« Monsieur le président de la République… » : ce que contiennent les cahiers de doléances oubliés des Lyonnais

En 2019, Emmanuel Macron appelait les Français à mettre par écrit leurs attentes dans des cahiers de doléances. Cinq ans après, alors que le gouvernement rechigne à rendre ces archives accessibles, Mediacités a épluché les contributions recueillies, à l’époque, dans les neuf arrondissements de Lyon.

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Extrait des cahiers de doléances mis à disposition dans les mairies d'arrondissement de Lyon en 2019. Photos et montage : N.Barriquand/Mediacités.

C’était il y a cinq ans. Le temps d’un quinquennat. Le 15 janvier 2019, pour tenter d’enrayer le mouvement des gilets jaunes, Emmanuel Macron lance un « grand débat national ». Il durera officiellement jusqu’au 15 mars suivant. Pendant ces deux mois, les Français sont invités à exprimer leurs attentes sur des « grands enjeux de la nation » lors de rencontres organisées un peu partout dans le pays. Ou à les consigner dans des cahiers de doléances mis à leur disposition dans les mairies.

Cinq ans plus tard, que sont ces cahiers devenus ? Alors qu’une poignée de députés demandent à l’État de les rendre accessibles [lire l’encadré ci‐dessous], Mediacités est parti sur la trace de ceux noircis par les Lyonnais. Petit cahier à spirales pour la mairie du 1er arrondissement, grand cahier avec un intercalaire par thème (« la fiscalité et les dépenses publiques », « la transition écologique », etc.) pour la mairie du 3e arrondissement ou encore une épaisse pochette jaune de feuilles volantes pour la mairie centrale : nous avons retrouvé les doléances de la ville soigneusement rangées dans des cartons des archives départementales. Soigneusement enfouies ?

Colère et espoirs

Le vaste exercice démocratique et populaire – plus de 200 000 contributions rédigées à la main et 500 000 via la plateforme mise en ligne par le gouvernement -, inédit depuis la Révolution française, n’a donné lieu à aucune restitution ou exploitation politique. Alors que le chef de l’État devait annoncer « les premières mesures concrètes » issues du « grand débat » le 15 avril 2019, Notre‐Dame de Paris brûle le jour même. Emmanuel Macron reporte son allocution et les cahiers de doléances tombent peu à peu dans l’oubli derrière les flammes qui ravagent la cathédrale.

Pourtant, leur lecture reste d’une actualité brûlante alors que les crises sociales s’enchaînent : mobilisation contre la réforme des retraites, émeutes urbaines suite à la mort du jeune Nahel, manifestations « ras‐le‐bol » des agriculteurs… pour ne s’en tenir qu’aux derniers mois. Comme l’illustre Les doléances, un documentaire d’Hélène Desplanques actuellement diffusé en salle, les contributions de 2019 racontent la colère tout autant que les espoirs des Français.

Ils constituent aussi une inestimable photographie d’une partie de l’opinion et un riche catalogue de propositions politiques à tous les échelons. C’est le cas des dix cahiers lyonnais – un par arrondissement, plus celui de la mairie centrale – et de quelques autres des communes de la Métropole que nous avons épluchés [lire l’encadré En coulisses].

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Les cahiers de doléances lyonnais. Photo : N.Barriquand/Mediacités.

« Et je suis bien loin de gâter mes trois petits‐fils »

« Il est urgent de redresser la barre, la France va à sa perte. Les gilets jaunes sont un échantillon mais la révolution est latente », prévient Christiane D., 70 ans, qui se présente comme « retraitée » et « veuve » dans sa doléance versée au cahier de la mairie centrale. Le constat saute aux yeux : pour « redresser la barre », nombre de contributions partagent les mêmes propositions. « On en retrouve beaucoup d’un cahier à l’autre, d’un territoire à l’autre, confirme la députée écologiste Marie Pochon, élue dans la Drôme, à l’initiative d’une résolution pour mettre en ligne les doléances [lire l’encadré ci‐dessous]. On a plein de mesures en commun, une sorte de programme de gouvernement sous la main. »

Première proposition très répandue : le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), supprimé par Emmanuel Macron le 1er janvier 2018, quelques mois avant le début du mouvement des gilets jaunes. « Revoir l’ISF car le ruissellement ne marche pas, les premiers de cordée ne jouent pas le jeu », écrit ainsi Noël M. dans une liste de 14 « propositions citoyennes ». D’une façon générale, la fiscalité est abordée dans de nombreuses doléances, qu’il s’agisse de redéfinir les tranches de l’impôt sur le revenu ou de taxer les Gafam, les géants d’Internet. « Amazon, Google… qui ruinent le commerce ! », s’agace un habitant du 3e arrondissement.

Indexer les retraites

Les retraités, particulièrement représentés dans les cahiers consultés, plaident aussi pour une suppression de la contribution sociale généralisée (CSG). « Stopper la CSG pour les retraités », réclame Dominique A., dans le cahier du 9e arrondissement, comme un slogan. Le taux de cet impôt varie selon le montant de la pension et les plus basses en sont exonérées.

L’indexation des retraites sur le taux d’inflation revient par ailleurs comme un leitmotiv. « Je vois mon pouvoir d’achat baisser chaque année, ce n’est pas normal », déplore G.I., dans le 6e arrondissement. « Quarante ans et six mois de travail en métallurgie. Salaire retraite : 1 034 euros par mois, écrit un autre Lyonnais dans le cahier du 8e arrondissement. Tout payé, il ne me reste pas grand‐chose pour finir les mois – ni vacances, ni ciné, ni soldes – et je suis bien loin de gâter mes trois petits‐fils. »

« Publier les doléances serait une façon de dire aux Français qu’on les écoute »

Le 13 janvier dernier, 16 députés de sept groupes politiques (de La France insoumise au MoDem) ont déposé une proposition de résolution visant à « la publicisation des doléances du grand débat national ». En clair, ces parlementaires invitent le gouvernement à tenir la promesse formulée en 2019 de rendre accessibles en ligne, et donc au plus grand nombre, les fameux cahiers. « Ces écrits, citoyens, politiques, ne peuvent être occultés du débat public. Faire comme s’ils n’avaient jamais existé ou qu’ils n’avaient guère de valeur probante ne peut qu’abîmer notre République », exposent‐ils dans les motifs de leur résolution.

« Les gens ont mis une partie d’eux-mêmes, du temps, de l’énergie et du cœur dans ces cahiers. Nous demandons que le gouvernement reconnaisse la richesse de ce fonds d’archives, défend la députée de la Drôme Marie Pochon (EELV), à l’initiative de la résolution. Au lieu de cela, il y a une volonté non dite de poser un couvercle là‐dessus. » Officiellement, le gouvernement se retranche derrière le coût et les problèmes techniques que poserait l’anonymisation des cahiers. 80 % des doléances seraient pourtant déjà numérisées et centralisées aux archives nationales.

« Alors qu’on vit un tel moment de fracturation de notre société, publier les doléances serait un symbole, une façon de dire aux Français qu’on les écoute », veut croire Marie Pochon. La députée espère réussir à inscrire le vote de sa résolution à l’agenda de l’Assemblée nationale d’ici à l’été prochain. 

« Petit mémorandum »

Reconnaissance du vote blanc, instauration du Référendum d’initiative citoyenne (RIC), diminution du nombre de parlementaires (300 députés contre 577 actuellement ; 150 sénateurs contre 348) voire suppression du Sénat, passage à la VIe  République, application du mandat unique… Les rédacteurs des cahiers lyonnais se sont aussi largement emparés des questions institutionnelles.

Dans un « petit mémorandum » de cinq pages, Dominique Henry, habitant de Saint‐Rambert, dans le 9e arrondissement, propose par exemple de « rendre, par la loi, chaque collectivité responsable du choix de la date à laquelle sera renouvelée l’assemblée délibérante, dans le respect de règles nationales sur la durée des mandats ». Une façon d’éviter que les élections locales soient « dénaturées dans leur finalité » par des considérations nationales, soutient‐il.

Au fronton des mairies

L’écologie et l’immigration sont deux autres thématiques omniprésentes dans les doléances. Au rayon de la première, on retrouve l’interdiction du glyphosate. « En finir avec les lobbies de la chimie. Protéger les abeilles », exhorte un contributeur dans le cahier du 7e arrondissement. Quelques pages plus loin, un autre habitant « demande que le mot écologie soit rajouté au fronton des mairies ». Sans se faire d’illusion : « Utopie me direz‐vous puisqu’il [le mot écologie] est le grand absent de tous les débats. »

« Arrêtons d’empiéter sur les terres agricoles, avant qu’une éventuelle pénurie de récolte ou disette ne survienne », écrit encore, à la main, une femme de 77 ans qui « ne sai[t] pas se servir d’un ordinateur – navrée ! » et signe « RB ». 

Bien moins consensuelle, la question de l’immigration revient très souvent dans les doléances. D’un côté, ceux qui veulent « contrôler le flux d’immigrants », selon les mots de Jacques P., habitant du 6e arrondissement. « Il faut être humain mais la France ne peux pas accueillir le monde entier », pense Mme G., dans le cahier du même arrondissement. « Plus aucun immigré ne doit entrer en France tant qu’un Français dormira dans la rue », ajoute un habitant d’Oullins en soulignant le mot « Français ».

D’un autre côté, des contributions s’insurgent contre le sort des migrants, comme cette question posée dans le cahier du 7e arrondissement : « Jusqu’à quand va‐t‐on laisser des gens mourir dans la Méditerranée ? (…) Chacun de nous aurait pu naître dans un pays où règne la faim, la misère, la pauvreté, la guerre. »

« Supprimer la taxe sur la flûte en boulangerie »

Pêle‐mêle, la renationalisation des autoroutes, la lutte contre l’évasion fiscale ou le blocage des prix complètent la panoplie des mesures largement partagées. Emmanuel B., dans le cahier du 1er arrondissement, suggère par exemple « d’assurer un pain de base aux Français ». Concrètement ? « Supprimer la taxe sur la flûte en boulangerie » et « forcer les boulangers à ne pas monter les prix au moment de la suppression de ces taxes en bloquant les prix ».

Dans les cahiers lyonnais, on retrouve aussi une même lettre dupliquée plus d’une dizaine de fois, parfois recopiée à la main au mot près, en faveur d’une « légalisation de l’aide active à mourir ». « Nul aujourd’hui n’ignore que l’on meurt mal dans notre pays », soulignent ces contributions qui citent les Pays‐Bas, la Belgique ou le Canada comme des exemples à suivre pour légiférer sur l’euthanasie.

Doléance pré‐rédigée

Renseignement pris, ce texte émane de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). Celle‐ci le proposait en téléchargement depuis son site Internet. Une doléance pré‐rédigée en quelque sorte et toujours d’actualité : Emmanuel Macron tergiverse encore sur les contours d’une loi sur la fin de vie, promise pendant sa dernière campagne électorale.

À l’inverse, d’autres associations, syndicats ou collectifs ont directement participé à l’exercice des cahiers : la Maison des artistes SMDA‐CFDT, le conseil de quartier de la Guillotière, l’Adapei 69, l’Union sociale pour l’habitat (fédération d’offices HLM), l’association de défense des contribuables Canol (aujourd’hui dissoute) ou encore… la paroisse Saint Jean‐Paul II de Gerland. Cette dernière a adressé à la mairie de Lyon son compte rendu d’une « soirée de réflexion citoyenne ». Il y est question de la « baisse du désir d’engagement » ou du « sentiment d’être ignoré dans sa citoyenneté par les élites mondialisées ».

Le magnolia de la place Ampère

D’autres doléances sont plus terre à terre, ancrées dans le contexte local. « Revoir la concession Rhônexpress », note ainsi Denis C. dans le registre de la mairie centrale. Vœux exaucé : le Sytral, syndicat des transports en commun, a résilié le contrat décrié qui le liait au groupe Vinci pour l’exploitation de la navette ferroviaire entre la Part‐Dieu et l’aéroport Saint‐Exupéry en février 2020. « La mise en place du compostage dans les zones urbaines » réclamée par cet autre contributeur est également devenue concrète avec le déploiement par la métropole de Lyon de bornes à compost

Parmi les doléances sur des enjeux locaux, si la gratuité des TCL est évoquée à plusieurs reprises, certains versent dans l’hyper-local. « A‑t‐on prévu des WC publics au clos Jouve ? », demande un habitant de la Croix‐Rousse, dans le cahier du 4e arrondissement. Les trottoirs de Saint‐Jean seraient trop « glissants en raison des feuilles tombées à l’automne non ramassées », déplore Evelyne L., qui a envoyé par mail sa contribution un vendredi à 5h54 du matin.

Dans le quartier d’Ainay, Gilles S. se dit lui « scandalisé que le maire du 2e arrondissement, en son domaine, n’ait pas empêché  l’abattage du bouleau et du magnolia, place Ampère. (…) Ils étaient un lieu d’abris et de nidification pour les oiseaux du quartier. »

« Je savais que je n’allais pas reconstruire le monde avec ma doléance »

Qui a participé aux cahiers de doléances ? Impossible de définir un profil‐type de contributeur. Mais les indices et les confidences laissés par les uns et les autres témoignent de la diversité des personnes qui ont participé à l’exercice. Dans le cahier du 2e arrondissement, un certain Alain D., « docteur en Droit », a agrafé sa carte de visite à sa doléance. Dans celui du 4e arrondissement, un intermittent du spectacle confie en avoir « assez de [s]e sentir traité de fainéant ou d’assisté ».

« Je suis fonctionnaire, mon salaire est de 1 150 euros, mes allocations familiales sont de 130 euros, mon mari touche une retraite de 400 euros, nous avons deux enfants (une fille de 11 ans et un garçon de 9 ans). (…) Financièrement, tous les mois, c’est la difficulté. Je n’y arrive plus », témoigne de son côté Nasima N., dans le cahier de la mairie centrale.

Comme mentionné plus haut, de nombreux contributeurs sont retraités. C’est le cas de Gérard V.. Dans le cahier de Bron, il développe ses doléances sur 11 pages : « J’ai 74 ans et je profite que la parole nous soit donnée pour m’exprimer sur moult sujets. » « J’ai commencé à travailler à l’âge de 16 ans, en apprentissage, à une époque où les 35 heures n’existaient pas », précise‐t‐il encore.

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Extraits du cahier de doléances de la mairie du 4e arrondissement de Lyon. Photo : N.Barriquand/Mediacités.

La contribution d’une sénatrice

Ce même cahier de Bron contient aussi la doléance d’une certaine Annie Guillemot. L’ancienne maire socialiste de la ville, sénatrice au moment du « grand débat national », plaide pour « rétablir l’équité fiscale » et pour le retour de l’ISF. « Seule l’organisation d’un “Grenelle” pourra nous permettre de sortir par le haut de cette crise violente que trop d’arrogance a malheureusement amplifié », soutient‐elle dans un mot écrit à la main. « J’ai toujours pensé que les parlementaires étaient des citoyens comme les autres et qu’on devait aussi participer aux cahiers de doléances, revendique‐t‐elle, quand nous l’interrogeons cinq ans plus tard. Mais j’étais déjà persuadée à l’époque que tout cela n’allait servir à rien ».

Même fatalisme de la part de Dominique Henry, l’auteur du « petit mémorandum » de cinq pages repéré dans le cahier du 9e arrondissement. Pour ce haut‐fonctionnaire, que Mediacités a retrouvé, « le bilan [du grand débat] est nul ou quasi‐nul ». Pour autant, « cela ne veut pas dire que la méthode, au moins au départ, était mauvaise, analyse‐t‐il. Ce qui a fait défaut, c’est que les responsables n’ont pas prévu l’exploitation politique, au bon sens du terme, de ces propositions. Il aurait par exemple fallu nommer un haut‐commissaire aux cahiers de doléances. »

Il poursuit : « Je savais que je n’allais pas reconstruire le monde avec ma doléance, mais j’ai pensé que ça pourrait servir à quelque chose, si, avec un peu de chance, cela tombait sous un œil averti. »

Alimenter la défiance 

Pour un contributeur philosophe, combien d’autres désabusés ou aigris par cet exercice démocratique qui a tourné court ? Les pages des cahiers transpirent déjà la défiance qu’une partie des Français nourrissent à l’égard de leur dirigeants. « Vous êtes le détonateur et l’incendiaire d’une crise sans précédent », tance un ancien policier d’Oullins en s’adressant à Emmanuel Macron. « Si vous étiez mon fils, j’aurais honte de vous », lui assène carrément un retraité de Jonage.

Cette colère sourde résonne à travers les nombreuses propositions pour abolir les avantages – « les privilèges », écrivent beaucoup – des responsables politiques : « Arrêter de payer les anciens présidents trop vieux et trop coûteux », « supprimer le statut de la première dame », « réduire le train de vie du président de l’Assemblée nationale ». « À l’étranger, exemple en Allemagne, Madame Merkel paie bien son eau, son électricité et se déplace en toute simplicité », croit savoir B.F., dans le cahier du 6e arrondissement.

L’absence de débouché politique des doléances de 2019 n’a pu qu’alimenter la défiance que manifestaient déjà certains Lyonnais en les écrivant. « Monsieur le président de la République française, c’est une occasion idéale de pouvoir s’exprimer librement, louait Philippe D., dans le cahier du 9e arrondissement. Mais j’ai un doute, très fort même, que nous puissions être vraiment entendus et écoutés. » « Je ne suis pas surpris par cet élan de colère, confiait ce contributeur. Elle ne s’arrêtera pas. »

Cote 5545W79,  cote 5545W80, cote 5545W81… Voici les petits noms des cahiers de doléances de Lyon aux archives départementales du Rhône. Les contributions locales au « grand débat national » de 2019 dorment dans des cartons gris foncé qu’on referme à l’aide de rubans, eux‐mêmes rangés dans les réserves de l’édifice à la façade dorée qui donne sur l’esplanade Nelson Mandela, dans le quartier de la Part‐Dieu. Pour les consulter, il faut d’abord s’enregistrer (gratuitement) auprès des services des archives, laisser son manteau et son sac au vestiaire, puis « commander » sur un des postes informatiques des lieux les documents qu’un archiviste ira exhumer.

Pour cet article, j’ai passé en revue les cahiers des neuf mairies d’arrondissement de Lyon, ainsi que « le cahier » de la mairie centrale (en réalité, une pochette à élastiques). Chacun d’eux compte plusieurs dizaines de contributions : 42, dans le cahier du 7e arrondissement ; 65, dans celui du 8e arrondissement. Les doléances peuvent varier de quelques lignes écrites au stylo bille à plusieurs pages dactylographiées, agrafées ou collées sur les pages. Certains mots sont illisibles, d’autres sont annotés en rouge, pour insister sur les passages importants aux yeux de l’auteur.

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Les archives départementales du Rhône. Photo : N.Barriquand/Mediacités.

J’ai poursuivi ma plongée dans les doléances de 2019 en parcourant les cahiers de quatre autres communes de l’agglomération, de tailles diverses : Villeurbanne, Bron, Oullins et Jonage. De façon surprenante, le cahier de Villeurbanne, deuxième commune la plus peuplée du département, ne contient qu’une douzaine de contributions, soit moins que les 13 doléances du grand cahier Clairefontaine de Jonage, 6 000 habitants. À Oullins comme à Bron, les doléances ont été rassemblées à l’aide de reliures plastiques à spirales.

Certains contributeurs ont laissé leur nom et prénom à côté de leurs écrits, d’autres de simples initiales. D’autres mots encore sont seulement signés. Par souci de préserver l’anonymat des auteurs, nous avons fait le choix de ne mentionner dans notre article que leurs prénoms et l’initiales de leurs noms de famille, à l’exception de ceux avec lesquels nous avons échangé.

Si certaines doléances s’adressent directement à Emmanuel Macron – « Monsieur le président… » – quelques‐unes interpellent le maire de Lyon de l’époque, Gérard Collomb donc. Dans le cahier de Villeurbanne, j’ai aussi découvert une version remaniée du Déserteur de Boris Vian : « Monsieur le président / Je vous fais une lettre / Que vous lirez peut‐être / Si vous avez le temps / (…) Chacun est sur le net / N’ayant pas internet / J’ébauche un document / (…) Si vous le butinez / Quelques idées prenez… »

Les cahiers contiennent leur lot de propositions iconoclastes (« la réouverture des bagnes et des pénitenciers ») ou anecdotiques (« pour les propriétaires de chien, ramasser les déjections »). Mais au fil de mes lectures aux archives, j’ai été frappé par la qualité d’un grand nombre de doléances. Elles fourmillent de propositions argumentées et de précieux témoignages personnels.

La force de certains textes ou leur précision indiquent que leurs auteurs ont pris au sérieux l’appel au « grand débat national » lancé par Emmanuel Macron. Les cinq années qui nous séparent de leur rédaction ont démontré que la réciproque n’était pas acquise… D’où un immense sentiment de gâchis au moment de refermer ces cahiers de doléances.

  • Il serait intéressant de comparer ces cahiers de doléance avec ceux de 1789 ! Un petit livre constitue une intéressante entrée en matière :  » 1789 les français ont la parole  » cahiers des Etats Généraux présentés par Pierre Goubert et Michel Denis collection archives Editions Gallimard/Julliard 1973. Un mot y revient en leitmotiv : « abus » . C’est moins le Pouvoir qui y est remis en cause mais les innombrables abus de pouvoir qui sapaient les bases de l’Ancien Régime et font fini par provoquer sa chute. C’est moins Louis XVI qui est critiqué que le roi Pétaud ! Aujourd’hui, dans le domaine des activités culturelles par exemple, l’actualité montre que c’est moins le pouvoir du ministère de la Culture qui est contesté que celui de hiérarques cherchant à faire revivre le droit de cuissage !

    JLM

  • Merci pour ce travail de fourmi. Ces participations ne sauraient être ignorés, à moins qu’elles soient déjà trop connues et donc… enfouies. Ils ne doivent pas nous désespérer de la démocratie participative comme ils nous désespèrent de la démocratie représentative. Merci de mettre le nez là où certains ne le veulent pas.

  • Merci une fois de plus pour cet article.
    Il nous informe sur le fait qu’à défaut d’avoir été prises en compte (quelle mascarade …), on peut au moins consulter les cahiers manuscrits dans les archives locales, ce qui pourra intéresser journalistes, historiens, sociologues.
    Mais comment consulter les doléances déposées sur Internet ? J’avais eu la faiblesse d’y déposer la mienne, sont‐elles disparues à tout jamais ?

  • La réalisatrice Hélène Desplanques et Fabrice Dalongeville – Maire d’une commune de l’Oise qui a organisé la rédaction de ces cahiers de Doléances dans sa commune ont produit une émission intitulée « Les Doleances » diffusée sur FR3 le 8 février et disponible sur France.tv depuis le 9/02 … Informations tirées du Télérama n°3864 du 31/01/2024 p.26/27 … y aurait il émulation dans les médias 

  • Très bonne initiative.
    Les méthodes de gouvernement (de gouvernance/management) sont toujours les mêmes (blablabla cachant le vide). La plupart de leurs initiatives ne sont que fausses, de la communication, ne débouchent sur rien ou sont neutralisées par des dérogations.
    Le but étant de garder les choses en état, de maintenir une domination sociale et de permettre de continuer les exploitations, la recherche constante et générale de profits pour une minorité.

  • Bonjour , merci infiniment pour cet article ! Y en aura t il d’autres sur le même sujet , à partir des mêmes cahiers ( ou élargis à la métropole /Rhone si vous avez des bras?) et peut être pour rentrer dans les détails de chaque thématique abordée ?
    Intéressée aussi pour savoir comment vous avez travaillé ? ( tableau classifiant thématiques abordées , profil du contributeur…?)
    En tout cas c’est déjà sacrément intéressant. Merci

    • Bonjour,
      Merci beaucoup pour votre commentaire. Nous avons commencé à nous pencher sur les cahiers de doléances dans les autres villes d’implantation de Mediacités (Nantes, Toulouse et Lille), mais pour le moment, nous n’avons pas prévu d’éplucher les cahiers de toutes les communes du Rhône. Ce serait bien sûr passionnant et instructif mais cela représenterait un travail colossal.
      Ceci dit, nous allons prolonger la publication de notre article sur les cahiers lyonnais par une soirée ciné‐débat le mercredi 3 avril prochain, autour du documentaire Les Doléances, d’Hélène Desplanques (https://lesdoleances.fr/). La projection aura lieu au ciné L’Aquarium, à la Croix‐Rousse, et sera suivie d’un échange entre le public et des invités. Nous communiquerons très prochainement sur cette date, mais n’hésitez pas à déjà réserver votre soirée !
      Pour répondre par ailleurs à votre question sur la préparation de cet article, effectivement, au fur et à mesure de la lecture des cahiers, j’ai classé des extraits des contributions par thématiques (fiscalité‐coût de la vie, démocratie, environnement, enjeux locaux, etc.). Il était beaucoup plus difficile de déterminer les profils des contributeurs car nombre d’entre eux n’ont laissé qu’un nom ou un prénom, même si, comme signalé dans l’article, beaucoup écrivent être retraités.
      Bien cordialement,
      Nicolas Barriquand / Mediacités

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Par Nicolas Barriquand