Agriculture : Laurent Wauquiez n’a pas réussi à enrayer la disparition des exploitations

Pendant le mandat du président d'Auvergne-Rhône-Alpes - autoproclamé défenseur du monde rural - les aides à l’installation pour les agriculteurs, distribuées par la région mais financées en grande partie par l’Europe, ont sensiblement augmenté. En vain ? Le nombre de fermes en activité a continué de décroître selon les chiffres compilés par Mediacités.

Wauquiez-2017-salonCF
Laurent Wauquiez au sommet de l'élevage de Clermont-Ferrand, ici en 2017. Photo : Alberto Campi/We Report.

Dans les travées du salon de l’Agriculture, à Paris, ou dans celles du sommet de l’élevage, à Clermont‐Ferrand, il ne rechigne jamais à « tâter le cul des vaches », pour reprendre l’expression chiraquienne. À la tête de la région Auvergne‐Rhône‐Alpes, l’auvergnat Laurent Wauquiez s’est érigé en défenseur du monde agricole (en surjouant souvent l’opposition entre ruraux et citadins). Mais de la posture aux actes, quel bilan tirer de son mandat en matière d’agriculture ?

Mediacités s’est replongé dans les promesses formulées par le candidat Wauquiez en 2015. Lors de la campagne des précédentes élections régionales, entre autres propositions, il s’était engagé à « favoriser une implantation viable en renforçant l’aide à l’installation et en accompagnant mieux les agriculteurs dans leurs démarches ». Cela tombe bien, la gestion des subsides du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) est une des compétences du conseil régional. Pour Laurent Wauquiez, il s’agit alors « d’attirer de nouveaux exploitants ». Autrement dit : inverser une tendance de fond qui voit le monde agricole se dépeupler depuis des décennies. Ambitieux.

Plus de 2200 exploitations disparues

Et un mandat plus tard ? D’après la Direction régionale de l’alimentation de l’agriculture et de la forêt (Draaf), les agriculteurs de la région ont effectivement vu les aides à l’installation augmenter. Entre 2015 et 2019, le montant total de ces subventions financées par l’Union européenne, l’État et la région a progressé de 31% (60 millions d’euros contre 45 millions d’euros). Pourtant, sur la même période, le nombre d’exploitations a continué de décroître en Auvergne‐Rhône‐Alpes.

Selon l’Agreste, le service statistique du ministère de l’Agriculture, elles étaient près de 53 000 en 2015 contre 50 730 en 2019. Un paradoxe qui s’explique aussi bien par des problèmes endémiques à l’agriculture en France (précarité des agriculteurs, départs non remplacés, exploitations toujours plus grandes…), que par la multiplication des interlocuteurs et institutions auxquels sont confrontés les agriculteurs et qui complexifie leurs recherches d’accompagnement (Chambres d’agriculture, Points accueil installation, Safer…).

En Auvergne‐Rhône‐Alpes, la question du renouvellement des générations est centrale. Comme l’illustre notre carte dynamique ci‐dessous, l’âge moyen des chefs d’exploitation augmente dans quasi tous les départements. Depuis 2016, plus de la moitié d’entre eux ont plus de 50 ans et partiront donc prochainement à la retraite. En 2020, cette part atteint 51,57%, soit une augmentation de huit points en seulement dix ans.

> Sur la carte ci‐dessus, appuyez sur le bouton « play » pour faire défiler les données dans le temps.

Ce vieillissement participe à l’érosion du monde agricole. En 2010, l’Agreste a réalisé un recensement décennal détaillé. En Auvergne et en Rhône‐Alpes, le service de statistiques du ministère de l’Agriculture comptait très précisément 62 694 exploitations. Le prochain recensement 2020 devrait être publié à la fin de cette année. En attendant, en 2019, le nombre d’exploitations dans les deux anciennes régions réunies était estimé à 50 730, comme mentionné plus haut, soit une baisse de près de 18% en neuf ans.

La tendance n’est pas propre à Auvergne‐Rhône‐Alpes. « Cette situation est due à une combinaison de facteurs, souligne Cécile Gazo, doctorante en sociologie à l’Inrae de Toulouse. L’agrandissement de la superficie moyenne des exploitations complique la transmission mais aussi la mauvaise situation économique qui pousse de nombreux exploitants à cesser leur activité de manière anticipée. A ces phénomènes, s’ajoutent les très nombreux départs à la retraite partout en France. »

Une dotation financée par l’Europe et l’État

Face à cela, Laurent Wauquiez s’était donc engagé à « renforcer l’aide à l’installation ». Concrètement, cette formule désigne un ensemble de subventions financées par plusieurs institutions et destinées à soutenir économiquement un agriculteur qui débute son activité. Parmi elles, l’outil-phare est la Dotation jeunes agriculteurs (DJA) qui peut être attribuée aux exploitants de moins de 40 ans qui présentent un plan d’installation viable et un diplôme équivalent à un bac professionnel agricole. Cette aide est financée à 80% par l’Union européenne et à 20% par l’État mais elle est distribuée par les régions. Son montant a été revalorisé à l’échelle nationale d’environ 56% entre 2016 et 2018. Conséquence en Auvergne‐Rhône‐Alpes, en 2020, son montant moyen s’élevait à 43 857 euros contre 24 266 euros en 2015.

 

À l’échelle nationale, cette dotation s’élève, en moyenne, à 32 700 euros. La différence avec la région Auvergne‐Rhône‐Alpes s’explique par un système de modulation qui encourage certaines pratiques comme l’installation en montagne, en dehors du cadre familial, en respectant des critères d’agro-écologie ou avec l’intention d’investir. Ainsi, si le montant de la DJA de base pour une installation est de l’ordre de 12 000 euros en plaine ou 24 000 euros en montagne, elle peut atteindre 65 600 euros au maximum.

FNSEA satisfaite, Confédération paysanne préoccupée

La région propose par ailleurs d’autres aides qui dépendent de son propre budget. Un agriculteur non‐éligible à la DJA peut par exemple obtenir le financement, jusqu’à 2 800 euros, d’une prestation de conseil en installation. Ces coups de pouce de la collectivité sont censées compléter les aides de l’État et de l’Union européenne. « Car de nombreux agriculteurs ne rentrent pas dans les cases de la DJA, codifiée par l’Union européenne », pointe Emmanuel Ferrand, conseiller régional LR délégué aux fonds européens agricoles. D’après l’élu, la collectivité débourse chaque année, pour ces aides complémentaire, 3,8 millions d’euros environ. Nous n’avons toutefois pas obtenu le détail de cette enveloppe.

Sans surprise, Joël Juéry, président de la FRSEA, syndicat majoritaire dans la région, salue ces efforts financiers, « même si la situation reste compliquée ». Pierre Granet, chargé de mission à l’installation pour les Jeunes agriculteurs, syndicat partenaire de la FNSEA, se félicite que les montants des aides soient « avantageux, plus qu’ailleurs ». Le discours n’est en revanche pas le même à la Confédération paysanne…

Thomas Mery, porte‐parole du syndicat et agriculteur en Ardèche, estime que la DJA incite les nouveaux agriculteurs au surendettement. La dotation se révèle en effet plus conséquente pour des exploitants qui investissent des centaines de milliers d’euros (jusqu’à 22 000 euros quand les coûts de reprise ou de modernisation s’élèvent à plus de 300 000 euros). Le syndicaliste plaide aussi pour des critères moins restrictifs, comme celui de l’âge, fixé à 40 ans : « On ne peut pas vouloir le renouvellement et conserver une telle limitation. »

« Beaucoup de structures proposent des aides qui poursuivent les mêmes objectifs »

D’un côté des aides qui augmentent sensiblement, de l’autres des fermes qui continuent de disparaître… À défaut d’inverser la tendance, les efforts financiers consentis depuis le début du mandat de Laurent Wauquiez ont‐ils au moins ralenti l’érosion du nombre d’exploitations ? En Auvergne‐Rhône‐Alpes, on dénombrait, en moyenne, 2 069 nouvelles installations chaque année entre 2010 et 2014. Ce chiffre a légèrement augmenté : 2 192 installations annuelles pour la période 2015–2019. Il est toutefois loin de compenser les départs à la retraite et les phénomènes de concentration du monde agricole. 

« Ces dernières années, le nombre annuel d’installations aidées avait tendance à stagner si ce n’est décroître, ajoute Emmanuel Ferrand. Mais les effets de la revalorisation de la DJA se sont fait ressentir. Depuis l’an dernier, nous avons réussi à inverser la courbe : ce chiffre repart à la hausse. » Cette affirmation ne concerne pas le nombre global d’installations qui figure sur la carte suivante, mais seulement les installations bénéficiant d’une aide versée par l’État, l’Union européenne ou la région. Surtout, en attendant la publication des chiffres Agreste de l’année 2020, elle reste invérifiable.

> Sur la carte ci‐dessus, appuyez sur le bouton « play » pour faire défiler les données dans le temps.

Pour Cécile Gazo, ce décalage entre l’augmentation des financements publics et la stagnation des installations illustre un problème auquel les agriculteurs sont régulièrement confrontés : « Il y a beaucoup de doublons et de structures qui proposent des aides qui poursuivent les mêmes objectifs. Si bien que, du point de vue des porteurs de projets qui se renseignent, cette complexité devient un véritable micmac. » D’après elle, plutôt qu’augmenter les subventions, il faudrait d’abord « mettre tout le monde autour de la table afin de fédérer et clarifier les aides ».

« Une politique de guichet et non de projet »

Devant la presse, ce lundi 7 juin, Laurent Wauquiez a présenté son programme. « Nous assurerons le renouvellement des exploitations en défendant le maintien de la DJA et en renforçant les formations aux métiers agricoles », avance le document de campagne. Un objectif conforme aux orientations stratégiques du Feader pour la Politique agricole commune (Pac) 2021–2027 (« Assurer le renouvellement des générations en agriculture, pour viser un maintien du nombre d’actifs »), votées en assemblée régionale, en juillet 2020.

« En cinq ans, nous avons triplé le budget régional pour l’agriculture (…). Nous le maintiendrons », s’engage aussi le président‐candidat. Ancien membre de la majorité sortante, aujourd’hui aux côtés de Bruno Bonnell (LREM), le conseiller régional Dominique Despras évoque un bilan « loin d’être négatif » mais regrette « une politique de guichet et non de projet ». Ce producteur de fromages, qui conduit la liste d’En Marche dans le Rhône, propose de « créer une foncière et de viser 50 installations supplémentaires par an ». Il promet aussi de « réaliser des analyses techniques pour étudier les projets nécessitant de l’investissement ».

Du côté des écologistes, on souhaite « accompagner [les nouvelles installations] en amont des mutations et des départs à la retraite » en introduisant des conditions qui encouragent « une agriculture bio, locale et équitable ». « Si nous sommes élus, il faudra corriger l’incohérence de la Pac sur un certain nombre de critères », défend Jean‐François Baudin, colistier de Fabienne Grébert.  La socialiste Najat Vallaud‐Belkacem prévoit, elle, un milliard d’euros pour un « Fonds impact avenir », qui interviendra dans plusieurs secteurs, dont l’agriculture. Quand la communiste Cécile Cukierman regrette que « l’agriculture intensive [ait été] soutenue à corps perdu » pendant le mandat Wauquiez.

Cette enquête ayant été réalisée dans le cadre d’un travail étudiant du master de journalisme de données et d’enquête du CFJ‐Sciences Po Lyon et sans rémunération des auteurs de la part de Mediacités, nous avons donc décidé de la publier en accès libre.

La rédaction de Mediacités


Retrouvez l’ensemble des articles de Mediacités sur les élections régionales en Auvergne‐Rhônes‐Alpes sur notre page spéciale : 

Les élections régionales en Auvergne‐Rhône‐Alpes

  • Métier très compliqué et qui n’a pas toujours une bonne rémunération.
    Donc, n’attire pas forcément les jeunes.
    Mr Wauquiez ne peut donc résoudre seul ce dossier très complex.
    Parfait votre annalyse, servons nous en pour renondir, changer, faire avancer les choses, mais surtout ne diviser pas !

Répondre à De Mauroy Annuler la réponse

Publié le

Modifié le

Temps de lecture : 7 minutes

Favorite

Par Arthur Bamas et Yann Chérel Mariné