Transparence : les avancées très timides des communes de la métropole de Lille

Mediacités a sollicité 27 communes de la métropole de Lille afin qu'elles publient sur leur site les projets de délibérations qui seront examinés et votés en conseil. Malgré des avancées dans cinq villes pionnières, le résultat est mitigé

Conseil municipal de Lille
La Ville de Lille s'abrite derrière la cyberattaque subie en mars pour justifier la non mise en ligne des projets de délibérations en amont des conseils municipaux contrairement aux engagements pris auprès de Mediacités. Photo d'illustration : séance du conseil municipal de Lille / site de la ville de Lille

Et si on rendait accessible au public les projets de délibérations qui doivent être examinés en conseil municipal ou métropolitain ? Ne serait‐ce que pour inciter davantage les citoyens à s’intéresser aux sujets qui seront débattus en leur nom dans ces enceintes du pouvoir local. C’est cette idée toute simple que Mediacités a suggéré à 27 communes de la métropole lilloise de mettre en place. Notre souhait ? Accroître la transparence de l’action publique. Car la loi française n’impose que la communication de l’ordre du jour desdits conseils. 

Cette initiative s’inscrit dans le cadre d’un programme européen, financé par le Journalismfund Europe et destiné à améliorer la transparence et la démocratie dans les États membres [voir l’encadré en fin d’article]. En France, les projets de délibérations sont considérés comme des documents de travail. Leur publicité n’est donc pas imposée par la loi. Le bon sens nécessiterait pourtant que les élus transmettent aux citoyens le détail des textes sur lesquels ils sont appelés à se prononcer. Pourquoi se limiter à la seule communication de l’ordre du jour ? 

L’opacité reste la norme

Il suffit de franchir la frontière pour constater que les bourgmestres belges sont beaucoup plus ouverts à la question. Dans certaines parties de la Belgique, la communication des projets de délibération est même devenue obligatoire ! Entre notre voisin et la France, le fossé des pratiques démocratiques ne semble cesser de se creuser à notre désavantage. Car de ce côté‐ci de la frontière, l’opacité reste la norme même si notre initiative a quand même porté ses fruits dans cinq communes de la MEL.

Notre démarche s’inscrit dans l’ADN de Mediacités. En 2022, nous avions lancé une grande opération transparence sur les frais de nos élus locaux. Des documents que tout citoyen a, en théorie, le droit de consulter. À Lyon et à Nantes, où Mediacités est également présent, nous rendons public le programme des conseils municipaux avant leur tenue. Le 19 septembre 2022, par exemple, notre journal publiait les 151 projets de délibération avant leur soumission au vote des élus lyonnais, ainsi qu’un décryptage des principaux enjeux.

Nous sommes convaincus que la diffusion des projets de délibération ne peut qu’inciter les citoyens à s’intéresser à la vie de leur cité, ainsi que nous le soulignions dès 2021 dans ce billet consacré à la démocratie locale. Le présent article retrace toutes les étapes d’une démarche qui s’est révélée aussi laborieuse qu’elle nous paraît vertueuse.

Clémence de Blasi, journaliste, et Jacques Trentesaux, directeur de la rédaction de Mediacités


À Lille, cyberattaque, dérobades et rétropédalage

Enfin ! Sur le fil, au moment où nous ne l’attendions plus, la ville de Lille semble répondre favorablement, en cette fin juin 2023, à nos multiples sollicitations : « Je vous indique que la Ville de Lille prévoit de poursuivre la mise en ligne, sur son site Internet, de l’ordre du jour et des résumés des délibérations qui seront examinées au conseil municipal suivant. Comme vous le savez, les projets de délibération, leur résumé et les annexes éventuelles peuvent être adressés aux élu‐e‑s jusqu’à cinq jours francs avant la réunion du conseil municipal », nous écrit le directeur général des services (DGS), Patrick Pincet, dans un courrier daté du 30 juin. 

Courrier du DGS Mme De Blasi

Sans doute cette réponse n’est-elle pas tout à fait étrangère à notre saisine de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada), une autorité indépendante chargée de veiller à la liberté d’accès aux documents administratifs et aux archives publiques… Autorité publique que nous avions saisi faute d’avoir reçu de réponse dans les délais raisonnables, nos premières demandes remontant à plus de quatre mois.

Vendredi 13 octobre dernier se tenait un conseil municipal à Lille. L’occasion de vérifier que la Ville tenait bien ses promesses. Une semaine avant l’échéance, nous fouillons le site internet de la commune de fond en comble : rien. Lundi 9 octobre, cinq jours francs avant la réunion du conseil municipal, nous revérifions. Et sortons une nouvelle fois bredouilles. En dépit des déclarations d’intention, les projets de délibération restent inaccessibles aux habitants. Seul l’ordre du jour de la séance finira par être mis en ligne… quelques heures avant la tenue du conseil !

Quid des projets de délibération ou même des résumés ? Il est impossible de les diffuser à cause de la cyberattaque massive qui a frappé tout son système informatique début mars 2023, plaide la Ville, sept mois après l’attaque, en jurant être de bonne foi. « Nous n’avons pas eu d’autre choix que de revenir au papier, nous explique‐t‐on au service communication. Les projets de délibérations du dernier conseil municipal remplissaient trois grosses chemises en carton – l’équivalent de cinq bottins de La Poste. Nous rencontrons toujours de vrais problèmes de numérisation. Mais c’est seulement temporaire, je vous l’assure. » Et de nous proposer de nous rendre en mairie pour pouvoir consulter une version papier…

« Les délibérations sont accessibles au public après qu’elles ont été votées »

Pour mieux comprendre les choix de Lille en la matière, nous aurions aimé pouvoir rencontrer Patrick Pincet. Ce fut en vain, malgré nos multiples sollicitations. Quelques jours avant la publication de cet article, le 14 novembre 2023, le grand patron des services de la ville finit par nous préciser par écrit : « Je n’ai jamais indiqué que les projets de délibération seraient en ligne ou accessibles, c’est contradictoire avec le fait que c’est le conseil municipal qui est souverain pour approuver les délibérations. Les délibérations sont accessibles au public après qu’elles ont été votées… »

Les Lillois qui aimeraient s’impliquer dans la vie de leur commune apprécieront… Nous allons donc une nouvelle fois saisir la Cada, en espérant, à terme, obtenir plus de résultats. Car si nous comprenons les difficultés occasionnées par l’attaque informatique subie par la mairie de Lille début 2023, nous devinons qu’avec un peu de bonne volonté, des solutions pourraient être trouvées pour communiquer ces documents. Avant d’exister en version papier, les projets et résumés de délibérations ne passent‐ils pas par une version informatisée ?

La transparence avance… en Belgique

Notre constat initial est le suivant : si des journalistes – dont c’est le métier et qui savent où chercher – ne parviennent pas (ou très difficilement) à obtenir la communication d’informations en principe accessibles à tous, telles que les notes de frais des élus, comment les citoyens pourraient‐ils y accéder ? En matière d’accès à l’information, le modèle est sans doute à aller chercher du côté de la Belgique. Suite à quatre années de mobilisation intense auprès des communes francophones belges, l’association Transparencia.be a obtenu la fin du “privilège d’information” des conseillers municipaux. Ainsi, les projets de délibérations sont devenus publiques.

À cheval entre la France et la Belgique, les villes de Comines et Warneton constituent un bon exemple de la culture de l’opacité à la française. Côté français, Comines et Warneton ont refusé notre demande. Sur le trottoir d’en face, rien de tel. A Comines‐Belgique, par exemple, les projets soumis au vote du conseil communal du 6 novembre ont été mis en ligne le 30 octobre pour tous les citoyens. Et c’est le cas depuis quatre ans. Avant 2019, seuls les élus avaient accès à ce document sept jours auparavant. L’argument français des “documents non définitifs” ne pouvant être publié sans semer la confusion a été résolu très simplement en Belgique : un filigrane “projet” est ajouté automatiquement en trame de fond du document préparatoire pour le distinguer de sa version définitive.

La transparence est – comme son nom l’indique – le cheval de bataille de Transparencia.be. En 2016, l’association s’est dotée d’une plateforme collaborative précieuse. Son but ? Faciliter et centraliser les demandes d’accès aux informations publiques afin que les citoyens exercent un contrôle direct sur leurs services publics. « La transparence est un vecteur fondamental d’amélioration de la société et parfois l’unique rempart contre la corruption, l’abus ou la mauvaise utilisation des moyens publics », commentait à l’époque Claude Archer, un des cofondateurs de la plateforme.

Depuis 2020, il existe une version du site Transparencia.be réservée aux journalistes. Elle permet à ces derniers d’envoyer simultanément la même demande à une liste d’institutions publiques, de surveiller l’avancée des réponses et de créer des comparatifs des réponses. Un outil fort utile que nous avons utilisé pour notre enquête. Une première !

Cinq villes pionnières dans la métropole lilloise

A la suite de nos envois répétés de courriels, cinq municipalités de la MEL se sont engagées à communiquer les projets de délibérations en amont des conseils municipaux. Citons en premier lieu la Ville de Mons‐en‐Barœul, emmenée par Rudy Elegeest (divers gauche), qui se prêtait déjà depuis quelques mois à cet exercice de transparence. Les délibérations de cette commune de 20 900 habitants sont accessibles en ligne une semaine avant chaque séance sur une page dédiée.

conseil municipal Villeneuve-d-Ascq
Séance du conseil municipal de Villeneuve d’Ascq, l’une des cinq villes de la MEL qui communique les projets de délibérations en amont des conseils municipaux. Photo : site internet de la ville de Villeneuve d’Ascq.

D’autres municipalités lui ont emboîté le pas, suite à notre sollicitation : Faches‐Thumesnil (dirigée par Patrick Proisy, LFI – 18 160 habitants), Baisieux (Philippe Limousin, divers centre – 4 993 habitants), Neuville‐en‐Ferrain (Marie Tonnerre‐Desmet, divers droite – 10 439 habitants). Il est notable de constater que les maires de ces villes sont de toute coloration politique. Preuve, s’il en est, que la transparence est un combat transpartisan. Depuis avril 2023, Villeneuve‑d’Ascq a rejoint ce petit groupe de pionniers puisqu’elle publie sur son site les projets de délibérations et leurs annexes cinq jours francs avant chaque séance.

Notons cependant que, même quand ils sont effectivement mis en ligne en amont des conseils municipaux, les projets de délibération ne sont pas toujours faciles à trouver. Il serait bien plus judicieux, à nos yeux, de les publier sur la page d’accueil des différentes municipalités une semaine avant chaque conseil.

Ces communes aux abonnés absents

Cela pourrait presque prêter à rire si le sujet n’était pas si important, à une époque où la confiance des citoyens dans la vie politique (nationale comme locale) s’est effondrée. Force est de constater que face à nos demandes écrites répétées, la grande majorité des municipalités de la métropole lilloise est encore aux abonnés absents. Près des trois quarts des collectivités publiques sollicitées (19 sur 27) n’ont même pas daigné accuser réception de notre demande. Nous le déplorons autant que nous le trouvons inacceptable.

Incroyable mais vrai, l’une des municipalités sollicitées finira par nous répondre, par retour de mail, qu’elle a changé d’adresse électronique… sans nous donner la nouvelle ! Poids lourds de la métropole lilloise, Roubaix et Tourcoing se sont murées dans un silence de carpe. Ni l’une ni l’autre n’auront apporté la moindre réponse à nos sept courriers mensuels de rappel… en dehors, bien sûr, des mails automatiques annonçant une absence pour départ en vacances ! C’est au moins l’assurance que nos courriers sont bien arrivés à leurs destinataires.

Certaines communes ont été plus inventives : la mairie d’Halluin a fini par nous répondre pour nous demander d’utiliser une autre adresse mail pour la contacter. Ce que nous avons fait bien volontiers… sans plus de résultat ! D’autres enfin ont préféré ajouter des filtres au cours des mois pour ne plus être importunées par nos mails, comme la mairie de Seclin. Ces relations étranges entre des communes et un journal constituent une illustration supplémentaire du piètre état de notre démocratie locale.

Une initiative primée par l’Europe

Dans le cadre de ce projet de journalisme transfrontalier local subventionné par le Journalismfund Europe, et pleins d’espoir compte tenu des progrès en matière de transparence déjà réalisés en Belgique depuis quelques années, voici le mail que nous avons envoyé, au début de l’année 2023, à 27 municipalités de la Métropole européenne de Lille, qui comptent par les plus peuplées :

Chère Mairie de [commune des Hauts‐de‐France],

Pour augmenter la confiance et la participation des citoyens dans la vie locale, nous croyons très utile de permettre à ceux‐ci de consulter en ligne les projets de délibérations et leurs notes explicatives avant chaque conseil municipal. Certaines communes le font déjà spontanément. Dans la MEL, la commune de Mons‐en‐Barœul fait figure de pionnière en la matière. Citons également l’exemple positif de la ville de Paris, qui les met spontanément en ligne sur son site https://www.paris.fr/pages/comptes-rendu…

C’est la raison pour laquelle plusieurs médias et associations belges et français (Mediacités, Transparencia.be, Apache…) ont décidé de se lancer ensemble dans un inventaire complet des communes, pour y répertorier celles qui publient déjà ces projets de délibérations, celles qui ont l’intention de le faire, et celles qui refusent.

Dans ce cadre, merci de bien vouloir répondre aux questions suivantes :

  1. Pourriez‐vous nous transmettre une copie, au format numérique, des projets de délibérations des points inscrits à l’ordre du jour de votre prochain conseil communal, tels que transmis aux conseillers communaux (il ne s’agit donc pas du PV réalisé a posteriori, mais de sa version provisoire d’avant le conseil). Pour ce même conseil, pourriez‐vous transmettre également une copie des notes explicatives et de synthèse pour chacun des points publics précités, ainsi que l’inventaire des annexes faisant partie intégrante de ces délibérations, et les annexes elles‐mêmes ?
  2. Au plus tard une semaine avant le prochain conseil communal, pourriez‐vous nous transmettre la même série de documents (projets de délibérations, notes explicatives, inventaire des annexes et annexes elles‐mêmes) ?
  3. Vous engagez‐vous à mettre en ligne systématiquement ces documents à l’avenir, au plus tard sept jours [le délai belge est de sept jours pour les conseillers, seulement cinq en France. Cependant la Ville de Paris les donne quinze jours avant un conseil municipal, les Villes belges de Mons et Anvers dix jours. Cinq et sept jours représentent donc une forme de strict minimum, NDLR] avant le conseil communal, pour que les citoyens puissent y avoir accès ?
  4. Si ces documents sont déjà accessibles à tous les citoyens, pouvez‐vous nous transmettre l’adresse URL où ils sont publiés et nous préciser depuis quand vous avez mis en place ce système ?

Sans réponse de votre part, nous considérerons que votre commune ne souhaite pas rendre publics les documents demandés comme le font déjà spontanément d’autres municipalités.

Merci d’avance pour votre collaboration,

Clémence de Blasi, journaliste à Mediacités

  • Peut‐on connaitre les 27 communes sollicitées ? Celles qui n’ont pas daigné répondre, et celles qui vous ont répondu par la négative ?

    • Bonjour, Merci pour l’intérêt porté à cette enquête. La liste des communes sollicitées, celles qui ont répondu et celles qui ont ignoré notre demande figurent dans une annexe en marge de l’article. Par commodité, je vous la remets ici : Demande acceptée (5/27) : Mons‐en‐Barœul, Faches‐Thumesnil, Baisieux, Neuville‐en‐Ferrain, Villeneuve‑d’Ascq. Demande rejetée ou non considérée (22/27) : Lille, Comines, Armentières, Hem, Lambersart, Tourcoing, Roubaix, Saint‐André‐lez‐Lille, Wattrelos, Wasquehal, Wattignies, Haubourdin, Seclin, La Madeleine, Mouvaux, Ronchin, Roncq, Croix, Halluin, Marcq‐en‐Barœul, Loos, Lys‐lez‐Lannoy.

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Par Clémence de Blasi (avec Jacques Trentesaux)