À Nantes, plus de 70% des décisions municipales et métropolitaines prises sans opposition

Ni vote contre, ni abstention... Depuis le début du mandat, l'immense majorité des délibérations présentées aux élus de la Ville comme de Nantes Métropole passent sans rencontrer d'obstacle. C'est ce que montre l'analyse des données des deux collectivités.

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Séance du conseil métropolitain de Nantes Métropole, en juillet 2020. / Photo : Thibault Dumas

«Je mets la délibération aux voix. (…) La délibération est adoptée… » Cette phrase ou ses cousines, Johanna Rolland a été amenée à la prononcer à 1395 reprises lors des trois années écoulées. Soit autant de fois que de délibérations soumises par la maire (PS) de Nantes au vote des conseillers municipaux ou métropolitains.

« Je mets la délibération aux voix. (…) La délibération est adoptée… » Lors de chacun des 16 conseils municipaux qu’elle a présidée depuis le 15 juillet 2020, la ritournelle a été psalmodiée 43 fois en moyenne. Un peu plus de 44 fois lors des 16 conseils métropolitains. « Je mets la délibération aux voix. (…) La délibération est adoptée »… l’indémodable refrain de la démocratie locale.

L’unanimité majoritaire

Pour qui n’entendrait de la vie politique que les chœurs enfiévrés des après‐midi au Palais Bourbon ou les éructations des plateaux des « télétoutinfo », la rengaine peut sembler un peu monocorde. Pourtant, malgré les oppositions idéologiques, les désaccords de fond et les ambitions antagonistes, c’est bien sur ce tempo que se joue la vie d’une ville ou d’une métropole. « Globalement, la politique locale relève très souvent du consensus, note ainsi Rémi Lefebvre, professeur de science politique à l’université de Lille. Les enjeux sont plutôt traités avec compromis entre opposition et majorité ».

Bien sûr, l’observation n’est pas nouvelle. Mais il est intéressant de voir qu’elle perdure alors que la vie politique semble justement se polariser de plus en plus, même au niveau local. Malgré cela, à Nantes comme ailleurs, les décisions prises par les conseils municipaux ou métropolitains le sont dans leur très large majorité à l’unanimité des votants. C’est en tout cas ce que l’on observe en farfouillant dans un fichier hébergé sur la plateforme de données de la Métropole de Nantes.

Mis en ligne en avril 2022 et régulièrement mis à jour depuis, il compile les informations tirées des délibérations des différentes instances de la Ville et de la Métropole. Concrètement, on y trouve, entre autres, la thématique de chacun de ces textes, leur objet mais aussi le nombre de votes pour, contre et d’abstention qu’ils ont recueilli. Une mine d’informations à partir desquelles nous avons tenté de dresser un bilan chiffré de cette première partie de mandat.

Les finances, les finances et encore les finances

Première question : de quoi les 69 conseillers municipaux nantais et les 98 conseillers métropolitains ont‐ils débattu durant ces trois années ? D’argent ! Dans un cas comme dans l’autre, les « finances locales » arrivent largement en tête des sujets évoqués, comme le montre le graphique ci‐dessous. Au conseil métropolitain, cette thématique représente 30% des 705 délibérations adoptées depuis juillet 2020. Une proportion qui atteint 54% à l’échelle de la Ville, pour 689 délibérations.

 

Dans deux collectivités dont les budgets atteignent respectivement 599,2 millions d’euros (Ville de Nantes – 2023) et 1,564 milliards d’euros (Nantes Métropole – 2023), rien d’étonnant à ce que l’on parle beaucoup d’argent. Attention néanmoins : la catégorisation « finances locales » peut s’avérer trompeuse. Derrière elle, se cachent des choses bien disparates. Des questions purement financières comme le budget, les emprunts ou la fiscalité, bien sûr. Mais aussi, d’autres sujets qui relèvent avant tout des politiques publiques. En l’occurrence : les subventions.

 

Comme le montre le graphique ci‐dessus, ces subventions – soit l’une des manières dont les collectivités distribuent (ou redistribuent) l’argent qui leur est confié – constituent l’essentiel des délibérations à thématiques financières. A l’échelle du conseil municipal, elles représentent même la large majorité de l’ensemble des délibérations : 45,7 % du total. Au conseil métropolitain, cette proportion chute en revanche à 10,3%, en deuxième position du classement juste derrière les marchés publics (11,3%).            

Des subventions plus nombreuses pour la culture

Là encore, pourtant, le seul terme de « subventions » ne suffit pas à définir la nature des politiques publiques menées par la Ville ou par la Métropole. Derrière ce mot valise, on trouve en effet les quelques milliers d’euros versés chaque année pour assurer le fonctionnement d’une association d’anciens combattants ou d’un club sportif ; mais aussi les dizaines de milliers d’euros octroyés au Lieu Unique ou à la Cité des Congrès ; ou encore les dispositifs de financement des crèches associatives.

Pour tenter d’y voir – un peu – plus clair, nous avons donc trié chacune des subventions votées par le conseil municipal par thématique : de l’action sociale au patrimoine, en passant par la « ville non sexiste », l’un des marqueurs du second mandat de Johanna Rolland. Résultat des courses et sans grande surprise, c’est la culture qui arrive largement en tête, en volume de délibérations.

Triomphe de l’unanimité  

Si les subventions dominent largement en matière d’objet des délibérations, quand on se penche sur les résultats des votes, c’est – comme l’évoquait plus haut Rémi Lefebvre – le consensus qui triomphe. De juillet 2020 à juillet 2022, toutes les délibérations proposées au conseil municipal ont été adoptées. Sans surprise, évidemment puisque Johanna Rolland et ses alliés y disposent d’une très large majorité [Lire notre article sur le fonctionnement du conseil municipal]. Néanmoins, 80% de ces délibérations sont passées sans faire l’objet du moindre vote contre ni de la moindre abstention. Sur 689 textes, seuls 52 (7,4%) ont fait l’objet d’une opposition, recueillant en moyenne 10 votes contre.

Un unanimisme qui s’étend à toutes les thématiques ou presque. Au conseil municipal, 97% des subventions sont approuvées sans soulever le moindre vote contre ou la moindre abstention. Ainsi que 100 % des délibérations en matière de voirie, d’emprunts ou encore d’environnement, entre autres.

C’est en matière de fiscalité, de budget ou encore de police municipale que les choses se gâtent. Dans ces domaines, on recense des votes contre ou des abstentions dans au moins la moitié des cas. L’opposition ne vient d’ailleurs pas toujours de là où on l’attend. La délibération ayant suscité le plus de controverse date d’octobre 2022 et concernait l’ouverture des commerces le dimanche. Elle a suscité 29 votes contre venant non pas de l’opposition de droite et centriste, mais des écologistes et d’une partie de la gauche… 

 

Des débats – à peine – plus tendus à Nantes Métropole

Si le climat au sein du conseil municipal semble donc plus apaisé que les débats le laissent parfois penser, c’est un peu moins le cas au sein du conseil métropolitain. Si le consensus prévaut toujours parmi les représentants des 24 communes de la Métropole nantaise, il semble moins généralisé. C’est qu’au fil des transferts de compétences cette collectivité est désormais en charge des principaux enjeux du territoire, comme l’urbanisme ou les transports. Là, on ne s’oppose plus simplement entre membres de la majorité ou de l’opposition, mais entre élus de communes aux profils et aux intérêts différents et parfois divergents.

Résultat, 28 % des délibérations suscitent au moins un vote contre ou une abstention. C’est près de 10 points de plus qu’au conseil municipal. Pas de quoi pour autant risquer de mettre la majorité de Johanna Rolland en réelle difficulté. Par deux fois néanmoins, le vote s’est joué ric‐rac, les délibérations n’obtenant que 51% et 52% des suffrages. La première, en octobre 2021, concernait l’aménagement controversé de la zone Paridis [Lire notre enquête], négocié avec le « baron » des Leclerc nantais, Pierre Chartier [Lire son portrait]. La seconde, le retrait de Nantes Métropole de l’Agence foncière de Loire‐Atlantique, une décision contestée à laquelle, là encore, Mediacités avait consacré une enquête.

Des crispations qui ne font néanmoins pas oublier que, dans leur très grande majorité, les délibérations passent sans coup férir. Et ce, comme le montre le tableau ci‐dessus, quelque soit la thématique abordée. Une exception : celle concernant le personnel de la collectivité, sujette à des débats récurrents, notamment autour des 1607 heures de travail par an dans la fonction publique. Mais hormis ces rares couacs, le refrain reste bien sempiternellement le même : « Je mets la délibération aux voix. (…) La délibération est adoptée… » 

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Par Benjamin Peyrel