300 000 arbres à planter dans le Grand Lyon : il n’y aura pas d’ombre pour tout le monde

[Les écologistes à mi-mandat] À travers un ambitieux programme de végétalisation, la majorité verte de la Métropole entend lutter contre les îlots de chaleur urbains. Mais tous les points chauds de l’agglomération - que Mediacités a cartographiés - ne pourront pas bénéficier de plantations d’arbres. Explications.

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Nouveaux arbres d'alignement, rue des Cuirassiers, dans le quartier de la Part-Dieu. Photo : N.Barriquand/Mediacités.

Bruno Bernard commence‐t‐il à avoir de la corne aux mains ? Depuis son élection en 2020, le président du Grand Lyon passe une partie de ses hivers (période appropriée pour les plantations) à manier des pelles. Devant les appareils photos de la presse et des communicants, l’écologiste met en terre des arbres aux quatre coins de la Métropole : le 28 février dernier à Écully ; en mars 2022 sur la place Ambroise Courtois, dans le 8e arrondissement de Lyon ; en décembre 2021, dans une copropriété du 3e arrondissement ; en mars 2021 à Sathonay‐Camp

« Plus de 10 000 arbres cet hiver », proclamait, sur Twitter en janvier, Bruno Bernard qui a promis 300 000 plantations au cours de son mandat (2020–2026). « La finalité est consensuelle : rafraîchir nos villes, capter du carbone, créer des îlots de biodiversité, etc. », vante‐t‐il encore sur le réseau social. Et il y a urgence : le dernier Plan climat air énergie territoriale (PCAET), voté en 2019 par la Métropole, dresse le constat d’une moyenne de 28 jours de canicule par an dans l’agglomération.

Pour s’adapter à cet effet du dérèglement climatique, le Grand Lyon mise donc sur une ambitieuse végétalisation à travers son Plan nature. « Forêts urbaines », « corridors écologiques », renforcement de la canopée : cette feuille de route dotée d’un budget de 44 millions d’euros doit permettre de lutter, entre autres, contre les îlots de chaleur urbains (ICU). Ce n’est pas moins d’un tiers de l’enveloppe (14,6 millions d’euros) qui est alloué à cet objectif. Mais les actuels ou futurs arbres plantés le sont‐ils aux bons endroits ? Autrement dit : la Métropole végétalise‐t‐elle en priorité les îlots de chaleur de son territoire ?

+3 ou 4°C

Pour répondre à cette question, nous nous sommes plongés dans les travaux du Centre national de recherches météorologiques (CNRM). Cette institution, qui dépend de Météo France et du CNRS, a mesuré, en 2018, les différences de température entre les villes et leurs campagnes dans 42 agglomérations françaises, dont Lyon.

Sont considérés comme des ICU les endroits où la température localisée est plus élevée que celle des zones rurales voisines, sous l’effet de l’architecture, des matériaux utilisés pour l’aménagement (le bitume, par exemple) ou de l’absence de végétation. La notion est relative : on parle ainsi d’îlot de chaleur +3°C ou +4°C.

Ces données nous ont permis de dresser la carte des îlots de chaleur urbains (ICU) dans le Grand Lyon, à laquelle nous avons ajouté les projets significatifs de végétalisation de la Métropole. Une deuxième carte combine la strate arborée ainsi que la canopée via des données issues de la plateforme Data Grand Lyon. En comparant ces deux cartes, il est possible de vérifier la pertinence de la localisation des projets de végétalisation face à celle des ICU les plus importants.

Faire défiler les cartes avec les flèches gauche‐droite ci‐dessous. 

 

Premier enseignement, et sans surprise, les îlots de chaleur urbains sont plus prononcés dans le cœur de l’agglomération, à Lyon et Villeurbanne. Notre carte montre également que les ICU sont plus nombreux dans l’Est lyonnais où les écarts de température peuvent atteindre les +4,57°C. La même remarque vaut à l’échelle de Lyon : les 7e, 8e ou 3e arrondissements, avec la Part‐Dieu, virent au rouge cramoisi quand les 4e et 5e restent dans des teintes moins prononcées.

Lyon vue du ciel : une canopée nommée désir

« Il n’y a pas de quartiers prioritaires »

« Mon objectif est de planter sur les îlots de chaleur », affirme à Mediacités Pierre Athanaze, vice‐président du Grand Lyon chargé de la végétalisation. Pour autant, quand certains projets sont déjà aboutis en périphérie (la « forêt urbaine » de la Poste aux chevaux à Saint‐Priest, l’arboretum de la Castelane à Sathonay‐Camp), les projets toujours à l’étude ou en concertation concernent des points chauds de l’agglomération : la végétalisation de l’avenue des Frères Lumière ou la création d’un nouveau parc Saint Pothin, dans le 6e arrondissement. « Il n’y a pas de quartiers prioritaires, répond à cette remarque Pierre Athanaze. Il faut traiter les îlots [de chaleur] un par un avec les communes, et selon les opportunités. »

Depuis le début du mandat, les écologistes du Grand Lyon revendiquent un peu plus de 120 000 arbres plantés (sur un objectif de 300 000, pour rappel), le développement de corridors verts pour connecter des réservoirs de biodiversité, ou encore 6,4 kilomètres de haies nouvelles, soit environ 13 000 arbres et arbustes. S’ajoute aussi le financement d’un millier de plantations dans les copropriétés et les résidences de logements sociaux. La majorité a adopté un dispositif pour subventionner (jusqu’à 50 %) des arbres plantés hors de l’espace public. « Sur une commune, on ne peut végétaliser qu’environ 30 % du territoire, le reste est privé », justifie Pierre Athanaze.

En termes de lutte contre les ICU, ces politiques ne porteront néanmoins leurs fruits que dans un certain temps… « L’effet rafraîchissant ne sera pas atteint avant vingt ou trente ans », prévient Thomas Boutreux, écologue et doctorant de l’École urbaine de Lyon, qui conseille de planter massivement dès maintenant.

- 7 à 9°C

L’objectif des 300 000 pourrait faire de l’ombre à un principe : la quantité d’arbres ne suffira pas à garantir un rafraîchissement du Grand Lyon, encore faut‐il miser sur la qualité des plantations. En clair : le soin des sols, l’âge des plants – « Les jeunes arbres ont une meilleure capacité à survivre et à s’adapter aux conditions », précise Thomas Boutreux – et la sélection d’espèces résistantes aux canicules et à la sécheresse.

La Métropole met en avant une diversité de 490 essences d’arbres sélectionnés. « On n’est malheureusement pas toujours certains que les espèces locales supporteront les changements à venir », note l’écologue. Ces arbres replantés par la Métropole poussent dans des pépinières de la région, dans un rayon de 80 kilomètres autour de Lyon, à l’exception d’une située en Val de Loire, précise Pierre Athanaze.

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Plantations rue Paul Bert, dans le 3e arrondissement de Lyon, devant le siège du Grand Lyon. Photo : N.Barriquand/Mediacités.

« La végétalisation n’est pas toujours le moyen indiscutable de réduire les îlots de chaleur », reprend Thomas Boutreux. Au‐delà des arbres, la lutte contre les ICU passe aussi par la désimperméabilisation des sols. Par ailleurs, si les grands arbres permettent de rafraîchir plus efficacement que d’autres végétaux grâce à leur ombre qui diminue la température au sol, la plantation de strates intermédiaires (arbustes et buissons) joue aussi un rôle essentiel.

« Toutes les strates ont un pouvoir rafraîchissant », souligne Thomas Boutreux, grâce à l’évapotranspiration des végétaux, processus par lequel l’eau terrestre est renvoyée dans l’atmosphère sous forme gazeuse et rafraîchit l’air environnant. Lucille Alonso, docteure en géographie et aménagement du territoire au CNRS,  confirme aussi « le pouvoir rafraîchissant de la densité de la biomasse ainsi que de sa hauteur ».

Rue Garibaldi, dans le 3e arrondissement, des mesures expérimentales démontrent qu’en période de canicule, la présence de grands arbres et d’essences intermédiaires telles que les arbustes, permet de faire baisser le mercure de 7,2°C et même de 9,7°C lorsque la végétation est arrosée.

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La rue Garibaldi à Lyon, réaménagée et végétalisée fin 2017. Photo : N.Barriquand/Mediacités.

« Les réseaux souterrains, principaux freins aux plantations »

Reste que tous les îlots de chaleur ne pourront pas être végétalisés. La faute aux « réseaux souterrains, principaux freins », explique Pierre Athanaze. Pour anticiper cette problématique, la Métropole a développé un « calque de plantabilité ». Ce document, qui croise diverses données du territoire, en surface et en sous‐sol, permet d’identifier les endroits où il est possible de planter et les autres. Il doit être mis à jour tous les ans. « Donc maintenant, une mairie qui veut imaginer une coulée verte ou quoi que ce soit, peut s’y référer », ajoute le vice‐président.

Parmi les contraintes notables : les parkings souterrains – impossible de planter à leur surface de grands arbres puisque ceux‐ci ne pourront pas s’enraciner – mais aussi le métro comme l’illustre la carte ci‐dessous.

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La place Bellecour, au centre de l’image, traversée par les voies de métro A et D, colorées en orange (plantation contrainte). Capture d’écran du calque de plantabilité de la Métropole de Lyon – © datagrandlyon.

Sur l’image, on distingue très nettement la croix formée par les deux voies de métro qui passent sous Bellecour. De fait, l’emblématique place lyonnaise, îlot de chaleur par excellence (+3,75°C d’après notre carte plus haut), s’avèrera complexe à verdir. Problème : parmi la centaine de projets sélectionnés par les Lyonnais, dans le cadre du budget participatif de la Ville, figure la végétalisation de la place Bellecour. 

Si « l’îlot de fraîcheur » promis par le maire de Lyon Grégory Doucet ne pourra pas prendre la forme d’une forêt – sauf à remblayer les galeries du métro ! – d’autres aménagements peuvent rafraîchir l’ancienne place d’armes classée et très exposée au soleil. « Bellecour (46 000 mètres carrés) est pour moitié recouverte de gore mélangé à de la chaux et d’enrobé pour l’autre moitié », pointe ainsi Lucille Alonso dans ses travaux. Or, ces zones imperméables font partie des surfaces qui accumulent le plus de chaleur dans la Métropole, avec une température de surface médiane qui avoisine les 41,3°C sur l’année. À défaut de l’ombre de platanes ou d’érables, des arbustes ou de l’herbe pourraient atténuer cette fournaise.

Cet article ayant été réalisé dans le cadre d’un travail étudiant du master de journalisme de données et d’enquête du CFJ‐Sciences Po Lyon, en partenariat avec Mediacités, et sans rémunération des auteurs de la part de notre journal, nous le publions en accès libre.

La rédaction de Mediacités


Grand Lyon, le défi de la végétalisation – nos précédentes enquêtes :

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Temps de lecture : 7 minutes

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Par Léa Houël et Lisa Boudoussier