« Si on continue comme ça, on est mort » : À Toulouse, le Cric, au bord de l’implosion

Départ du directeur général et de plusieurs cadres, risques psychosociaux en hausse… Dans l’association spécialisée dans l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap, le climat délétère a atteint son paroxysme. Selon nos informations, l’établissement pourrait se voir retirer son agrément de l’ARS dans les prochains jours.

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Le siège du Centre de rééducation des invalides civils (Cric), situé dans le quartier Croix de Pierre, à Toulouse./ Photo Armelle Parion

Le Centre de rééducation des invalides civils (Cric) de Toulouse avait connu un semblant d’apaisement depuis les turbulences de la fin d’année dernière. Celles‐ci avaient conduit au départ du président Jean‐Claude Clermont, remplacé par Bernard Darrées, et à l’arrivée d’un nouveau directeur général, Jean‐Michel Bonafé.

Mais les tensions internes viennent de se raviver violemment, après le départ de ce dernier. Révélant une nouvelle fois les difficultés de gouvernance auxquelles l’association est en proie depuis plusieurs années. « On a atteint un point de non‐retour », déplore François*, un enseignant salarié au Cric depuis plus de dix ans. Dans un tract distribué ce mercredi 21 juin à l’entrée du site de Croix de Pierre pour appeler les salariés à « rester mobilisés et solidaires », l’intersyndicale dénonce notamment « des attaques ouvertes et dénigrantes sur nos missions et notre travail d’élus au CSE mais aussi sur celles des autorités d’État, devant l’ensemble du personnel ». 

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Tract distribué le 21 juin à l’entrée du siège du Cric, à Toulouse.

Lors de deux réunions, les 13 et 14 juin (un CSE suspendu par le président le 13, puis une réunion avec tout le personnel, convoquée par ce dernier), « Darrées était dans une colère jamais vue. Il a dit que le Comité social et économique (CSE) cherchait à tout bloquer et à mettre l’activité du Cric sous tutelle », raconte François. « Très mal vécus par les salariés », selon Olivier Gau, le secrétaire du CSE, ces derniers épisodes et le comportement de leur dirigeant ont été signalés à l’Agence régionale de santé (ARS) dans la foulée.

Dans leur courrier à l’ARS, que nous nous sommes procuré, les représentants du CSE dénoncent les accusations d’une « violence inouïe » du président de l’association contre la médecine du travail, l’inspection du travail et la Carsat, ainsi qu’à l’encontre des membres du CSE. Ils pointent également le « honteux chantage à l’emploi » de leur dirigeant quand celui‐ci a demandé aux salariés de voter pour « continuer à travailler avec Cric Association » ou pour transférer les agréments du Cric à une autre association.

« La semaine qui vient de se dérouler à Cric Association marque un tournant dans la démesure, alertent les membres du CSE. Le président, Bernard Darrées, et une partie de son équipe de management, se mettent à saboter toute initiative d’amélioration de nos pratiques professionnelles, des conditions de travail ainsi que toute volonté de pacification du dialogue social. (…) Le CSE du 13 juin (…) a marqué un point d’orgue dans l’impossibilité de dialoguer avec une gouvernance tyrannique. »

Des départs en série

L’annonce du départ du nouveau directeur général, le 22 mai, sept mois à peine après son arrivée, semble avoir ranimé les vieux démons de cette association toulousaine réputée dans le secteur du handicap. Depuis lors, « la situation se tend à un point insupportable », analysent les membres du CSE dans leur signalement. 

L’arrivée de Jean‐Michel Bonafé en octobre dernier faisait suite au départ de Sebastian Martinez. Ce dernier soulignait déjà le climat de « violence » de certaines réunions. Expliquant son choix en interne par « des raisons à la fois professionnelles et personnelles », Jean‐Michel Bonafé n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Le directeur général n’est pas le premier à quitter le navire à la dérive cette année. Une assistante sociale est partie en janvier. Il n’en reste plus qu’une à Toulouse, à temps partiel. Les deux responsables des ressources humaines ont démissionné, en mars, suite à un épisode d’épuisement professionnel. Tous deux ont été suivis par la médecin‐psychiatre, dont la période d’essai a été interrompue fin mai, pour des raisons de financement de poste.

La surenchère du président

« Nous avons une gouvernance qui nous envoie droit dans le mur et qui ne fait pas son travail pour que le Cric préserve son activité. Et on voit les effets : des salariés en souffrance, des risques psychosociaux qui n’ont jamais été aussi forts, des signalements sur les mauvaises pratiques, venant des salariés, mais aussi de nos apprenants. Rien n’est carré, donc cela rejaillit sur la prise en charge des personnes accueillies », résume le secrétaire du CSE, Olivier Gau.

« Certains ont raconté hier à des apprenants que l’association allait fermer dans 15 jours. C’est faux, malveillant et irresponsable. L’association souhaite continuer sa mission de formation et d’accompagnement. »

Bernard Darrées, président du Cric

La surenchère aurait pu s’arrêter là. Mais le 15 juin, Bernard Darrées a fait partir trois courriels aux formateurs, aux représentants syndicaux et aux salariés, contenant le même message, à quelques variations près.

«Certains ont raconté hier à des apprenants que l’association allait fermer dans 15 jours. C’est faux, malveillant et irresponsable. L’association souhaite continuer sa mission de formation et d’accompagnement. Elle ne peut le faire qu’avec un comportement positif de chacun et une construction commune », écrit le président du Cric.

Absent cette semaine du fait de sa participation à un tournoi international de goalball dans le Languedoc en tant que président du comité régional handisport Occitanie, Bernard Darrées invitait ses équipes à « prendre du recul ». Il n’a pas répondu à notre demande d’entretien.

Des améliorations avaient pourtant eu lieu

Ces derniers épisodes ont eu lieu, alors que des améliorations étaient notables, suite aux multiples alertes de la Carsat, de la médecine du travail et de l’inspection du travail, ainsi que la publication de l’enquête de Mediacités en octobre 2022. L’ancien président avait par exemple décidé de ne pas renouveler son mandat.

Après avoir reçu une délégation de salariés en décembre, l’ARS a réalisé deux inspections surprises dans les locaux de Toulouse en 2023. Un CSE extraordinaire a eu lieu en février, en présence de représentants de la Carsat et de l’inspection du travail. De plus, la direction et les représentants du personnel avaient conjointement mis en place en février 2023 une commission pour l’amélioration des pratiques professionnelles. Bref, le dialogue semblait renoué.

« Mais dès l’absence dans les locaux de M. Bonafé fin avril (il a fait du télétravail avant d’annoncer officiellement son départ, NDLR), le président a repris la main et toutes les réunions ont été annulées, car il ne s’y présentait pas », relate François*.

Les tentatives de redresser la barre de l’institution malmenée risquent finalement d’être vaines. Tout comme celles du CSE d’obtenir davantage de transparence sur sa situation financière. « Dans une réunion du personnel, Darrées nous a annoncé qu’il restait deux mois de trésorerie à peine, mais une semaine plus tard, tout va bien. Une certaine opacité règne à ce sujet », déplore Olivier Gau.

Selon nos informations, l’ARS pourrait annoncer d’ici quelques jours la mise sous tutelle du Cric ou sa reprise par une autre structure locale dans le secteur de l’insertion professionnelle des personnes handicapées. Ni les salariés ni les stagiaires ne devraient être pénalisés par cette décision, sans doute salutaire. « Ce sera un soulagement, estime Olivier Gau. Si on continue comme ça, on est mort. »

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Par Armelle Parion