Insécurité à Nantes : Johanna Rolland enclenche le mode « positive attitude »

Un an après une flambée médiatique nationale autour de plusieurs faits divers, Johanna Rolland a changé les mots comme les visages sur la sécurité, érigée désormais en « priorité du mandat ». Place à la (sur)réactivité et la "positive attitude" afin de contrer l’image d’une ville devenue dangereuse.

Johanna Rolland, le 28 septembre, à la Maison de la tranquilité publique. Photo Thibault Dumas
Johanna Rolland, le 28 septembre, à la Maison de la tranquilité publique. Photo : Thibault Dumas

«C’est une priorité pour les Nantaises et les Nantais, c’est donc ma priorité de mandat. Que chacun puisse sortir, se déplacer, travailler en toute tranquillité. » Ce 28 septembre, en conférence de presse à la Maison de la tranquillité publique, Johanna Rolland martèle haut et fort que la sécurité est devenue sa « priorité de mandat ».

Cette prise de parole marque un changement de braquet de sa communication comparé à la campagne des municipales d’il y a trois ans. À cette époque, son programme mentionnait quatre priorités : « La santé, la sécurité, l’écologie, l’égalité ». La sécurité était même reléguée au second rang du contrat de mandat négocié avec les écologistes. Et la responsabilité était renvoyée à l’État…              

Pour enfoncer le clou sécuritaire, la désormais candidate à un troisième mandat annonce aussi, au cours de cette même conférence de presse, changer d’adjoint à la sécurité « d’un commun accord ». L’aussi inoxydable que sanguin Pascal Bolo est remplacé par le flegmatique Bassem Asseh. « Notre style [avec Pascal Bolo] n’est pas le même, c’est clair. Mais sur le fond, il n’y a pas une feuille de papier entre nous sur la sécurité et la police républicaine », avance le (déjà) premier adjoint socialiste. « Ce premier adjoint chargé de la sécurité, c’est un signal de soutien envoyé aux fonctionnaires de la police municipale », ajoute‐t‐on dans l’entourage de Johanna Rolland.

Quelques semaines plus tôt, c’est le directeur de la communication de la Ville et de la Métropole de Nantes qui avait été écarté – trois candidats sont en lice pour le remplacer. Xavier Crouan était critiqué en interne pour son manque de stratégie pour préserver l’image de Nantes. Ces changements de tête attestent d’un revirement de la stratégie de communication entamé, en réalité, il y a un an pile. 

« Nantes, peur sur la ville »

Retour en arrière. Pendant quinze jours, à compter de la fin septembre 2022, voilà Johanna Rolland enferrée dans l’une des plus importantes – voire la plus importante – crises de ses deux municipes. Une flambée médiatique nationale après une série de faits divers sordides, qui ancre l’image d’une ville de Nantes devenue dangereuse après avoir été ultra‐désirable durant un quart de siècle. Les articles de presse s’enchainent. Les chaînes de télévision multiplient les directs et les reportages.

Le média national le plus présent sur ce terrain est la chaîne d’information en continu CNews. Les têtes d’affiche du groupe Bolloré se succèdent sur ses plateaux pour dénoncer « l’insécurité grandissante à Nantes ». En tête de cette couverture ravageuse pour l’image de la ville, l’ancien Nantais Pascal Praud affirme dans son édito « Nantes, peur sur la ville » du 27 septembre 2022 « qu’il n’est plus possible de sortir le soir dans cette ville sans risquer d’être agressé ». Deux jours plus tard, c’est au tour de Jean‐Marc Morandini de déambuler en direct entre Commerce et Bouffay.

Les médias du groupe Bolloré, bien que majoritaires dans les retombées presse de cette période agitée, ne sont pas les seuls à afficher un sombre tableau de la cité des ducs de Bretagne. En deux semaines (de fin septembre à début octobre 2022), une centaine de sujets tous médias confondus seront réalisés sur l’insécurité à Nantes. Les recherches Google « Nantes insécurité » seront multipliées par dix sur cette même période.

Véhicule de la police municipale à Nantes. Photo Thibault Dumas
Véhicule de la police municipale à Nantes. Photo : Thibault Dumas

« Franchement, ça nous a essorés »

« C’était une séquence médiatique épuisante, à ne plus en dormir la nuit, reconnaît Pascal Bolo, alors en première ligne. On en a pris pour dix ans pour résorber ce décalage entre les chiffres et le ressenti. Et il suffit du moindre fait divers pour qu’on recule. » Un membre du cabinet de la maire le confirme : « Franchement, ça nous a essorés, ça a été le pire moment d’une vie professionnelle pour beaucoup ». L’équipe a pourtant connu bien d’autres crises ces dernières années, du Covid‐19 aux émeutes dans les quartiers, en passant par les abandons du projet d’aéroport Notre‐Dame‐des‐Landes, de l’Arbre aux hérons et du YelloPark ou l’incendie de la cathédrale de Nantes.

La majorité municipale demeure persuadée que l’opposition de droite et du centre est, cette fois, à l’origine de la crise, via CNews version Pascal Praud, Valeurs Actuelles ou encore Le Figaro. « Le ticket d’entrée pour un média national est plus bas qu’il y a vingt ans. Vous y ajoutez l’effet démultiplicateur des réseaux dont certains élus – pas tous – abusent dans une sorte de trumpisme local », tacle Bassem Asseh, qui s’est fait remarquer au paroxysme de la fièvre médiatique en direct face à Jean‐Marc Morandini. « Nous n’avons pas le budget et la puissance de com’ qu’a Johanna Rolland. Nous faisons avec les moyens dont nous disposons », se défend Foulques Chombart de Lauwe (LR), le premier élu de l’opposition à s’être déclaré candidat pour les prochaines élections municipales.

Quatre fois plus de « sécurité » et de « police »

Après les quelques jours de flottement de l’automne 2022, le changement de tactique est palpable. Fini l’adjoint à la sécurité Pascal Bolo qui ferraille et dérape parfois sur les réseaux sociaux, où il est pris pour cible par certains. La communication passe sous le contrôle total du cabinet de la maire. Et se muscle. Johanna Rolland ne laisse plus passer le moindre fait divers sans réagir – elle était bien plus timide jusqu’ici. Elle affiche sa rencontre avec Gérald Darmanin place Beauvau le 4 octobre, où elle obtient des « moyens supplémentaires ». Elle exhume un article d’Ouest‐France qui indique que sa « première conférence de presse comme candidate aux municipales de 2014, c’était sur l’insécurité ».

Le 22 novembre 2022, « l’artillerie lourde » est sortie dans la grande salle de la préfecture de Loire‐Atlantique. Le préfet d’alors, Didier Martin, le procureur de la République Renaud Gaudeul, les plus hauts gradés de la police et de la gendarmerie détaillent les indicateurs de la délinquance, tous dans le vert, aux côtés de… Johanna Rolland. Du jamais vu ! D’ordinaire, pareille présentation se fait sans élu et en janvier. Pour cette année, c’est entourée de son équipe politique que la maire socialiste a annoncé les (bons) chiffres de la délinquance, dès le 28 septembre. « J’ai bien sûr demandé l’aval du préfet », glisse‐t‐elle.

Les trois Une de Nantes Passion sur la sécurité ces dernières années. Images Nantes Passion
Les trois « Une » de Nantes Passion sur la sécurité ces dernières années. Images : Nantes Passion

« Pour la première fois, on met vraiment le paquet », constate un fonctionnaire. En témoigne encore le magazine municipal Nantes Passion de novembre 2022, titré « Comment lutter contre l’insécurité » – sans point d’interrogation. Sur sept pages du magazine, on trouve des interviews du préfet et du procureur et pas moins de 38 chiffres. Les documents de présentation budgétaire, eux, valorisent désormais la nouvelle catégorie « sécurité » alors qu’avant ces dépenses étaient éparpillées et minimisées. 

Johanna Rolland elle‐même multiplie par quatre l’emploi des termes « sécurité » et « police » sur les réseaux sociaux sur l’année écoulée [voir graphique ci‐dessous]. La maire intervient à présent régulièrement sur le sujet dans les médias nationaux, en le généralisant à toutes les grandes villes (dans Le Monde récemment). Mais elle a décidé, depuis la rentrée, de ne plus répondre aux questions de CNews. Dans son entourage, on explique qu’il y aura pas d’interview donnée à une rédaction nationale qui bafoue à dessein la déontologie journalistique dans le seul but de dénigrer ».

La maire de Nantes assume ce virage sécuritaire et veut, en parallèle, redorer l’image de sa ville. Ces dernières semaines, place donc à la « positive attitude ». « Nantes est belle, Nantes va bien », clame‐t‐elle devant les journalistes. Une déclaration d’amour reprit en cœur par nombre d’élus de la majorité. « Le bashing de Pascal Praud a fait beaucoup de mal. Il faut qu’on arrive à montrer les changements intervenus à Nantes, analyse‐t‐on dans l’entourage de Johanna Rolland. C’est pourquoi elle a beaucoup communiqué sur la Coupe du monde de rugby, Royal de Luxe ou l’exposition « Hyper sensible » au Musée d’arts ».

« C’est pour tenir sa majorité incohérente »

Le défi pour la maire candidate à sa propre succession est de préparer un terrain plus serein pour les municipales de 2026. Charge à son premier adjoint Bassem Asseh de « prendre les baffes », comme il le dit lui‐même. La limite de ce dernier ? « Pas de média condamné pour racisme ». Traduisez : pas de Valeurs Actuelles, par exemple. Une manière aussi de cornériser les élus de l’opposition, accusés de pratiquer le « Nantes Bashing » (le dénigrement de Nantes).

« Il y a quelques abrutis qui s’amusent à faire ce bashing. Je ne vois pas à quoi ça sert » a embrayé le président de la CCI Nantes Saint‐Nazaire Yann Trichard il y a peu dans Presse‐Océan. L’élu d’opposition (Horizons) Guillaume Richard, un proche de Yann Trichard, pondère : « son boulot à la CCI, c’est de créer de l’attractivité. Le nôtre est de mettre un sujet [l’insécurité] sur la table avec, un an plus tard, des avancées politiques, de bons chiffres qui sont là ».

Le conseiller municipal (ex‐LR) voit aussi dans la prise en main sécuritaire de Johanna Rolland le moyen d’affirmer une ligne politique face à ses alliés écologistes. « Elle fait le ménage dans ses équipes de com’ et sa com’. C’est aussi une manière de tenir sa majorité incohérente », indique Guillaume Richard. Il n’a pas tort à voir les mines interrogatives des écologistes. « Le désaccord est connu et écrit depuis 2020. C’est bien que dans une majorité il y ait du débat », évacuent Simon Citeau et Marie Vitoux, qui co‐président le groupe écologiste à la mairie. Tout en taclant « la logique de Big Brother de la vidéosurveillance » portée par la maire socialiste.

En 2020, le programme écolo de la candidate Julie Larnoes renvoyait la sécurité au 145e rang de ses 180 propositions. On y parlait surtout « médiateurs », « gardiens d’immeuble », de « donner du sens aux travaux d’intérêt général (TIG) » ou de « faire dialoguer les acteurs de prévention et de répression ». Bien loin de la lexicologie « rollandaise » d’aujourd’hui.

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Par Thibault Dumas