L’élection des présidents dans les métropoles : la démocratie confisquée par les élus

Les désignations à huis-clos des présidents des intercommunalités ont consacré les mécanismes de confiscation de la démocratie locale par les élus à un point jamais atteint, estime Fabien Desage, maître de conférence en sciences politiques à l’Université de Lille.

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En France, les pouvoirs métropolitains se sont développés à l’abri des regards des citoyens, estime l'universitaire Fabien Desage. Illustration: Jean-Paul Van der Elst.

Il y a près de 10 ans, avec David Guéranger, nous publiions un ouvrage consacré à l’histoire et au fonctionnement des intercommunalités en France, avec un titre volontairement interpellant : « La politique confisquée ». Loin d’être polémique, ce dernier soulignait, sur la base de recherches rigoureuses menées durant de nombreuses années selon les canons scientifiques en vigueur, combien les pouvoirs métropolitains en France s’étaient développés à l’abri des regards des citoyens, donnant lieu à des compromis entre élus locaux, à bonne distance des procédures démocratiques. Nous montrions que loin d’être provisoires, ces « consensus métropolitains » faisaient désormais partie de l’ADN de ces structures, partout en France, et qu’ils étaient souhaités si ce n’est désirés par des élus locaux s’accommodant fort bien de cette distance avec le peuple.

Ces « consensus communautaires » ne sont pas le résultat d’accords sur les objectifs de l’action publique ou de la volonté de dépasser les « logiques politiciennes », mais en sont au contraire l’expression la plus pure. Ils traduisent l’autonomisation croissante des logiques d’action des représentations par rapport à l’élection. Au sein des intercommunalités, les élus municipaux à peine élu.es scellent ainsi des « pactes de non‐agression » avec leurs adversaires d’hier, qui n’ont pour seule fin que de préserver leur pré‐carré communaux et de leur permettre de négocier la répartition des ressources intercommunales à l’abri des regards.

Une logique de consensus paralysante

Ces ressources intercommunales sont pourtant colossales. Aujourd’hui, disons le sans ambages, les établissements intercommunaux concentrent l’essentiel des moyens d’investissement au niveau local, indispensables pour faire face aux défis de l’avenir, sur les plans social, sanitaire, économique et climatique. Mais les consensus entre élus, loin d’augmenter la capacité d’agir de ces instances, ont pour effet de les paralyser, de les empêcher de faire des choix qui soient autre chose que des plus petits dénominateurs communs. Des « non choix » en somme, à un moment où les arbitrages sont essentiels.

Tout cela est fort bien démontré par tous les chercheurs qui s’intéressent à ces structures. Ainsi, aucune métropole, en dépit des nombreuses réformes de la loi NOTRe en passant par la loi MAPTAM, n’est parvenue à freiner la consommation des terres agricoles, à lutter contre la hausse de la pollution atmosphérique ou contre les logiques ségrégatives croissante au sein des espaces urbains. Autant de maux, qui menacent nos villes de grands périls. 

Les désignations à huis‐clos des présidents des métropoles cette dernière semaine ont consacré les mécanismes de confiscation de la démocratie locale par les élus, à un point jamais atteint. Jusqu’à l’indécent, dans un contexte où chacun se sentait obligé de proclamer qu’il ou elle avait tiré les leçons des échecs du « monde d’avant »…

Farce tragique

Ainsi de Martine Vassal ou de Patrick Ollier, réélus président.es de leurs métropoles respectives d’Aix-Marseille-Provence et du Grand‐Paris, en dépit des évolutions électorales et, surtout, de leur délégitimation électorale évidente. Défaite à Marseille, Martine Vassal, la mal nommée, continue d’être « primus inter pares ». Pour être réélu.es, ces sortants ont noué des accords partisans incompréhensibles pour le quidam, qui contribueront, outre les accusations de collusion, à favoriser l’immobilisme de ces structures et leur incapacité à faire face aux défis essentiels de gouvernement des villes.

Au sein de la métropole européenne de Lille, La 4ème du pays en importance, qui compte 1,2 million d’habitant.es, l’élection du président a tourné à la farce. Une farce tragique pour cette agglomération, la plus inégalitaire de France  après… les agglomérations parisienne et marseillaise ! (d’après les travaux du collectif Degeyter). En dépit de sa mise en examen pour « trafic d’influence passif » et « complicité de favoritisme » dans l’affaire du grand stade, d’enquêtes en cours relatives à des abus de biens sociaux, le président sortant, maire de droite d’une petite commune de la MEL – a en effet été largement et facilement réélu à la tête de l’institution, avec le soutien du groupe des socialistes et apparentés (avec Martine Aubry à la manoeuvre), de plusieurs élus LR (dont le maire de Marcq‐en‐Baroeul) et le cortège des maires « sans étiquette » des communes périurbaines.

Plus encore sans doute, c’est l’absence totale de débat lors de la campagne autour de la position pourtant préparée de longue date de Martine Aubry et des élus de son groupe qui interpelle et éclaire la vraie nature des compromis faustiens métropolitains. Certains observateurs se rassurent – à tort – en voyant dans le soutien des maires de Tourcoing et de Roubaix à un autre candidat le signe de la « fin du consensus ». C’est bien mal connaître le fonctionnement de ces instances que de le croire. 

Faut‐il rappeler que ces maires de droite de Tourcoing et de Roubaix ont été des soutiens directs du président Castelain et de la MEL durant le précédent mandat ? Qu’ils ont voté le choix de la location de longue durée du nouveau siège – le « Biotope » – récemment étrillé par la Chambre régionale des comptes, comme la quasi‐unanimité des conseillers communautaires, avant de se rétracter pour une partie d’entre eux quand il était trop tard.

Défaut de politique redistributive

Comme toujours, dans cet espace en permanence « confiné » que constitue le conseil métropolitain, les opposants d’aujourd’hui seront les soutiens discrets de demain. Si d’aventure le président Castelain devait quitter ses fonctions forcé à le faire par la justice ce qui n’est pas improbable, on peut parier que les « contestataires » rentreront dans le rang et soutiendront la formation d’un exécutif consensuel élargi, qui leur permettrait de réassurer leur position, au détriment des intérêts des habitants de leurs communes.

Parce qu’il faut le rappeler avec force : si les maires des grandes villes trouvent opportun de rallier la majorité de la MEL pour défendre le soutien de cette dernière à leurs « grands projets » contestés (à l’image de Saint‐Sauveur pour Martine Aubry à Lille), c’est au détriment des intérêts d’une grande partie de leur population. Majoritairement peuplées par les classes populaires, Lille, Roubaix et Tourcoing sont les territoires dont les habitants perdent le plus à des compromis avec les élus des communes périurbaines et/ou privilégiées, qui empêchent toute politique réellement redistributive à l’échelle intercommunale qui tiendrait compte de ces inégalités et tenterait de les résorber.

De la sorte, ces maires de grandes villes déjà si mal élus (moins de 15% des inscrits) nourrissent l’indifférence voire la défiance des citoyens à leur égard, à l’égard des institutions politiques, et creusent un peu plus la tombe de la démocratie locale, en même temps que la leur et que la nôtre…

  • Formidable. Désolant. Je fais partie des abonnés Toulousains qui prennent grand plaisir à lire ce qui se passe dans les autres Mediacites. C’est aussi une manière de ressentir une redaction. Une ville, une façon de faire de la politique.
    Cet article passionnant est déjà un miroir tendu et cruel pour nous ‚citoyens contribuables vers ce qui se passe dans ces assemblées où la cooptation de fait remplace la désignation par un vote à bulletin secret.
    C’est bien là « – jusqu’à l’indécence » dites vous si cruellement si justement – qu’on nous confisque notre droit à la pratique libre de notre citoyenneté. Choisir qui va parler pour nous, qui nous ressemble, nous trace et ne nous caricature pas.… je crains le pire à Toulouse. Je retiens déjà votre terrible “jusqu’à l’indécence » et je nous l’applique„;car je sais la tambouille médiocre qui a sous‐tendu le pacte Moudenc et une partie infime du En Marche local totalement discrédité actuellement aux yeux des militants. Les lettres à Paris pleuvent sur Monsieur Guerini. On ne veut plus entendre parler des soldats de la médiocrité agissante Moudenc Portarrieu qui risque arriver dans quelques heures au sommet de la Metropole toulousaine Cet article nous éclaire et nous fait mal. Aux armes citoyens !

  • Tout cela donne raison au Lillois décédé) Alain Etchegoyen, qui fut tout de même commissaire au plan, quand dans son livre « La démocratie malade du mensonge » il écrit :  Dès que nous disons le mot « démocratie » pour nommer notre mode de gouvernement qu’il soit américain, allemand ou français, nous mentons. La démocratie ne peut jamais être qu’une idée régulatrice, une belle idée dont nous baptisons promptement des pratiques très diverses. Nous en sommes loin, mais encore faut‐il le savoir et le dire »

    (Je le sais, je le dis et redis)

    D’autres on dit :« Nous sommes victimes d’un abus de mots. Notre système (les « démocraties » occidentales) ne peut s’appeler « démocratique » et le qualifier ainsi est grave, car ceci empêche la réalisation de la vraie démocratie tout en lui volant son nom. »  (S‑C.K)

    « La démocratie, c’est le nom volé d’une idée violée » (J‑P.M).

    Mais encore, un peu paradoxalement : 

    « L’erreur ne devient pas  vérité parce qu’elle est approuvée par beaucoup » (M.G)

    « Ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont forcément raison » (M.C)

    «  Ceux qui regardent le vote universel comme une garantie de la bonté des choix se font une illusion complète. » (A.T)

  • Qui me dira comment faire pour consigner ma part d’impôt correspondant au financement de la métropole toulousaine ? Je sais s’il est possible de le faire mais ne me souviens plus quelle est la procédure a suivre

  • Pourquoi pas un vote à main levée des représentant.e.s des communes pour désigner les président e.s, une réelle et courte campagne des candidat.e.s aux présidences de com com , des élu.e.s communautaires mandatés par leurs colistiers des conseils municipaux pour porter la voix du collectif lors de la désignation de la présidence. La loi en la matière permet les plus sombres tractations quand elle pourrait permettre transparence et démocratie moins dévoyée.… Quel dommage ! A qui profite le crime ?

  • Dernier exemple en date : Orleans avec l’élection d’un Vice President imprévu aussitôt « démissionné »
    pour laisser la place à celui prévu mais battu après conciliabule

    • Le corrolaire de ce mode de scrutin est qu’il n” y a jamais débat ni d’ailleurs formulation d’un projet (ou rarement) intercommunal.
      En faisant du scrutin intercommunal un sous‐produit des élections municipales la réflexion sur le territoire est rarement formulée ni débattue.

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Par Fabien Desage