Le recours du lycée Averroès contre l’arrêt de ses subventions refusé pour « manquements graves »

Le tribunal administratif de Lille a confirmé ce lundi en référé la décision préfectorale de rompre le contrat d'association liant le lycée musulman à l'État. Tout financement public est donc suspendu dans l'attente d'un jugement sur le fond. Un recours devant le Conseil d'État va néanmoins être posé contre ce référé.

Lycée Averroès – Lille
Le Lycée Averroès n'a pas obtenu du tribunal administratif de Lille que soit suspendue la décision de la préfecture du Nord de rompre son contrat d'association avec l'État. Photo : Matthieu Slisse / Mediacités

Le tribunal administratif de Lille se sera laissé près de trois semaines pour trancher dans le litige qui oppose l’Etat au lycée musulman Averroès. Le 24 janvier dernier, les avocats de l’établissement avaient demandé que soit suspendue la décision préfectorale de rompre le contrat d’association qui, depuis 2008, lie ce lycée privé à l’Etat. Dans leur délibéré publié ce lundi 12 février à 18 heures, les juges ont très vivement retoqué cette demande. À partir de la rentrée 2024, l’établissement privé qui fête cette année ses vingt ans d’existence ne touchera plus un seul euro d’argent public. 

« En l’état du dossier, le maintien de l’application du contrat d’association jusqu’à l’examen du recours au fond de l’association Averroès porterait une atteinte excessive à l’intérêt général », indique dans son ordonnance le tribunal administratif de Lille. Les manquements imputés à l’établissement privé de Lille‐Sud sont, selon les magistrats, suffisamment importants pour justifier une suspension – au moins temporaire – des financements publics touchés par l’établissement jusqu’au jugement qui tranchera l’affaire « sur le fond ». Mais celui‐ci n’aura pas lieu avant plusieurs mois, en raison de l’agenda très chargé des tribunaux.

Le refus d’une inspection du C.D.I

Deux éléments sont mis en avant par le tribunal pour justifier sa décision. Tout d’abord, l’article L. 442–1 du code de l’éducation selon lequel « la conclusion du contrat est subordonnée à la vérification de la capacité de l’établissement à dispenser un enseignement conforme aux programmes de l’enseignement public ». Or, selon les magistrats, le lycée Averroès n’a pas respecté cet impératif.

Ils en veulent pour preuve deux contrôles qui n’ont pas pu se dérouler comme prévu. Le premier, en janvier 2022, lorsque l’inspecteur chargé de l’inspection du fonds documentaire du C.D.I n’a pu accéder aux ressources en ligne [lire l’article de Mediacités]. Puis en juin 2022 lorsque le précédent directeur du lycée, M. Oufker, s’était opposé à une inspection inopinée du C.D.I, laissant porte closes aux inspecteurs.

« Cet évènement m’a coûté mon poste, confie‐t‐il à Mediacités. C’était un moment de rush, au mois de juin, avec les examens du baccalauréat et une commission de sécurité le même jour, les inspecteurs n’avaient pas prévenu de leur visite. C’était un non‐respect du protocole, un procédé illégal et c’est pour cette raison que je leur ai indiqué de revenir un autre jour. Ce n’était pas un refus d’une inspection, mais une volonté de faire les choses dans les règles. » Pour le tribunal administratif, au contraire, il s’agit là « d’un premier manquement grave de l’établissement à son obligation légale de se soumettre au contrôle de l’État ». 

Le cours d’éthique musulmane au cœur des attentions

Le second élément motivant la décision du tribunal est à trouver dans le cours d’éthique musulmane, cours facultatif équivalent de la pastorale dans l’enseignement privé catholique. Dans un rapport de la Chambre régionale des comptes paru en juin dernier, il était fait mention de l’ouvrage « Quarante hadiths de l’imam An‐Nawawi », présent dans le support pédagogique du cours d’éthique musulmane pour les classes de seconde. 

Or plusieurs passages comportaient « des appréciations contraires aux valeurs de la République », notamment sur l’égalité entre les hommes et les femmes, et la supériorité des lois divines sur toute autre loi. Pour le tribunal, le fait que l’enseignement d’éthique religieuse repose au moins partiellement sur cet ouvrage « constitue un second manquement grave de l’établissement à son obligation légale de ne délivrer aucun enseignement contraire aux valeurs de la République et au respect tant de l’égale dignité des êtres humains. » 

Ce point est particulièrement contesté par l’établissement. Au‐delà de la simple présence d’un ouvrage, il conviendrait, selon les dirigeants du lycée Averroès, d’analyser la mise en contexte et l’analyse proposée par le professeur. C’est d’ailleurs ce qu’avait fait l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche dans un rapport paru en 2020. Les inspecteurs notaient alors : « rien dans les constats faits par la mission, en particulier autour des documents de préparation des cours remis par les enseignants, ne permet de penser que les pratiques enseignantes divergent des objectifs et principes fixés et ne respectent pas les valeurs de la République. »

Dans sa décision, le tribunal ne se prononce pas sur les nombreuses irrégularités qui ont émaillé la procédure, et que Mediacités a largement chroniquées. Mais ses attendus, en revanche, semblent s’apparenter à un premier jugement sur le fond. En effet, les « manquements relevés » par les magistrats portent selon eux « une atteinte excessive à l’intérêt général qui s’attache à ce que les établissements d’enseignement, publics comme privés, fassent partager aux élèves les valeurs de la République et leur fassent acquérir, en particulier, le respect de la personne, de ses origines et de ses différences, et de l’égalité entre les femmes et les hommes ».

Pour Paul Jablonski, l’avocat de l’association Averroès, il s’agit là d’une « décision incompréhensible et inacceptable ». Selon lui, « le fait que les vices de procédure ne soient pas examinés en dit long sur une forme de désinvolture et de mépris du tribunal ». Il a donc annoncé son intention de saisir le Conseil d’État.

  • Pour tous les lecteurs qui après avoir lu cet article, auraient des difficultés à comprendre la décision du tribunal, il peut être éclairant d’apprendre que le support pédagogique en question (Quarante hadiths de l’imam An‐Nawawi) prône (entre autres) tout simplement la peine de mort pour apostasie.

    • Bonjour,
      Merci pour votre message. Effectivement, les trois juges du tribunal administratif ont considéré que plusieurs passages de cet ouvrage comportaient « des appréciations contraires aux valeurs de la République ». Dans cet article, nous avons fait mention de passages sur l’(in)égalité entre les hommes et les femmes, et la supériorité des lois divines sur toute autre loi, mais dans nos nombreux précédents articles consacrés au lycée Averroès, nous avions déjà fait mention du passage prônant la peine de mort pour apostasie. Notamment dans celui‐ci L’existence de ces passages dans l’ouvrage « Quarante hadiths de l’imam An‐Nawawi » n’est pas contestée. En revanche, si ce livre figure bien dans un ancien support pédagogique pour la classe de seconde, les avocats d’Averroès soutiennent que le livre n’est pas disponible au C.D.I et qu’il n’a en conséquence pas été mis à la disposition des élèves. Ainsi, l’analyse de la chambre régionale des comptes selon laquelle ce serait une lecture littérale de ces hadiths qui seraient effectuée dans les cours d’éthique musulmane est selon les dirigeants d’Averroès erronée.
      Matthieu Slisse, Mediacités Lille

  • L’article dit que le jugement est notamment fondé sur (je cite l’article) : « Or plusieurs passages comportaient « des appréciations contraires aux valeurs de la République », notamment sur l’égalité entre les hommes et les femmes, et la supériorité des lois divines sur toute autre loi. Pour le tribunal, le fait que l’enseignement d’éthique religieuse repose au moins partiellement sur cet ouvrage « constitue un second manquement grave de l’établissement à son obligation légale de ne délivrer aucun enseignement contraire aux valeurs de la République et au respect tant de l’égale dignité des êtres humains. »  » Est‐ce ce jugement pourrait faire jurisprudence en ce qui concerne le lycée privée de Marcq en Bareuil dont le directeur va devenir le prochain directeur du lycée Stanislas de Paris et ce même lycée. Si oui, il faut donc supprimer immédiatement touts subvention public à ces deux lycées, et les décontractualiser, sinon il y a rupture d’égalité.

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Par Matthieu Slisse