Procès‐bâillon : quand l’acharnement d’Alila contre Mediacités « encombre » la justice

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Hervé Legros, PDG d'Alila. Photo : compte X (ex-Twitter) d'Alila.

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Par Nicolas Barriquand

Notre journal était poursuivi, ce mardi 19 mars, par le promoteur immobilier lyonnais suite à la publication… d’une brève. L’audience concernait aussi nos confrères de L’Informé.

Une brève. « Un titre et trois petits paragraphes », comme l’a précisé l’avocat de Mediacités, Vincent Fillola, à la présidente de la 6e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Lyon. Ce mardi 19 mars, notre journal était poursuivi – pour la troisième fois en moins d’un an – par le promoteur immobilier Alila pour diffamation.

Le groupe d’Hervé Legros nous reproche la publication d’une brève, donc, publiée le 26 septembre 2023 dans notre rubrique « L’Œil de Mediacités ». Ce court article reprenait une information publiée le jour même par nos confrères de L’Informé, qui faisait état d’un redressement fiscal essuyé par le PDG d’Alila.

Procès‐bâillons : pour la troisième fois en moins d’un an, Alila traîne Mediacités en justice

Journal en ligne spécialisé dans l’investigation économique, L’Informé était également poursuivi par le promoteur lyonnais. Et, logiquement, le tribunal judiciaire de Lyon a décidé d’étudier concomitamment les deux affaires. Pendant l’heure et demie qu’a duré l’audience, notre directeur de la publication, Jacques Trentesaux, a ainsi partagé la barre de la 6e chambre avec son homologue de L’Informé, Gilles Tanguy.

« On lèche, on lâche, on lynche »

Deux journalistes face à un promoteur ? Hélas, non. Comme lors des précédents procès qu’il a intentés contre Mediacités, Hervé Legros n’a pas daigné se déplacer au palais de justice. L’homme d’affaires estime pourtant que « le préjudice de l’acharnement » dont nous ferions preuve à son égard « est considérable tant dans sa vie personnelle, familiale que professionnelle », d’après la citation à comparaître qu’il nous avait adressée. Son avocat, Benoît Derieux, le représentait.

Celui‐ci a d’abord brossé à grands traits le parcours de son client, « quelqu’un qui s’est fait tout seul », avant de généraliser sur « la presse », qui, selon lui, adorerait détester ce qu’elle a adulé : « On lèche, on lâche, on lynche. » D’après sa plaidoirie, cette règle se serait appliquée à Hervé Legros, « lâché pour une banale affaire prud’homale ». C’est passer un peu vite sur les gardes à vue, les 16 plaintes, l’information judiciaire puis, le 2 février dernier, la mise en examen pour « harcèlement moral au travail, travail dissimulé, faux et usage de faux et abus de biens sociaux », dont a fait ou fait l’objet le PDG.

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Contester et dénigrer

Maître Derieux s’applique ensuite à contester des propos des articles de L’Informé et de Mediacités selon lesquels la cour administrative d’appel a confirmé, en juillet 2023, un redressement fiscal de près d’un million d’euros aux dépens d’Hervé Legros. La juridiction se prononçait en référé et n’a pas statué sur le fond, insiste‐t‐il, ce que ni Mediacités ni L’Informé n’ont écrit. Nos deux publications ont basé leurs analyses sur les considérants du rejet, par la cour administrative d’appel de Paris, de la demande de « suspension du recouvrement » des impositions réclamées par le fisc au patron d’Alila.

La plaidoirie de Benoît Derieux consiste ensuite à dénigrer nos deux titres et leurs directeurs de publication, tour à tour qualifiés de « tartuffes » et de « perroquets », « deux médias qui se drapent dans l’écharpe de la vérité ». Il réclame en conclusion 15 000 euros de dommages et intérêts à chacun des accusés.

« Pourquoi dépense‐t‐on ce fric de fou ? »

Pour L’Informé, l’avocat Nicolas Rebbot remet en cause le présumé caractère diffamant de l’information du redressement fiscal : « À aucun moment, l’auteur de l’article n’émet l’hypothèse d’une fraude. » A son tour, Vincent Fillola défend devant le tribunal que rien de ce que Mediacités n’a écrit n’est faux : « Oui, la décision en référé de la cour administrative d’appel confirme l’analyse fiscale du fisc. »

Notre avocat en vient ensuite aux motivations des poursuites d’Hervé Legros. « Pourquoi perd‐on autant de temps ? Pourquoi mobilise‐t‐on autant de monde, entre vous, Madame la présidente, vous, Mesdames et Messieurs du tribunal, vous, Madame la greffière ? Pourquoi dépense‐t‐on ce fric de fou ? Pour la blessure narcissique de Monsieur Legros qui ne se déplace même pas, tonne‐t‐il. C’est insupportable ! »

Une « impression »

« Vous êtes les seuls, reprend‐il en s’adressant au tribunal, à pouvoir dire stop à Monsieur Legros, à pouvoir lui dire d’arrêter de polluer et d’encombrer les tribunaux. » Vincent Fillola en termine : il réclame la condamnation d’Alila à 5 000 euros pour procédure abusive.

De retour à la barre, Jacques Trentesaux souligne que si Alila et son président avaient quelque chose à redire à notre publication, « peut‐être qu’un droit de réponse eut suffi ». Le directeur de Mediacités confie enfin son « impression d’être utilisé » : comme il le rappelle à la présidente du tribunal, Alain Jakubowicz, l’ancien avocat d’Hervé Legros, n’avait pas caché que « le promoteur avait besoin de faire condamner notre journal pour rassurer ses partenaires économiques ».

L’affaire de la brève de Mediacités a été mise en délibéré au 21 mai prochain.

Face à Alila, soutenez Mediacités

Dans le cadre de cette troisième procédure, Alila et son PDG Hervé Legros réclament à Mediacités 15 000 euros « en réparation de leur préjudice » et 7 500 euros au titre de leurs remboursements de frais de justice. Des sommes astronomiques pour le média à l’économie fragile que nous sommes.

Face à cet acharnement judiciaire, vous pouvez nous aider à résister en faisant un don défiscalisé. Pour qu’Alila n’entrave pas nos capacités d’enquête. Pour que les « bonnes affaires » d’un promoteur immobilier ne l’emportent pas sur la liberté de la presse.

Droit de réponse de la société Alila

Nous avons reçu, le 11 avril 2024, de la part de la société Alila, la droit de réponse suivant :

Droit de reponse-Alila 

Mediacités prend note de ce droit de réponse et de ce nouveau concept « d’article‐bâillon »… Nous assumons par ailleurs totalement le choix d’avoir proposé à nos lectrices et lecteurs un compte‐rendu de cette audience du 19 mars 2024, quand bien même cette publication nous place dans cette « délicate double position d’acteur et de commentateur ». C’est la raison pour laquelle le présent article a été publié dans notre rubrique La Fabrique, destinée à vous raconter les coulisses de notre journal, malheureusement encombrées – elles aussi – de trop nombreux procès‐bâillons. 

La rédaction de Mediacités