Mediacités participe‐t‐il à l’agribashing ?

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Seules 5,2 % des exploitations des Hauts-de-France étaient en cours de conversion ou labellisées bio en 2020. Photo : freestock.org

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Par Brianne Cousin

De plus en plus d’agriculteurs se plaignent du dénigrement systématique dont ils feraient l’objet dans les médias. Comment enquêter sur des sujets aussi cruciaux que l'agriculture et l’alimentation, sans offrir une vision partiale de la réalité ? Trois journalistes de Mediacités reviennent sur leurs façons de travailler.

« Les gens ne connaissent plus d’agriculteurs. Donc ils se les fantasment… », s’attriste Jean‐Marie Guilloux. Pour ce cadre de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), le monde rural et la profession agricole souffrent d’un imaginaire daté, qui leur colle à la peau. Les reportages télévisés sur le boom des circuits‐courts ou l’installation de néo‐ruraux en permaculture rassurent les citadins friands de produits du terroir dénichés au marché du coin. Mais ces belles histoires entretiendraient, regrette‐t‐il, l’image éculée du paysan « à l’ancienne », à mille lieues des normes « technologiques » adoptées par la majorité des agriculteurs conventionnels.

Les journalistes d’investigation se montreraient à peine moins caricaturaux, lorsqu’ils pointent du doigt les dérives des exploitants adeptes de l’élevage intensif ou allant jusqu’à épandre leurs pesticides au pied des habitations. « Beaucoup d’agriculteurs estiment que les médias donnent une image de leur métier totalement déconnectée de la réalité », rapporte le consultant Eddy Fougier. « Ce que les agriculteurs reprochent aux journalistes, ce n’est pas de dénoncer des scandales, mais de se faire les porte‐parole de causes sans prendre de recul », reprend cet enseignant à Sciences Po Aix et Audencia, auteur de Malaise à la ferme : enquête sur l’agribashing.

Contexte inflammable

« Agribashing ». L’accusation est lâchée. Cet anglicisme, souvent relayé par la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) ou les Jeunes Agriculteurs, désigne autant les fausses informations qui seraient répandues à longueur de temps par les associations écologistes ou véganes (L214, Générations futures, France Nature Environnement…), que le traitement médiatique des sujets agricoles, jugé incomplet ou volontairement faussé. Il suffit de pénétrer dans n’importe quelle ferme – ou presque – pour entendre que l’agribashing permettrait aux uns de faire grimper leur audience, aux autres de gagner la bataille de l’opinion publique.

« Il y a une méconnaissance du monde agricole chez les journalistes »

Conscients d’évoluer en terrain miné, les journalistes de Mediacités, amenés à se pencher sur les questions agricoles, redoublent d’attention. Simon Henry, qui a récemment livré trois articles pour notre enquête franco‐belge Les Gros sur la patate, ne nie pas le désarroi de certains de ses interlocuteurs. « On met beaucoup l’accent sur les pesticides dans les médias. Mais certains agriculteurs conventionnels de bonne foi ne parviennent pas à s’en passer, faute parfois d’alternatives à leur mesure pour les aider à lutter contre les champignons, les maladies… Ils se sentent incompris et surtout dépassés car ils demandent davantage de temps pour expérimenter d’autres solutions viables et efficaces. »

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L’usage de produits phytosanitaires est souvent décrié dans les médias. Photo : sbj04769

« Je me mets à la place de ces agriculteurs, enchaîne Julie Reux, autrice Mediacités d’une série d’enquêtes sur la dépendance de la Loire‐Atlantique aux pesticides, après une plongée, quelques mois plus tôt, dans les coulisses de la Chambre d’agriculture de Loire Atlantique et de la FDSEA‐44 ou encore de la coopérative Terrena. Il y a une méconnaissance du monde agricole chez les journalistes, avec parfois une vision très simpliste des choses, qui leur donne l’impression qu’on est contre eux. »

« On me raccroche au nez »

Cette méfiance des agriculteurs, Élise Moreau l’a également ressentie à plusieurs reprises. Journaliste pour l’édition lyonnaise de Mediacités, elle a enquêté sur les ravages de l’étalement urbain et la pollution des rivières. Des demandes de droit de regard sur sa copie ? Elle en reçoit fréquemment. Mais elles sont « plus nombreuses dans l’agriculture que dans d’autres secteurs », estime‐t‐elle.

Une défiance qui laisse, de plus en plus, place au mutisme. Il n’est plus rare que certains agriculteurs se ferment dorénavant aux questions des journalistes, même lorsqu’il s’agit de rendre compte de leurs difficultés plutôt que d’instruire leurs procès à charge…

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Le métier d’agriculteur souffre parfois d’une image erronée, correspondant à des pratiques « à l’ancienne » du métier. Photo : Jannis‐knorr

« Certains agriculteurs me raccrochent parfois au nez. Il y a un mur et c’est difficile de passer de l’autre côté », souligne Julie Reux, contrainte de « sans cesse montrer patte blanche ». « Beaucoup sont sur leurs gardes », raconte à son tour Simon Henry. Plusieurs agriculteurs ont requis l’anonymat dans sa dernière enquête sur l’industrie de la pomme de terre. « Tout se sait dans ce milieu. Ils ont peur des journalistes, mais aussi du regard de leurs confrères », analyse‐t‐il.

Libérons la parole !

Alors, les journalistes de Mediacités doivent‐ils arrêter d’enquêter sur les sujets qui fâchent ? Non, convient Jean‐Marie Guilloux, pour qui « il faut que la parole sorte. Pour retrouver et garder la confiance des agriculteurs, il faut toutefois prendre le temps, discuter et écouter. Ce serait intéressant de procéder à des interviews collectives, en créant une grande conversation entre agriculteurs », suggère le cofondateur de la mission Agrobiosciences de l’Inra.

Ce dialogue contradictoire et constructif, les journalistes de Mediacités l’appellent évidemment de leurs vœux. À quoi sert le journalisme, si ce n’est à engager la discussion et briser les tabous qui peuvent empoisonner la vie locale ? Nos articles sur l’accaparement des terres agricoles par des exploitants XXL quand ce n’est pas les aménageurs publics ou privés, ou bien encore l’utilisation croissante de produits phytosanitaires et le fait que les premières victimes des pesticides sont bien souvent ceux qui les épandent, n’ont d’ailleurs pas d’autres buts.

« Quand je dis que je suis là pour essayer de comprendre, je ne mens pas »

C’est pourquoi Elise Moreau veille à ne jamais « faire de raccourcis ». Rigueur et honnêteté sont deux fondamentaux du métier de journaliste, rappelle aussi Julie Reux, qui prend soin de s’en tenir aux faits, sans stigmatiser : « Quand je dis aux gens que je suis là pour essayer de comprendre, je ne mens pas. Il n’y a pas de piège ». Cette localière dans l’âme applique depuis peu la technique d’interview dite du « looping », consistant à reformuler devant son interlocuteur ses propos de manière plus simple pour s’assurer que ses idées soient bien comprises, en veillant à ne pas en modifier le sens.

Un débat critique à faire vivre

Eddy Fougier se fait un malin plaisir de rappeler que les agriculteurs ne sont pas les seuls à se méfier des médias. Difficile de lui donner tort : les journalistes demeurent bien plus impopulaires, aux yeux de nos concitoyens, que les travailleurs de la terre. « Notre profession souffre d’une mauvaise image », concède Elise Moreau, selon qui une partie des journalistes « ne prend plus le temps d’analyser ni de vérifier l’information ». Au‐delà des pratiques journalistiques qu’il faut sans cesse interroger, Jean‐Marie Guilloux estime que c’est le regard de la société sur l’agriculture qui doit évoluer. « Les attentes des consommateurs ne sont peut‐être pas compatibles avec la réalité des agriculteurs », conclut‐il.

Raison de plus pour continuer à scruter de près les évolutions du monde agricole, ses difficultés comme ses dérives. À l’heure où de plus en plus de citoyens s’intéressent à la qualité de leur eau, à l’origine du lait qu’ils consomment, de leurs patates ou de la viande servies dans leurs assiettes, Mediacités continuera à rendre compte de l’hétérogénéité des pratiques, des intérêts parfois contradictoires qui traversent la profession. Sans pour autant se laisser téléguider par des activistes et des militants, ni céder aux pressions de syndicalistes – de tous bords – qui préféreraient tuer tout débat dans l’œuf.

Pour se laisser bousculer par le réel, rien de tel d’ailleurs que de faire appel à vous, lectrices et lecteurs. Notre dernière enquête collaborative #DansMaVille « Se nourrir dans nos villes en 2021 », pour laquelle nous recueillons toujours vos témoignages et votre expertise, a été lancée pour dépasser nos propres représentations sur l’alimentation et l’agriculture. Quoi de mieux qu’un débat ouvert et fertile sur ces questions ?

  • Bonjour,
    Ah la patate ! que beau sujet archétype des passions ! tout y est ! essayons donc de rationaliser
    De quoi s’agit‐il ? d’une demande accrue de patate, ce qui implique, Keynes le dit mieux que quiconque, une offre accrue afin d’y faire face.
    Chouette, du chiffre d’affaire faisant vivre les agriculteurs et de ce fait la population, mais non, c’est pas bien ! essayons de répondre aux multiples critiques :
    – Cà érode les sols : qui a jamais dit çà ? scientifiques ? agriculteurs qui sont vraiment crétins car ils ne s’apercevraient pas qu’ils détruisent leur gagne pain depuis des décennies que la patate est cultivée ; or rotation des cultures avec enfouissement des fanes apportant une fumure de fond associée à un engrais ternaire ou binaire ( chimique, eh oui ! mais la patate a besoin de composés minéraux simples, azote, phosphore, potasse… ) et la rotation évite autant que possible des adventices et la persistance de bactéries, moisissures,… spécifiques aux cultures à l’origine de maladies.
    – Apport de « pesticides » terme très général qui inclus beaucoup de substances diverses, à nouveau l’horreur, mais c’est nécessaire pour sauvegarder les cultures ! il faut suivre les recommandations de l’ANSES et il n’y aura pas de problème pour l’apporteur, l’agriculteur, et le consommateur. Eh oui, mais l’agriculteur joue au monsieur + pour assurer ! fake news, il est informé et il connaît le coût de ces produits pour ne pas exagérer. Et puis si les pesticides sont si mauvais que çà, en terme de composant et/ou de dosage recommandé, le citoyen, y compris par action collective, peut très bien intenter un procès contre l” Etat pour empoisonnement.
    – Agriculteurs en exploitations XXXL, et alors ? le consommateur n’a pas le droit de consommer des produites répondant à la réglementation sanitaire et au moindre coût ? des cultures sont extensives et d’autres dites de niches. La France était il y a 10 ans le 1er exportateur de produits agro‐alimentaires dans l’UE. Elle est dépassée par l’Allemagne et.…les Pays Bas, qui entre autre ont des élevages de 1000 têtes et plus ! et alors ? vaut‐t‐il mieux de tels élevages avec en permanence un vétérinaire et le respect de l’environnement avec l’évacuation des sortants, ou une exploitation de 50 vaches jamais, ou quasiment jamais, contrôlée du point de vue sanitaire.
    – Ravages de l’étalement urbain : eh oui ! depuis plus d’un siècle et demi, la population devient urbaine, et alors ? çà va continuer bien sûr , il suffit de mettre de la réglementation et de contrôler . Je conseille d’aller visiter Singapour.
    – Le bio : la panacée ! ah oui ? et quels sont les bénéfices réels du bio ? question qui va me valoir le bûcher ! il y a eu par exemple des articles de « Que Choisir » à lire qui n’est pas que je sache une revue réactionnaire, et on en reparlera alors ! les fake news abondant.
    – Rôle des médias : c’est bien de donner la parole aux uns et aux autres, mais il leur appartient de vérifier les dires, plus particulièrement auprès de pouvoirs publics de l’OMS, de l’UE , de la France , et dans notre pays entre autre la DGAL, la DGS, l’INRAE, la DGCCRF, etc…; et des surprises sont là, par exemple aller voir les origines des intoxications alimentaires et, pour les matières premières, ce qui est en cause.…..
    Voilà quelques commentaires, pour une saine ( ? !!! ) lecture.

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