« Nouveaux apôtres de l’extrême droite » : la carte des associations soutenues par le milliardaire Pierre‐Edouard Stérin

Mediacités publie la cartographie des associations financées par l’écosystème de Pierre-Édouard Stérin. Réalisée par le collectif de journalistes Hors Cadre, en collaboration avec WeDoData, elle illustre un vaste projet d’investigation sur la galaxie de l’homme d’affaires d’extrême droite.

Le milliardaire Pierre-Edouard Stérin a fait fortune notamment grâce à la vente de coffrets cadeaux Smartbox. Carte : Hors Cadre/We Do Data. Montage : Mediacités.

Plusieurs centaines de militants, des banderoles antifascistes et des CRS avec fumigènes. Ce jeudi 4 décembre, la 9e édition nationale de la Nuit du bien commun, organisée aux Folies bergères, à Paris, s’est transformée en manifestation contre ce « gala de fausse charité pour des associations réactionnaires », aussi bien à l’intérieur de la salle que dans les rues autour, comme l’a raconté Reporterre.

Depuis sa création en 2017, l’événement, cofondé par le milliardaire d’extrême droite Pierre‐Édouard Stérin, sert à collecter puis distribuer des millions d’euros à des dizaines d’associations, pour la plupart issues de la mouvance catholique conservatrice. Mais depuis, le vent a bien tourné pour le milliardaire catholique ultra.

Des galas de charité très orientés politiquement

Depuis plusieurs mois, chaque Nuit du bien commun est troublée par une contre‐manifestation. Au point parfois d’être annulées, comme à Aix‐en‐Provence à la suite d’une grève des intermittents du spectacle. Au gré des articles de presse (environ 1500 !), les dirigeants d’associations se décommandent, comme lors de l’édition dijonnaise du gala le 2 décembre dernier, préférant renoncer à des dons conséquents plutôt qu’être affiliés à Pierre‐Édouard Stérin.

Le nombre de participantes et participants, lui, diminue, et le public se montre moins généreux. Les partenaires et les collectivités finissent par tourner le dos au gala de charité. À Rennes, en novembre dernier, les organisateurs se sont résignés à tenir l’événement en distanciel. Malgré le retrait annoncé, en juin dernier, de Pierre‐Édouard Stérin du conseil d’administration du fonds de dotation de la Nuit du bien commun, rien n’y fait : l’événement est marqué du sceau du milliardaire devenu « radioactif ».

« La Catho » d’Angers renonce au mécénat de Pierre‐Édouard Stérin

Aujourd’hui 81e richesse de France et évadé fiscal en Belgique, Pierre‐Édouard Stérin s’est enrichi grâce à la vente des Smartbox, ces coffrets cadeaux que l’on trouve encore aujourd’hui à l’entrée de nombreux commerces. Se décrivant lui‐même comme « catholique fervent », l’entrepreneur a le projet de devenir… un saint. Et réinvestit sa fortune, par le biais de ses différents fonds dans des entreprises et des associations dont les ambitions politiques restent plus ou moins masquées. Les révélations dans L’Humanité, en juillet 2024, de son projet Périclès – pour « Patriotes Enracinés Résistants Identitaires Chrétiens Libéraux Européens Souverainistes » – qui prévoit de distribuer 150 millions d’euros sur 10 ans pour promouvoir les « valeurs clés » de l’extrême droite, « servir et sauver la France », ne laissent plus de place aux doutes. L’ensemble de la presse se met alors à enquêter pour révéler le projet politique que ce milliardaire catholique menait jusqu’ici en toute discrétion.

Un projet d’investigation collectif et d’utilité publique

Avant même la révélation du projet Périclès, les journalistes indépendants et indépendantes du collectif Hors Cadre avaient Pierre‐Édouard Stérin à l’œil. Et, surtout, les associations qu’il soutenait via les Nuits du bien commun. Dès 2021, les journalistes Simon Mauvieux et Elsa Sabado s’étaient rendus à l’édition parisienne, et avaient publié un reportage pour Libération. Après quatre heures de show, au cours desquelles le public est encouragé à faire des dons défiscalisables, se forge la conviction que chaque association lauréate ce soir‐là aurait mérité une enquête.

Comment le milliardaire développe‐t‐il son influence en finançant des associations qui interviennent dans de nombreux champs : l’éducation, la culture ou l’aide aux personnes défavorisées ? Grâce à l’argent injecté, parvient‐il à diffuser son idéologie réactionnaire, auprès des bénévoles comme des publics bénéficiaires, souvent vulnérables ? Ces associations sont par ailleurs souvent financées par des fonds publics, au nom de l’intérêt général, pour répondre aux besoins de la population dans des zones désertées par les services publics. Élus locaux ou représentants de l’État sont‐ils au courant du projet idéologique qu’elles colportent ? Ce vaste travail d’investigation sur l’empire « philanthropique » de Pierre‐Édouard Stérin vise à répondre à ces questions, et débute début 2025 grâce à l’appui du Fonds pour une presse libre (FPL).

La carte interactive que nous publions ci‐dessous est l’un de ses aboutissements.

A propos de cette carte

Cette carte interactive, coordonnée par Martin Delacoux et Clément Vogt du collectif Hors Cadre, en partenariat avec WeDoData, présente l’ensemble des associations qui ont fait l’objet d’une enquête journalistique. La carte indique le lieu où se situent leurs sièges et antennes, les fonds privés récoltés, en particulier grâce à la « galaxie » de Pierre‐Édouard Stérin [lire l’encadré à la fin de l’article], ainsi que les fonds publics perçus. Chaque entrée renvoie vers les enquêtes correspondantes, qui apparaîtront au fur et à mesure de leur publication.

À l’heure où de très nombreuses associations craignent pour leur avenir du fait d’une baisse drastique de leurs financements publics, cette cartographie vise aussi à informer citoyens et élus pour identifier le projet idéologique porté plus ou moins clairement par les associations présentées, et l’origine de leurs fonds.

« Bébés de souche européenne » et baptisés

Comme l’illustre la cartographie des enquêtes, de par l’ampleur et le poids de son écosystème, Pierre‐Édouard Stérin participe largement, avec d’autres, à une guerre culturelle contre toute forme de progressisme – lui qui incite publiquement les Français et Françaises à avoir « plus de bébés de souche européenne » et à les « faire baptiser ». Il est devenu l’un des acteurs clés d’un projet politique identitaire, instillé dans les associations, les collectivités, au plus près du terrain, pour gagner les cœurs et les esprits en vue de placer l’extrême droite au pouvoir.

C’est ce rôle que met en lumière ce grand travail d’investigation mené par le collectif Hors Cadre. Huit médias s’y sont associés pour diffuser chacun une ou plusieurs de ces enquêtes en fonction de leur ligne éditoriale : Basta!, qui a porté administrativement le projet, Arrêt sur images, Le Bondy Blog, La Déferlante, Mediacités, Le Poulpe, Reporterre et La Disparition.

Voici le détail des enquêtes :

  • Derrière le média « des mères inspirantes », des valeurs très réacs

La première enquête du collectif Hors Cadre, en deux volets, sur les médias « Lou » et « Néo TV », qui servent de véritables plateformes promotionnelles aux associations de la nébuleuse Stérin, est d’abord parue dans les colonnes d’Arrêt sur images en juin dernier, sous la plume de Rozenn Le Carboulec et Camille Regache. Leur ligne éditoriale patriarcale et réactionnaire subtilement distillée à longueur de post Instagram, et les engagements politiques de leurs propriétaires y sont méticuleusement décortiqués.

  • Une colonie de vacances paramilitaire et prosélyte

Puis Simon Mauvieux et Elsa Sabado ont passé leur été à enquêter pour Le Bondy Blog sur l’association de colonies de vacances paramilitaire Laissez‐les servir, révélant son inspiration néocoloniale, et l’animation de messes par des prêtres de société des missionnaires de la miséricorde divine. À la clé de leur travail : un arrêté préfectoral de suspension de l’association, et le retrait des 45 000 euros annuels de subvention de la région Île‐de‐France, ainsi que plusieurs enquêtes administratives et judiciaires.

Précédemment, en 2020, la journaliste Elsa Sabado avait déjà enquêté sur cette association pour Mediacités Lyon. La municipalité de Rillieux‐la‐Pape incitait alors des adolescents « qui troublent régulièrement la tranquillité publique, dégradent volontairement le domaine public, outragent voire s’en prennent aux forces de l’ordre » à participer aux camps de Laissez‐les servir en échange du maintien d’aides municipales (du CCAS notamment) à leurs familles.

Levée du drapeau, treillis militaire et prêtre en soutane : les drôles de colonies du maire de Rillieux‐la‐Pape

  • Des spectacles « historiques », chevaux de Troie de l’extrême droite

Puis, ce fut au tour d’Annabelle Martella et Sindbad Hammache de publier dans Basta !, en septembre, leurs trois volets sur le message identitaire colporté par les spectacles sons et lumières soutenus par Pierre‐Édouard Stérin. Depuis, certaines représentations de La Dame de pierre sont accompagnées d’une contre‐manifestation, comme ce fut récemment le cas à Nantes et Aix‐en‐Provence.

À Moulins, Pierre‐Édouard Stérin et la région Auvergne‐Rhône‐Alpes financent un mini‐Puy du Fou

  • Des écoles privées très traditionalistes en milieu rural

Toujours dans Basta !, en octobre, Fanny Marlier et Sarah Bosquet signaient une enquête sur le réseau d’écoles privées Excellence Ruralités, susceptible d’entraver le passage de ces écoles au statut « privé sous contrat » – et non plus hors contrat – par l’Éducation nationale.

  • À Rouen et Lyon, derrière la protection des femmes ou la prévention des ruptures conjugales, les anti‐IVG

Rozenn Le Carboulec et Sarah Bosquet ont ensuite publié dans Le Poulpe une enquête sur l’antenne rouennaise de La Maison Marthe et Marie, une colocation pour les femmes enceintes dites « vulnérables », derrière laquelle se cache un projet anti‐avortement. Celle‐ci sera suivie d’une autre enquête, sur l’association au niveau national, qui sera publiée par La Déferlante en décembre.

En novembre, Annabelle Martella a de son côté publié sur Mediacités une enquête sur l’association Familya, proche des anti‐IVG et des mouvements catholiques les plus traditionalistes, immédiatement suivie de l’annonce du retrait des subventions de la métropole de Lyon.

Familya, l’association proche des anti‐IVG, soutenue par Pierre‐Edouard Stérin, la Région et… la métropole de Lyon

  • Quand les cathos tradis s’emparent de l’éducation à la sexualité

Enfin, ce même mois, Pauline Ferrari et Rozenn Le Carboulec ont publié leur enquête sur les associations ultra‐catholiques qui se positionnent sur le marché de l’éducation à la sexualité dans les écoles dans La Déferlante, entraînant une réaction de l’académie de Rennes à l’encontre d’une des associations.

Et ce n’est pas fini ! Plusieurs autres enquêtes vont être publiées dans les mois qui viennent. Chaque nouvelle publication enrichira la carte.

Les fonds « philanthropiques » de la galaxie Stérin

Très dense, la galaxie Stérin comporte une multitude de sociétés, dont nos collègues de l’Observatoire des multinationales ont dressé un organigramme très détaillé. Parmi elles, plusieurs financent en partie les associations identifiées dans la carte interactive.

Les Nuits du bien commun sont présentées comme des galas caritatifs où des associations peuvent récolter des fonds. La première édition a eu lieu à Paris. Des Nuits du bien commun ont ensuite essaimé un peu partout en France et à l’étranger. Pierre‐Édouard Stérin fait partie des cofondateurs. Il s’est éloigné de sa direction au début de l’année 2025, mais est toujours mécène de l’organisation.

La Région Pays de la Loire, premier soutien de la “Nuit du bien commun” de Pierre‐Édouard Stérin

Le Fonds du bien commun est l’un bras financier du milliardaire, avec lequel il a soutenu plusieurs associations, comme Familya, Excellence Ruralité ou Symphonia productions.

Otium capital est une holding d’investissement créée en 2009 par Pierre‐Édouard Stérin. Elle est présentée par le milliardaire et ses proches comme ce qui constitue le « chapeau de l’ensemble, même si cela ne correspond pas à la réalité juridique et capitalistique », comme l’explique l’Observatoire des multinationales dans cet article.

Obole est une start‐up spécialisée dans la levée de fonds, financée en partie par Pierre‐Édouard Stérin. C’est cette société qui organise Les Nuits du bien commun, ainsi que Le Parvis solidaire. Elle a été fondée par Stanislas Billot de Lochner et Thibault Farrenq, qui ont co‐créé la Nuit du bien commun avec Pierre‐Édouard Stérin.

Le Parvis solidaire est une soirée caritative des Hauts‐de‐Seine, construite sur le même modèle que la Nuit du bien commun. Elle est co‐organisée par Obole et la Fondation Sainte‐Geneviève, qui émane du diocèse de Nanterre.

Les quatre coordinatrices de ce projet – Rozenn Le Carboulec, Fanny Marlier, Annabelle Martella, Elsa Sabado – ont passé leurs vacances de Noël 2024 à élaborer un projet d’enquêtes sur cette galaxie, à rédiger le dossier, monter le budget, et convaincre chaque média partenaire de publier leurs articles. Le tout en entraînant peu à peu leurs camarades d’Hors Cadre dans l’aventure, avec qui elles ont enquêté en binôme : Pauline Ferrari, Camille Regache, Sarah Bosquet, Simon Mauvieux, Maïa Courtois, Sindbad Hammache. Sans oublier les photographes Laure Playoust et Lou‐Anna Ralite. Ainsi que les coordinateurs de la cartographie, Martin Delacoux et Clément Vogt.

Si vous souhaitez adresser une information au collectif Hors Cadre, vous pouvez les contacter par mail à l’adresse : enquete-horscadre@protonmail.com.


Pour prolonger : la journaliste Annabelle Martella au Club de la presse de Lyon pour son enquête sur Familya

Ce jeudi 11 décembre, la journaliste du collectif Hors Cadre Annabelle Martella, qui a signé l’enquête sur l’association Familya publiée sur Mediacités, sera au Club de la presse de Lyon pour témoigner de son travail d’investigation, aux côtés d’Emilie Rosso (journaliste de France 3) et Pierre Lemerle (journaliste de Rue89Lyon). Retrouvez à ce lien les informations pratiques pour assister à cette rencontre.

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Par Annabelle Martella, Elsa Sabado, Fanny Marlier et Rozenn Le Carboulec

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