Assise au bout d’une longue table boisée dans les anciens bains‐douches de l’allée Baco, Johanna Rolland est entourée de ses dix apôtres. Les plus importants l’entourent directement ce 13 novembre. À sa gauche, son adjointe écolo‐radicale Marie Vitoux, qui a officialisé il y a un mois son alliance dès le premier tour avec la sortante socialiste. À sa droite, son adjoint communiste Robin Salecroix qui, sans surprise, a fait de même dans la foulée.
Les dix parleront par ordre d’importance à la suite de la maire (PS) de Nantes. Un premier indicateur de leur poids dans la future majorité, en cas de victoire en mars prochain. Une hypothèse dans laquelle certains se projettent déjà tant « La Gauche unie pour Nantes » fait figure de liste favorite du scrutin municipal. Et pour cause : alors qu’au niveau national la gauche n’en finit pas d’attiser ses divisions, à Nantes elle a rarement été aussi unie. « Les négociations ont été bien plus faciles qu’en 2020 », confirment même plusieurs acteurs. Très loin, donc des tensions d’il y a cinq ans, quand il avait fallu attendre l’entre-deux-tours pour prendre enfin une photo de famille, encore très crispée.
En s’alliant à Johanna Rolland, les écologistes choisissent la sécurité électorale
« Socle électoral » et « réserves d’électeurs » à gauche
« C’est une union nécessaire attendue des Nantaises et des Nantais », estime aujourd’hui Johanna Rolland, qui cajole sa gauche. « Si nous avons l’amour de Nantes, nous savons que le quotidien peut être difficile. (…) Notre projet est un projet de lutte contre une certaine marchandisation de la société », résume la socialiste, qui brigue un troisième mandat, après les trois mandats et demi exercés par son mentor, Jean‐Marc Ayrault (1989–2012).
Pour le politologue Arnaud Leclerc, l’enjeu central pour Johanna Rolland est justement « sa capacité à coaliser à gauche, notamment les électeurs écologistes ». « Il est difficile de la mettre en danger avec son socle électoral et ses réserves de voix. La droite part de très loin », juge le professeur de sciences politiques à Nantes Université. L’addition des voix de gauche se situe aux alentours de 50–60 % au premier tour des municipales depuis les années 1990 à Nantes (31,36 % pour le PS et 19,58 % pour les écologistes en 2020) [voir infographie ci‐dessous].
Pour autant, la photo de famille 2026 n’est pas tout à faut complète. Reste un grand absent : La France insoumise. « J’ai toujours dit qu’il n’y aurait pas d’accord car ils ne veulent pas », concède Johanna Rolland. Pas question pour autant de froisser les électeurs insoumis. « Je n’ai qu’un seul adversaire : la droite et l’extrême droite », explique ainsi la socialiste à Mediacités. Pas de quoi contenter le parti mélenchoniste. Éconduit par les écologistes en octobre, son co‐chef de file nantais, William Aucant (déjà fragilisé), prône désormais une « rupture » avec « la politique conduite par les socialistes depuis trois décennies ».
« Un candidat rétrograde, des fractures et du déclin »
Au Grand bain (le nouveau nom des bains‐douches) les grandes propositions, négociées par Johanna Rolland avec les Verts, sont de nouveau égrainées : 60 % de la production de logements neufs sera accessible aux classes modestes et moyennes ; doublement des pistes cyclables ; gratuité des transports en commun étendue aux plus modestes. Deux petites nouvelles promesses sont émises. L’ouverture d’une Maison des enfants, d’abord, inspiré de Citadelles, ce lieu d’accueil pour les femmes victimes de violences ouvert à Nantes depuis 2019. La mise en ligne d’une plate‐forme dédiée aux mamans solo, ensuite. Bien maigre. « Ce n’est pas encore le temps du programme ni de la liste », tempère Johanna Rolland, en mode pilote automatique.
Ces derniers mois, la numéro 2 bis du PS a confié à plusieurs reprises à Mediacités avoir « hâte d’en découdre ». La voilà qui monte (enfin) sur le ring pour lancer véritablement sa campagne. Un signe ne trompe pas : sans même prononcer son nom, elle pointe désormais son adversaire, le candidat LR Foulques Chombart de Lauwe.

« Un candidat bien bien à droite, loin de l’esprit humaniste des Nantais », estime Johanna Rolland. « Là où il dénigre, nous voulons rassurer et protéger. Là où il veut défaire, nous voulons faire. Deux visions s’opposent. D’un côté un candidat rétrograde, des fractures, du déclin et du démantèlement de Nantes. De l’autre, un projet de justice et d’espoir », enchaîne‐t‐elle.
Chacun y va ensuite de sa petite phrase visant le conseiller municipal Les Républicains. « [Il] veut faire basculer la ville dans des endroits que nous ne souhaitons pas », estime l’alliée écologiste Marie Vitoux. « Nous incarnons un pôle d’espoir, de résistance et de stabilité… », embraye le communiste Robin Salecroix.
Avant que l’élu UDB (Union démocratique bretonne) Aurélien Boulin Fournier ne complète : « Il faut s’unir face à l’obscurantisme des droites. Nous avons un candidat qui reprend des stéréotypes racistes et la rhétorique de l’extrême droite ». Le candidat du RN Jean‐Claude Hulot, qui vise une entrée inédite depuis 1995 au conseil municipal nantais, ne sera cité qu’à une seule reprise par Johanna Rolland et ses apôtres.
Le RN parachute un parfait inconnu pour les municipales à Nantes
Le renouvellement attendra
Une assemblée qui ne respire pas le renouvellement. Sur ses onze membres, neuf siégeaient dans la majorité sortante, parfois même comme adjoints. Ils se nomment Elhadi Azzi (Génération écologie), Aziliz Gouez (Territoires 44), Marlène Collineau (L’Après), Séverine Figuls (Parti animaliste) ou Gildas Salaün (Parti radical de gauche), représentant de petits partis de gauche qui ont fait leur (petit) trou localement.
Les nouveaux venus (éligibles) sont issus de formations créées plus récemment : Place publique et Debout !. Ils sont respectivement représentés par Gaspard Florin‐Camagna – un étudiant en droit vu pendant la pré‐campagne de Johanna Rolland – et Marc Letourneux, conseiller en mobilité urbaine.
« La moitié de ces partis sont inconnus même de ceux qui suivent la politique. Et l’autre moitié essaye simplement de survivre en étant des toutous du PS. Ça fait peur », réagit‐on dans l’entourage de Foulques Chombart de Lauwe. Le candidat LR a annoncé, 48 heures après la conférence de presse de son adversaire, le soutien de l’élue centriste Sarah El Haïry. Jouant lui aussi la partition de « l’unité », mais dans l’opposition.
Foulques Chombart de Lauwe : le franc‐tireur de la droite qui veut « dégager » Johanna Rolland
Est‐il sage de raisonner à partir des résultats des municipales de 2020 ? Le paysage politique a considérablement évolué depuis lors : délitement du macronisme, score ridicule de la candidate PS à la présidentielle de 2022 (directrice de campagne : Johanna Rolland), forte progression du RN, etc. Et surtout, le taux d’abstention colossal de 2020 rend toute extrapolation aléatoire. Au jugé, on se dit que les macronistes n’ont aucune chance de retrouver leurs résultats d’alors. Les élections législatives de 2024 fournissent des indications plus actuelles, en particulier pour le RN : moins de 5 % en 2020, environ 15 % en 2024. Il est bien possible que le principal atout de Johanna Rolland soit la haute probabilité d’une présence RN au second tour, surtout compte tenu du recentrage macroniste de la liste de M. Chombart de Lauwe.