusive au titre de l’article 800–2 du Code de procédure pénale. Mais l’issue est très incertaine. En revanche, l’affaire est loin d’être finie car des fournisseurs lésés attaquent à leur tour Alila. Bien cordialement, Jacques Trentesaux, directeur de la rédaction de Mediacités

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