Mal‐logement : deux personnes sur trois laissées sans solution d’urgence dans les Hauts‐de‐France

illu sans abrisme

Publié le

Temps de lecture : 4 minutes

Favorite

Par Eden Sakhi-Momen

Dispositifs d’hébergement saturés, production de logements sociaux en berne, augmentation des expulsions sans alternatives : la Fondation pour le logement des défavorisés décrit une situation inquiétante dans la région et appelle à un sursaut politique.

«Nous faisons face à un vrai tournant dans l’aggravation du mal logement dans la région », met en garde Isabelle Fourot, directrice de la Fondation pour le logement des défavorisés (ex‐Fondation Abbé Pierre) dans les Hauts‐de‐France, en présentant son dernier rapport annuel. A tous les niveaux (sans‐abrisme, insalubrité des logements, précarité énergétique, possibilité de payer son loyer), les indicateurs sont alarmants.

17 personnes sans‐abris sont décédées à la rue dans la Métropole européenne de Lille (MEL) en 2024. Sans pouvoir fournir de chiffre régional, la Fondation rappelle que 350 000 personnes sont sans domicile en France. Soit 200 000 de plus qu’en 2012.

Au moins 121 mères sans‐abris dans la MEL

En avril 2025, plus de 5800 personnes ont sollicité le service d’hébergement d’urgence du 115, selon la Fédération des acteurs de la solidarités. 3800 sont restées sans solution, soit près de deux sur trois. Sans compter celles découragées qui n’appellent même plus. Parmi elles, 1000 enfants sont concernés. « Nous ne sommes plus en mesure d’assurer le minimum de protection, y compris pour les personnes les plus vulnérables », regrette Isabelle Fourot.

La Fondation déplore que les aides d’urgence soient cantonnées aux mesures liées à la trêve hivernale, sans être pensées comme une réponse durable. « Dans notre accueil de jour à Valenciennes, la fréquentation a augmenté de 50 % en deux ans », poursuit‐elle, signalant qu’on y trouve « plus de familles, beaucoup de jeunes, des personnes isolées avec des troubles psychiques ».

La Fondation constate aussi une « féminisation de la grande précarité », avec de plus en plus de femmes concernées par le sans‐abrisme. Le Réseau santé solidarité de Lille Métropole a par exemple repéré au moins 121 femmes enceintes ou sortant de maternité en 2024 en situation d’instabilité résidentielle, entraînant bien souvent des pathologies physiques ou mentales.

Bébés à la rue : à Lille, les pouvoirs publics dépassés, une église à la rescousse

L’absence de stabilité empêche la possibilité de bénéficier d’un suivi médical adapté. « Dès lors que les personnes sont à la rue, il est évident que la relation mère‐enfant est difficile », explique Isabelle Fourot, rappelant que le département du Nord ne propose un accueil en centre maternel que pour les problématiques éducatives dans un contexte budgétaire contraint.

60 000 métropolitains en attente d’un logement social

Alors que les 13 265 places d’hébergement d’urgence proposées dans la région Hauts‐de‐France sont en légère baisse, la Fondation rappelle qu’aux côtés d’une quarantaine d’autres associations réunies dans le Collectif des Associations pour le Logement, elle a déposé deux recours au tribunal administratif de Paris en février dernier pour enjoindre à l’Etat d’agir. Au‐delà du nombre de places, Isabelle Fourot décrit également « la situation catastrophique qu’est l’accès au logement social dans la région », qui connaît une forte hausse (+30%) de demandeurs depuis 2019.

La MEL est le principal secteur en tension, concentrant 60 000 des 236 718 habitants des Hauts‐de‐France à attendre un logement social fin 2024. Parmi eux, 63 000 ne disposent pas de logement personnel. En 2024, seule une demande sur quatre a été satisfaite. Pourtant, c’est à peine 7000 logements qui ont été prévus pour y remédier, « une chute historique de la production de logement social ». Selon l’INSEE, 21 000 seraient nécessaires pour répondre aux seuils de projection démographique.

D’autant plus que parmi ces nouveaux logements, beaucoup concernent des catégories intermédiaires (PLS), dont les loyers ne sont pas accessibles aux plus modestes. Ainsi, les logements les plus abordables (PLAI) ne représentent que 23 % des logements financés en 2024. Un choix d’équilibre pour les décideurs, qui essaient de sortir la tête de l’eau entre les coupes budgétaires et l’augmentation des coûts de construction.

1000 personnes vivent en bidonville ou squat dans l’agglo lilloise

La crise touche aussi les personnes déjà logées : 17% des ménages de la région sont en situation de précarité énergétique, du fait d’une inflation sans précédent des coûts de l’électricité et du gaz ces dernières années. Rien que dans la MEL, on compte 167 000 logements énergivores. La Fondation s’inquiète aussi de la suspension du dispositif Maprimerenov’ annoncée par le gouvernement, qui risquerait de dissuader les propriétaires d’engager des projets de rénovation.

Précarité énergétique : le nord de la France, l’une des régions les plus touchées d’Europe

 Pourtant, les aides au logement censées accompagner les personnes en difficulté de paiement sont en baisse : 85 000 ménages n’en sont plus bénéficiaires depuis 2020, du fait des réformes revoyant les périodes de référence des revenus pris en compte et d’une revalorisation inférieure à l’évolution des prix. « La MEL a également restreint les conditions pour bénéficier d’une aide aux impayés de loyers devant l’augmentation des sollicitations », remarque Isabelle Fourot.

Une situation préoccupante alors que la loi “anti‐squat” dite Kasbarian a accéléré depuis un an les procédures d’expulsion. Avec des résultats immédiats sur le territoire régional : les expulsions bénéficiant du concours des forces de l’ordre ont augmenté de 25% entre 2023 et 2024 (19% à l’échelle nationale).

Dans la MEL, alors qu’environ un millier de personnes vivent en bidonvilles ou squats, 32 expulsions ont été recensées. « A Lille, la politique de gestion des bidonvilles se résume aux expulsions », déclare la directrice de la Fondation, décrivant l’évacuation de ceux de la rue de Bavay et de la rue Cordonnier. Sur les 85 personnes expulsées, seulement huit ont pu être hébergées.

Dénonçant « l’insuffisance des politiques publiques » pour faire face au mal logement, la Fondation pour le logement des défavorisés appelle à un sursaut des responsables locaux et nationaux. « Beaucoup de mobilisations locales appuyées par des habitants de quartiers démontrent l’importance des solidarités », souligne Isabelle Fourot, citant la situation des mineurs isolés de Bois Blancs. « Les restrictions budgétaires ne doivent pas conduire à une série d’optimisations financières au détriment d’un véritable cap politique », sans quoi elles seraient destructrices pour les personnes en situation de grande précarité.

Votre soutien a de l’impact !

Chez Mediacités, nous nous engageons à vous offrir des informations exclusives et indépendantes chaque semaine. Pour permettre à nos journalistes de poursuivre leurs enquêtes approfondies, nous avons besoin du soutien de nos lectrices et nos lecteurs.

Devenez acteur de la révélation d’informations d’intérêt public en faisant un don (défiscalisable à 66 %). Votre soutien nous permet de maintenir un journalisme de qualité et de faire vivre le débat public en toute indépendance.

Aucun commentaire pour l'instant

Pour découvrir les coulisses de votre ville et ne manquer aucune de nos enquêtes,
inscrivez-vous à nos newsletters gratuites.


Une newsletter par semaine et par ville. Désinscription facile.

Ceci fermera dans 25 secondes