Le dialogue citoyen : une nouvelle Doxa métropolitaine ?

[TRIBUNE] Alors que la métropole de Nantes planche sur la refondation du Conseil de développement, des interrogations émergent sur le dialogue citoyen à la nantaise. Quelles solutions pour qu'il soit autre chose qu'un slogan politique et un juteux marché, éloigné des citoyens et de leurs préoccupations ?

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A Nantes, la ville mène actuellement un grand débat sur la longévité / Photo: BP (Mediacités)

Membre du Conseil de développement de Nantes, Michel Jouvet a fait parvenir à Mediacités une première tribune, publiée le 6 janvier dernier, dans laquelle il s’inquiète pour l’avenir, la gouvernance et l’autonomie de ce conseil citoyen, en cours de « refondation » par la collectivité. Cette semaine, il s’interroge sur les ressorts du dialogue citoyen, mis en avant par les élus nantais, le marché qu’il représente et son fonctionnement « opaque et centralisé ». 


La Métropole a séquencé le contenu de sa gouvernance en délibérations « poupées gigognes » parfois redondantes et peu lisibles pour le citoyen. Il y a eu l’approbation le 16 octobre 2020 d’une charte de déontologie, le 9 avril 2021 d’un pacte de gouvernance et enfin le 8 octobre 2021 d’un pacte de citoyenneté. Parfois les élus eux‐mêmes s’y perdent…

Dans ces trois documents, la Métropole affirme sa volonté d’une démocratie en continu (selon l’expression de Pierre Rosanvallon), inclusive et citoyenne. Elle entend renforcer le dialogue citoyen à l’échelle des pôles de proximité. Notons que la Métropole introduit le concept de « citoyen usager » qui mérite d’être mis en débat. Tout en réaffirmant la pleine légitimité de la démocratie représentative, le dialogue citoyen est un principe affirmé de l’action publique locale.

Le dialogue citoyen : une signature métropolitaine sous l’impulsion de Johanna Rolland

Le dialogue citoyen repose sur une large palette d’outils participatifs : atelier citoyen, convention citoyenne, tirage au sort, grands débats… le tout accompagné par des bureaux d’études spécialisés qui en animent le déroulement. Mais en fait qui tient réellement la barre ? Cette ingénierie participative professionnalisée peut conduire à déposséder les élus de leur mission parfois par manque de disponibilité ou parce que ce sont les services qui définissent la norme d’action. Un élu normal fait du dialogue citoyen tous les jours. Il en fait dans les réunions publiques, dans la rue, au bistrot… mais ceci est de plus en plus remplacé par ces nouveaux ingénieurs de la participation qui normalisent, encadrent et pour finir… uniformisent.

La direction administrative « démocratie et stratégie » créée au sein des services de la métropole, a largement renforcé ses effectifs depuis 2020. ; une affirmation d’un pouvoir accru ? Cette direction recourt souvent aux bureaux d’études sans en interroger vraiment le coût. La citoyenneté est devenue un juteux marché qui mérite un réel questionnement. 

Une nouvelle Doxa ?

Selon Boris Cyrulnik nous sommes de plus en plus confrontés à de nouvelles Doxa très puissantes. Il est difficile de résister à leurs récitations répétitives marquées par des codes ressemblant au langage des perroquets. Il faut un réel courage pour s’en libérer, ne pas les accepter comme des évidences. Pour cela il faut renoncer à une certaine paresse intellectuelle alors que la pression de l’immédiateté est permanente.

Le dialogue citoyen peut relever d’une nouvelle Doxa s’imposant comme une évidence. Pour retrouver sa liberté intérieure, une réflexion de fond s’impose sur le contenu de ce dialogue citoyen et de ses récitations banalisées qu’on retrouve tout au long de la charte de déontologie, du pacte de gouvernance et du pacte de citoyenneté adoptés par la métropole.

A contre‐courant de cette Doxa, l’ex-Conseil de développement a expérimenté une réflexion libre, parfois impertinente, au‐delà des propos convenus. Avec l’appui de conférenciers parfois à rebours des idées dominantes, il a ouvert de nouveaux horizons. C’est ce qui a fait la richesse de ses propositions pour constituer des espaces de respiration en « off » des initiatives de Nantes Métropole. Il n’est pas certain que le long processus programmé par la Métropole pour la refondation du Conseil de développement en 2022 soit garant de la conservation d’une telle richesse. 

Pour une Métropole girondine

Depuis le dernier renouvellement métropolitain la citoyenneté est devenue un mantra. Le pacte de citoyenneté a repris les propositions du Conseil de développement en faveur d’une véritable citoyenneté métropolitaine qui impliquerait demain l’élection au suffrage direct des élus métropolitains. D’ici là, cette citoyenneté restera un slogan si la Métropole ne favorise pas chez les habitants une vraie appropriation de ce nouvel espace territorial.

Le pacte de citoyenneté propose ainsi de développer, dans le respect de la libre organisation des communes, le dialogue avec les habitants à l’échelle des pôles de proximité, ce qui fut une proposition réitérée du Conseil de développement.

Beaucoup d’habitants perçoivent la Métropole comme éloignée, avec un fonctionnement opaque et centralisé. Une Métropole jacobine en quelque sorte.

Il est essentiel de dépasser des limites communales correspondant de moins en moins au vécu quotidien des habitants. Les pôles de proximité, instance de mutualisation des moyens, pourraient évoluer vers des espaces de dialogue citoyen à l’échelle de bassins de vie, proches du vécu des habitants là où les politiques publiques, PDU PLH, PLU, font sentir leurs impacts sur la vie quotidienne. Les périmètres de ces pôles de proximité (dont le nombre a été réduit de 7 à 5 depuis leur création) méritent d’être repensés.

Vers des conseils territoriaux ?

Le futur Conseil de développement métropolitain pourrait reposer sur des Conseils territoriaux à l’échelle des pôles de proximité. Ces conseils, dont le format est à inventer, pourraient donner des avis sur les politiques publiques territorialisées au niveau de chaque pôle et en suivre la réalisation avec des évaluations périodiques. Il faut noter que la proposition du Conseil de développement pour une territorialisation des politiques publiques a connu une première prise en compte par la Métropole à travers le PLUm.

Au‐delà des intentions affichées, tout reste à écrire par la Métropole mais aucun dispositif ne semble prévu à ce jour pour aller dans ce sens. La métropole osera‐t‐elle concrètement prendre en compte cette nouvelle échelle démocratique citoyenne ? Les 24 maires y adhéreront‐ils ? Le futur Conseil de développement devrait pouvoir contribuer à cette évolution territoriale fondamentale.


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Par Michel Jouvet, membre du Conseil de développement de Nantes Métropole